L’affaire de l’infirmière qui confie à la greffière avoir vu remettre une enveloppe de liquide à Sarko est un peu l’arbre (un baobab, il est vrai) qui risquait de cacher toute la richesse de Sarko m’a tuer. Heureusement, le tir de barrage des UMPistes a fait long feu, empêtrés qu’ils sont par la confirmation d’enquête illégale sur les appels téléphoniques d’un journaliste du Monde. La juge Prévost-Desprez n’est qu’un des 27 cas étudiés par G. Daviet et F. Lhomme : préfets, journalistes, policier ou gendarme, magistrat, politiques, voire quidam... tous ces "damnés du sarkozysme" jettent une lumière crue sur les mœurs de Sarkozy et de ses sbires.
L’affaire Bettencourt est évoquée dans trois cas, la juge bien sûr qui d’ailleurs dit avoir elle-même recueilli une confidence hors PV*, David Sénat membre du cabinet de la ministre de la Justice et surtout Claire Thibout la comptable. On y voit se déployer une violence d’état au service en fait de l’intérêt personnel de Nicolas Sarkozy.
Claire Thibout, faut-il le rappeler, était la comptable de Mme Bettencourt, qui avait notamment révélé avoir, à la demande de Patrice de Maistre, retiré 150 000 € remis à Eric Woerth, trèsorier de l’UMP, pour financer la campagne présidentielles. Son mari, pour avoir numérisé les enregistrements fameux du Maître d’hôtel, est mis en garde à vue 48 H. Kiejman, avocat de L. Bettencourt, vraisemblablement de mèche avec le procureur Courroye, dépose une plainte pour vol. Son logement est perquisitionné devant ses enfants, puis une maison en Normandie avec des policiers qui se la jouent western. Mais qui ne savent pas précisément de quel vol il s’agit, si ce n’est de documents. Elle est interrogée, réinterrogée, à la demande du Parquet. « Dès qu’on faisait un PV, ça remontait (…) au Parquet qui demandait à ce qu’on repose des questions ». Après un interview à Mediapart – révélant la fameuse enveloppe à Woerth – elle va chez un parent pour éviter le harcèlement des journalistes. Mais le lendemain, son avocat lui demande de revenir à Paris. Elle part prendre un train à Avignon. Mais là on lui demande de rester. Retour dans le village du parent « Et là je découvre, ahurie deux cars de CRS et plusieurs estafettes de gendarmerie devant la maison… » « Claire Thibout ignore à ce moment-là que, à Paris, au sommet du pouvoir, la mobilisation générale a été décrétée. La consigne est claire : il faut « s'occuper » en urgence de cette petite comptable qui a osé mettre en cause le président. Nicolas Sarkozy lui-même prend l'affaire en main. Dans son livre M. le Président, Franz-Olivier Giesbert écrit, à propos de l'interview donnée à Mediapart par Claire Thibout : « Après la diffusion de ses déclarations [par Mediapart], tous les moyens de l'État sont déployés, toutes affaires cessantes, pour retrouver la comptable, partie en vacances du côté d'Arles. Le chef de l'État harcèle son ministre de l'Intérieur au téléphone : "Qu'est-ce que tu fous ? Qu'attendez-vous pour la localiser ?" » Brice Hortefeux, comme toujours, a exécuté sans discuter l'injonction de son mentor.
