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27 août 2010 5 27 /08 /août /2010 18:02

 

chagrindecole

Un peu comme le cancre, en état d’hébétude devant sa fraction, je traîne depuis des mois  le projet de rendre compte de deux livres essentiels – Chagrin d’école et Composition française – projet très velléitaire. Toujours remettre au surlendemain, ce que je projetais de faire l’avant-veille. Mme Ozouf ne m’en voudra certainement pas si j’essaie de surmonter mon aboulie en m’attaquant d’abord au Prix Renaudot 2007.

 

Et c’est justement le choix de l’angle d’attaque qui me bloquait.

 

Ma pente polémiste me pousserait à clamer : voilà un livre qui nous change des diatribes de Finkielkraut* ou de Julliard sur les pédagogues, l’un ne connaissant de l’école que la Polytechnique, où il enseigne d’ailleurs une matière récréative, et l’autre de collège que le Collège de France ! Tandis que Daniel Pennac, lui, il a enseigné en collège ou lycée pendant plus d’un quart de siècle et il continue de se confronter avec des élèves d’établissements de banlieue dans des rencontres sur son œuvre.

 

chagrin-ecfole-poche  Autre angle, rebondir sur un fait divers, pour démarrer par une belle citation, toujours d’actualité, quand le ministre, malgré des assises sur la violence à l’école aux conclusions riches et nuancées, se cantonne dans des proclamations de « tolérance zéro ».

« Il n’est pas surprenant que la violence physique augmente avec la paupérisation, le confinement, le chômage, les tentations de la société de satiété, mais qu’un garçon de quinze ans prémédite de poignarder son professeur – et le fasse ! – reste un acte pathologiquement singulier. En faire, à grand renfort de unes et de reportages télévisés, le symbole d’une jeunesse donnée, dans un lieu précis (la classe de banlieue), c’est faire passer cette jeunesse pour un nid d’assassins et l’école pour un foyer criminogène ». Et encore « je refuse d’assimiler [aux] images de violence extrême tous les adolescents de tous les quartiers en péril, et surtout, surtout, je hais cette peur du pauvre que ce genre de propagande attise à chaque nouvelle période électorale. Honte à ceux qui font de la jeunesse la plus délaissée un objet fantasmatique de terreur nationale ! Ils sont la lie d’une société sans honneur qui a perdu jusqu’au sentiment même de paternité. »

 

La tentation de faire du détournement de compte rendu pour se raconter est grande aussi. Ainsi quand il évoque ce professeur de sciences naturelles. « Se plaignant de ce que la moyenne générale de “cette classe” n’excédât pas les 3,5/20, il avait commis l’imprudence de nous en demander la raison. […] J’ai levé un index poli et suggéré deux explications possibles : ou notre classe constituait une monstruosité statistique (32 élèves qui ne pouvait dépasser une moyenne de 3,5/20…) ou ce résultat famélique sanctionnait la qualité de l’enseignement dispensé. » Comment ne pas conter ce conseil de classe de 5e, où le chef d’établissement, tablo-graphomaniaque que j’étais, projetait les résultats des devoirs communs. La classe concernée avait une moyenne en math significativement plus basse que les trois autres. Le prof de maths – un agrégé – de prendre à partie les délégués des élèves en reprochant à la classe sa faiblesse. Je lui fis remarquer que dans les autres matières de ce contrôle commun, les résultats étaient très, très proches des autres 5e et même un poil supérieurs. S’il se tut, je ne suis toujours pas persuadé qu’il ait compris que ce n’était pas la classe à mettre en cause, mais son propre enseignement.

 

Le cancre étalon

Mais finalement, puisque ce beau métier, professeur, va être le seul où aucune formation professionnelle ne sera dispensée, comment ne pas recommander sa lecture** à tous ces futurs enseignants lancés dans le bain sans aucun rudiment de nage. Tant pis pour ceux qui se noient.

