Quitte à passer pour un horrible contempteur d’un « texte rare par son élévation et son interpellation », comme dit Nicolas Domenach, sans doute inspiré par une spiritualité qui m’échappe, j’ai trouvé que cette longue intervention d’un Président de la République devant un parterre de prélats était, pour rester dans l’euphémisme, des plus mal venues.
« Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer.... », ce touitte a donc fait réagir les inquisiteurs – admirons au passage ce retournement qui fait du laïque, un peu interloqué, un chasseur d’hérétiques. Et quoi, ont protesté les maîtres de l’exégèse de la pensée macronienne, cette phrase ne reflète pas tout le texte. Sauf que cet extrait était publié par le compte touitteur … @EmmanuelMacron, donc choisi par lui ou celui qu’il a chargé de tenir ce compte. Et même si la phrase réelle est un peu plus longue, son résumé ne la trahit pas.
Or elle n’a, à proprement parler, aucun sens puisque, comme son nom l’indique, la loi de séparation des églises et de l’état, en 1905, a coupé ce lien.
Bizarrement c'est Clemenceau qui manie la hache alors que c'est Briand qui fut le maître d'oeuvre de la Loi de 1905
Mais on aurait mal saisi la complexité de la pensée macronienne : par lien il faut entendre dialogue. Outre que le dialogue ne signifie pas accord, il est difficile de vouloir faire croire que, dans le débat sur le mariage pour tous, les prélats aient fait preuve du sens de la nuance et certaines de leurs ouailles, et même de leurs pasteurs, ont montré, à l’encontre de la Ministre chargée de porter cette loi, une haine fort peu charitable et teintée de racisme. Et dans cette phrase, mise en exergue répétons-le par son auteur, on entend comme un écho du prétendu « anticléricalisme d’état » à la Sarkozy. Macron partage d’ailleurs avec ce prédécesseur une vision historique un peu surprenante quand il incite les catholiques à ne pas renoncer à la République [qu’ils ont] si fortement contribué à forger. Il faut attendre 1892 pour que Léon XIII appelle les catholiques à accepter la République, avec un succès relatif. Et il n’est pas non plus loin de chanter les racines chrétiennes de la France quand il sacrifie au « récit national » et qu’il loue la part catholique de la France.
Plus cocasse encore est le paragraphe où il dit que tous les jours les mêmes associations catholiques et les prêtres accompagnent des familles monoparentales, des familles divorcées, des familles homosexuelles(sic), des familles recourant à l'avortement, à la fécondation in vitro, à la PMA , des familles confrontées à l'état végétatif d'un des leurs… en ajoutant L’Eglise accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ces principes et le réel. Qu’il y ait des citoyens qui croient au ciel, et d’autres qui n’y croient pas, pour œuvrer dans des associations caritatives est indéniable. Mais l’église, elle, et les plus sectaires de ses membres lancent l’anathème jusque sur la capote ! Les divorcés sont toujours exclu des sacrements. L’IVG est bien sûr condamnée (il n’est que de voir ce qui se passe quand l’église catholique est encore hégémonique, comme en Pologne, et où elle l’a longtemps été comme en Espagne). Quant aux familles confrontées à l’état végétatif de l’un des leurs, le propos est d’une cruelle ironie quand le drame du pauvre Vincent Lambert, maintenu artificiellement en vie, connaît un nouveau rebondissement.
Les allusions les plus dangereuses concernent justement la bioéthique.
S’adressant à G. Pontier, président de la conférence des évêques de France, il lui dit : « Vous considérez que notre devoir est de protéger la vie, en particulier lorsque cette vie est sans défense. Entre la vie de l’enfant à naître, celle de l’être parvenu au seuil de la mort, ou celle du réfugié qui a tout perdu, vous voyez ce trait commun du dénuement, de la nudité et de la vulnérabilité absolue. » Ce sera pour lui l’occasion d’un long dégagement, assez jésuitique, sur l’accueil des réfugiés. Mais, dans le propos du prélat, il ne relève pas la condamnation de l’IVG ni celle de l’euthanasie. Et comme il ajoutera plus loin « il faut trouver la limite car la société est ouverte à tous les possibles, mais la manipulation et la fabrication du vivant ne peuvent s'étendre à l'infini sans remettre en cause l'idée même de l'homme et de la vie », on peut craindre que les manipulations génétiques, ayant pour but d’éviter une maladie ou corriger une anomalie génétique, bien qu’approuvées par 75 et 71% des catholiques pratiquants (sondage publié par La Croix) passent à la trappe.
Quand il assène que « pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles [il se fait] une plus haute idée des catholiques », on doit lui rappeler ce que disait Mauriac de De Gaulle « ce grand chef temporel ne touche jamais au spirituel […] il ne paraît pas croire que le spirituel en tant que tel relève de la politique ».
Les thuriféraires, voire, un peu gênés aux entournures, des laïques très attachés à la Loi de 1905, se hâtent de mettre en avant le rappel fait aux principes même de cette loi. « Mon rôle est de m'assurer qu'il ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C'est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d'évoquer. »
Mais comme l'a aussi rappelé très opportunément Jean-Paul Delahaye (actuel président du CNAL) en citant Jules Ferry : « Lorsque l'on veut chercher à assurer la paix entre deux puissances rivales, l'Etat et l'Eglise, la constitution laïque de la société et le pouvoir ecclésiastique, lorsque l'on veut que ces deux puissances morales vivent en paix, la première condition, c'est de leur prescrire de bonnes frontières. Ce n'est pas dans la confusion des attributions, dans le mélange des idées qui ne peuvent conduire qu'à la discorde ». *
Et bien qu’il ait aussi dit que la voix de l’église ne peut être injonctive, son intervention ne peut que conforter l’église catholique dans la tentation perpétuelle du cléricalisme, cette volonté obstinée des papes et du clergé à subordonner la société civile à la société religieuse, à vouloir étendre à la société politique les règles et méthodes de cette Église, à utiliser des armes spirituelles à des fins temporelles, à se servir du pouvoir politique pour imposer sa vision morale, individuelle ou collective (d'après Marc Ferro).
Voir aussi :
* Lien avec l'Eglise: le Président a semé ses «cailloux» en «petit Poucet» malin
Le lien entre le président et la laïcité s’est abîmé : il lui incombe de le réparer (se-UNSA)
La République et la laïcité, un lien à réaffirmer
Et si vous voulez vous marrer écoutez celui que l'odieux Didier Porte surnomme Son Altesse Sénilissime, Gérard Collomb : "il y a du poète chez Emmanuel Macron lorsqu'il décrit la société" !
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