Finalement, au bout de plusieurs heures d'une attente angoissée, Claire Thibout est informée par téléphone qu'une équipe de la BF [brigade financière] va descendre de Paris tout spécialement. Ils débarquent à 19 heures. « Ils m'ont fait peur, ils étaient quatre hommes et une femme et ont surgi par la cuisine plutôt que par l'entrée principale. Ils ont dit à mes cousins de "dégager", puis m'ont lancé : "Vous savez pourquoi on vient." Ils m'ont dit qu'ils voulaient me questionner sur l'interview accordée à Mediapart, qu'ils allaient m'interroger au commissariat de Nîmes où, disaient-ils, ils ne pourraient pas me mettre en garde à vue. Ils me font comprendre que je peux refuser, mais que cela risque de m'attirer des ennuis. Ils m'informent que, après une nouvelle audition, ils me laisseraient retourner à Fourques mais me ramèneraient à Paris le lendemain matin ! Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. J'ai pris mon portable avec moi car ils m'avaient dit qu'ils ne me reconduiraient pas à Fourques, qui est à une trentaine de kilomètres de Nîmes. » « Dans la matinée du jeudi 8 juillet, alors que Claire Thibout n'est sortie du commissariat de Nîmes que depuis quelques heures, le site Internet du Figaro met en ligne un papier titré : « Claire Thibout dénonce "la romance de Mediapart" ». L'article n'est pas signé, ce qui est parfaitement aberrant pour une information de cette importance, et s'appuie sur des extraits tronqués de la déposition de la comptable recueillie quelques heures plus tôt seulement par la PJ. Jamais sans doute un procès-verbal n'avait fuite aussi rapidement. Ce n'est pas tout : le site reproduit un extrait soigneusement choisi du PV en fac-similé (l'édition papier du quotidien fit de même, en une, le lendemain). » Et la fuite fut, quasi explicitement, signée Guéant. Claire Thibout simple témoin a donc été traitée comme une criminelle et quasiment contrainte de revenir sur une partie de ses propos accusateurs.
Cette violence d’état au service du fait du prince (ou de sa protection judiciaire, voire privée), on la retrouve tout au long des autres cas. Ici, le préposé aux basses œuvres est Courroye.
Il est remarquable de voir, alors que Guéant, à l’époque son plus proche collaborateur faisait fuiter des photocopies de PV en direct au Figaro, que Sarkozy entre dans une violente colère quand il découvre que Le Monde révèle une audition de P. de Maistre mettant en pièces des mensonges de Woerth. Il ordonne à Péchenard et à Squarcini de trouver l’origine des fuites. En toute illégalité, la DCRI se fera remettre les fameuses fadettes, relevés des appels, d’un journaliste qui permettront de remonter jusqu’à David Sénat, magistrat, au cabinet de MAM. Non content de le virer, on le fera mettre en examen pour une sombre affaire dont il sortira innocenté.
Car Sarkozy ne se contente pas de sanctionner arbitrairement, il en rajoute toujours, quand il peut, dans l’humiliation, l’avilissement. « Lui fonctionne au mépris, à l’intimidation. Et cela ne fait que poser le problème de sa capacité à exercer son métier, celui de Président de la République. » confiera un des enquêtés. Un autre dira : « Sarkozy, si on n’a pas les moyens de lui résister, il écrase. Sinon, il s’incline, car c’est un trouillard. » « Mettre plus bas que terre quelqu’un pour montrer qu’on est fort, c’est une forme de lâcheté ».
« Quand il prend quelqu’un en grippe il veut le tuer », dit Y. Bertrand.