Les éléments autobiographiques, qui forment la trame du livre, leur feront découvrir le « cancre » qu’ils n’ont pas été. Car ce livre raconte « la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l’interaction de ces chagrins d’école ».

chagrin-d-ecole-1

Aucune fatalité sociologique :

« Non seulement mes antécédents m’interdisaient toute cancrerie mais, dernier représentant d’une lignée de plus en plus diplômée, j’étais socialement programmé pour devenir le fleuron de la famille. » Père polytechnicien, mère au foyer, trois frères ayant tous connus la réussite scolaire « j’étais un cas d’espèce. [ ] J’étais un objet de stupeur, et de stupeur constante car les années passaient sans apporter la moindre amélioration à mon état d’hébétude scolaire. [ ] j’étais un mauvais élève. [ ] mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres, [ ] dernier de la classe [ ] je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le sport, ni d’ailleurs aucune activité parascolaire. »

« Un cancre sans fondement historique, sans raison sociologique, sans désamour : un cancre en soi. Un cancre étalon. »

 

Daniel-Pennac.jpg  Ce cancre étalon, malgré la gaieté qu’il affichait, souffrait. « L’avenir, c’est moi en pire, voilà en gros ce que je traduisais quand  mes professeurs m’affirmaient que je ne deviendrais rien. » « L’image de la poubelle, tout compte fait, convient assez à ce sentiment de déchet que ressent l’élève perdu pour l’école. »

 

Pennac décrit bien ceux qui l’ont sorti de la poubelle.

« Ils accompagnaient nos efforts pas à pas, se réjouissaient de nos progrès, ne s’impatientaient pas de nos lenteurs, ne considéraient jamais nos échecs comme une injure personnelle et se montraient d’une exigence d’autant plus rigoureuse qu’elle était fondée sur la qualité, la constance et la générosité de leur propre travail. [ ] L’image du geste qui sauve de la noyade [ ] est la première qui me vient quand je pense à eux. En leur présence – en leur matière – je naissais à moi-même ».

« Ce n’était pas seulement leur savoir que ces professeurs partageaient avec nous, c’était le désir même du savoir ! Et c’est le goût de sa transmission qu’ils me communiquèrent. Du coup, nous allions à leurs cours la faim au ventre. Je ne dirais pas que nous nous sentions aimés par eux, mais considérés, à coup sûr « respectés », dirait la jeunesse d’aujourd’hui. »

En ces lignes – toujours la tentation de se conter – je retrouve un François Lebrun, professeur d’Histoire avec les M’ – classe poubelle – que nous étions, les équipes de Gasny bien sûr, Coincoin et Mme Foldingue, les cousins matheux, et combien d’autres, tous pétris de leur matière et de leurs élèves !

 

Nos néophytes, qui, pour la plupart, deviennent prof du secondaire par passion de leur « matière » ne pourront qu’être rassurés.

« Ma conviction m’est restée qu’il fallait parler aux élèves le seul langage de la matière que je leur enseignais. Malheureux à l’école ? Peut-être. Chahuté par la vie ? Certains, oui. Mais à mes yeux, faits de mots, tous autant que vous êtes, tissés de grammaire, remplis de discours, mêmes les plus silencieux ou les moins armés en vocabulaire, hantés par vos représentations du monde, pleins de littérature en somme, chacun d’entre vous, je vous prie de me croire. »

 

Mais, arrivera-t-il à convaincre que « La sagesse pédagogique devrait nous représenter le cancre comme l’élève le plus normal qui soit : celui qui justifie pleinement la fonction de professeur puisque nous avons tout à lui apprendre, à commencer par la nécessité même d’apprendre ! »

 

Vous le constatez, je n’ai pas l’art du compte rendu auquel vous a habitué celle qui tient la rubrique MLF où je joue le coucou. Car, malgré l’abondance des citations, j’ai négligé la plus grande part de la richesse de cet essai autobiographique. Une plume qui fait que ce livre se lit « Comme un roman ».

 

Daniel Pennac Chagrin d’école 2007 Gallimard Collection Blanche et en poche « folio »

 

Pour compléter, une lecture de l'auteur :

http://www.telerama.fr/livre/20939-daniel_pennac_lit_un_extrait_de_cancre_ecole.php

  et une excellente présentation du livre avec un entretien avec l'auteur :

 

 

 

* Pennac consacre les pages 205 à 214 (collection Blanche) à une réaction typique de Finkielkraut. 

  

elogedespedagogues

** Et puisque je joue, sans légitimité aucune, le donneur de conseils, la deuxième lecture que je leur recommande est Éloge des pédagogues, d’Antoine Prost (Le Seuil, Points Actuels)

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