Le personnage n’est capable d’aucune maîtrise de soi. Sarko fou furieux, fulmine, peste, livide, au bord de l’explosion ; en furie, il éructe ; déferlement de violence verbale ; il débarque tout fulminant, il ne décolère pas ; crises de rage folles, lit-on au fil des témoignages. « Cécilia le décrivait comme un homme colérique capable d’une incroyable violence, au moins verbale » V. Donain (auteure d’un livre pilonné sur pression de Sarko). « II fait preuve d'une impulsivité pour le moins étrange à ce niveau de responsabilité. » (D. Bouton, ex-patron de la Société générale)
On aurait donc pu taxer de caricatural le portrait que fait de lui l’humoriste Didier Porte, si tous les témoignages ne le confortaient pas : « Je suis frappé par la dimension pathologique du personnage, il a la mentalité d'un gamin de 14 ans. Pour moi, en tant qu'humoriste, ça sautait aux yeux dès le début. On a tous connu des gens comme ça au lycée. Moi, je fais 1 m 68 mais j'ai arrêté les talonnettes à 16 ans et demi, lui, il continue d'en mettre à 56 ans, c'est hallucinant ! J'ai toujours trouvé incroyable que l'on confie les rênes du pays à un type manifestement immature. C'est comme quand il a dit que, s'il était si bas dans les sondages, c'était parce qu'il avait un super job et une super femme, et que tout le monde était jaloux de lui ! »
Le récit de J. P. Havrin, commissaire de police à Toulouse, expérimentateur de la police de proximité, est instructif. Après avoir salement humilié devant les caméras de TV les policiers de base qui œuvraient au Mirail, le ministre de l’intérieur demande « Où est la BAC ? » (…) d'un ton plein de reproche, sans doute désireux de se faire présenter les effectifs de la brigade anti-criminalité. « Et moi, un peu insolemment je l'avoue, mais il était tellement désagréable que je n'ai pas pu m'empêcher, je réponds : "La BAC ? Mais comme tous les jours, monsieur le ministre, elle est sur le terrain, elle arrête les voyous." Je l'ai vu pâlir, il était déjà énervé, mais ma réponse l'a rendu encore plus furax. "Vous vous foutez de ma gueule en plus ?" m'a-t-il lancé. En fait, je l'avais vu à l'œuvre toute la journée, c'est quelqu'un qui arrive à s'auto-énerver, il s'était chauffé tout seul pour être le plus cassant possible », estime Jean-Pierre Havrin.
Pour lui, l'affaire ne fait évidemment pas de doute : « Toute cette journée avait été parfaitement organisée, les incidents mis en scène. Sarkozy est venu à Toulouse dans le seul but de nous faire passer pour des guignols. C'était un coup monté contre la pol'prox'. »
Ses sbires policiers sont aussi employés dans ses affaires privées. Ainsi, quand les bruits commencent à courir sur ses mésaventures conjugales avec Cécilia – bruits en fait répandus par le bavard Charon, un de ses proches – un pauvre sous-préfet, chargé de communication à la préfecture de police, G. Dubois, sera accusé de « délit de ricanement » par C. Guéant. Et viré. Il est vrai qu’il avait le tort d’être un fidèle de Philippe Massoni, ex-Préfet de police que Guéant ne peut piffrer. Car, en arrière plan, il ya aussi un panier de crabes policiers, où les sarko boys règlent leurs comptes avec les flics fidèles à Chirac et Villepin. Le mari trompé exercera aussi sa hargne contre Genestar, patron de Paris-Match, coupable d’avoir mis à la une l’épouse avec son amant. Plus tard, « l’affaire Dati [illustrera bien] ce jusqu’au-boutisme, celui d’un homme prêt à tout pour éviter la propagation d’indiscrétions » sur sa vie privée. La DCRI de Squarcini, sur ordre de Péchenard, Directeur général de la police, va donc enquêter sur des rumeurs sur sa vie conjugale avec sa 3e épouse. Là encore, saisie illégale de fadettes et mise en cause de Rachida Dati. (Mais celle-ci devait avoir des biscuits, car elle n’hésita pas à dénoncer publiquement cette suspicion.) Le plus cocasse sera quand même le limogeage d’un préfet pour n’avoir pas su régler les problèmes de ch…… de sa belle-doche, au Cap Nègre.
Mais cet homme, si soucieux de la préservation de sa vie privée, n’hésitera pas à faire fuiter une plainte tout-à-fait privée d’Aurélie Filipetti, députée proche à l’époque de Mme Royal, contre son compagnon : elle avait eu l’impudence extrême de rappeler des promesses faites aux sidérurgistes de Gandrange et non tenues.
Bizarrement, alors que l’infirmière et la greffière ont capté l’attention, le témoignage de Jacques Dupuydauby n’a pas été relevé. Il dévoile pourtant le cynisme et l’absence de scrupules du jeune Sarkozy qui venait de ravir la mairie de Neuilly au nez et à la barbe de son protecteur Pasqua. Il s’invite presque chez cet homme d’affaires dirigeant une grande entreprise, à son siège social à Neuilly. Il lui sort : « "Maintenant, parlons de la suite de ma carrière." Et là, il a commencé à me décrire, avec un aplomb invraisemblable pour un type de son âge, ce qu'il pensait que serait son parcours politique. Il m'a dit qu'une fois élu député, il serait secrétaire d'État, puis ministre. Ensuite, bien sûr, il viserait Matignon. Et enfin, pourquoi pas l'Elysée ! Je n'en revenais pas, j'étais soufflé. »
« Après m'avoir déroulé son projet de carrière, il m'a dit : "Vous le savez, pour une carrière politique d'envergure, il faut de l'argent, beaucoup d'argent." Il a enchaîné par cette phrase que je n'oublierai jamais : "II y a deux catégories de personnes: celles qui vont m'aider, qui seront mes amies, et celles qui ne vont pas m'aider, qui seront mes ennemies." Il a poursuivi : "J'ai un cabinet d'avocats. Prenez-moi comme avocat-conseil et tous les mois je vous enverrai une facture." Je lui ai répondu : "Mais notre société a déjà des avocats, vous ferez quoi ?" Il a souri et m'a lancé : "Allons, vous comprenez bien ce que je veux dire, non ?" Bien sûr que j'avais compris. Il voulait une convention d'honoraires pour des prestations fictives. »
D'un geste du bras, Jacques Dupuydauby mime Nicolas Sarkozy : « II a sorti un papier de sa poche : il avait préparé un projet de contrat ! (…) Il y avait un montant mensuel inscrit dessus, c'était très élevé. Mais en même temps très malin : il savait bien que, pour une boîte aussi énorme que la SCAC (…) ce serait passé comme une lettre à la poste. (…) Je lui ai dit que je ne mangeais pas de ce pain-là, que quand je payais des avocats, c'était pour qu'ils travaillent. Il l'a très mal pris, le repas s'est fini là-dessus Avant de partir, il m'a lâché : "Je m'en souviendrai." Il a tenu parole**, effectivement, il s'en est souvenu ! Ce déjeuner m'a coûté cher, il m'a même pourri la vie ! »
A 28 ans, tout Sarkozy est là : des dents qui rayent le parquet, une impudence extrême, aucune valeur morale.
* Non content de donner des leçons de Code Pénal à la juge Prévost-Desprez, Jean-Michel Aphatie, l’insupportable donneur de leçons de RTL-Canal +, s’en prend à ses confrères : "Cette histoire d'Isabelle Prévost-Desprez, c'est une faillite totale du journalisme. Isabelle Prévost-Desprez dit quelque chose et les journalistes répercutent ce quelque chose sans vérifier ». Il s’agit d’un entretien : ces journalistes auraient fait une faute professionnelle s’ils n’avaient pas transcrit ces propos de la juge (qu’elle a relu attentivement). Le démenti de l’infirmière s’auto-dementit quand elle ajoute qu’elle a subi de fortes pressions (voir le cas de C. Thibout).
** Plus tard, en concurrence avec Bolloré en Afrique, notamment la concession des ports, Dupuydauby perd celle de Lomé "Fin 2007, Faure Gnassingbé [président du Togo], m'explique, très embarrassé, qu'il a rencontré Sarkozy à Lisbonne, qui lui avait qu'il fallait me retirer la concession du port et la donner à Bollré, sinon il empêcherait sa réélection."
Sarko m’a tuer _ Gérard Davet et Fabrice Lhomme _ éditions Stock
Pour compléter : http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4271