Dès mon premier billet, j’avais fait mention de la fascination qu’exerce sur moi Tanger. J’ai lu quantité de bouquins sur cette ville mais je viens de dévorer « La chienne de vie de Juanita Narboni » livre pour lequel Juan Goytisolo, qui en signe l’introduction, parle de prouesse. Publié en Espagne en 1976, il a été traduit et édité cette année en France.
Voilà donc un soliloque de plus de trois cents pages où Juanita, Tangéroise modeste issue d’une mère andalouse et d’un père britannique (de Gibraltar) livre
en vrac sa perception du quotidien par le biais de dialogues avec elle-même, d’apartés qui soulignent l’hypocrisie des conventions et de conversations imaginaires, à sens unique, avec sa mère
après le décès de celle-ci comme pour, en permanence, meubler sa solitude sans perspective. Pas de cohérence, pas de hiérarchie dans ce qu’elle rapporte : les anecdotes quotidiennes, les
mutations politiques, les pérégrinations dans la ville, les époques, les appartenances religieuses, tout s’enchevêtre: « Juanita est une caisse de résonance où l’essentiel et
l’accessoire se mêlent » souligne Juan Goytisolo. Et pourtant, ce flot verbal, à condition de posséder les éléments de l’histoire de Tanger depuis l’entre-deux-guerres jusqu’à son
rattachement au Maroc, nous permet (outre d’essayer de cerner la personnalité de Juanita) d’approcher le cosmopolitisme de la ville et les rapports sociaux pendant cette période. Un détail m’a
paru particulièrement significatif : lorsque la fidèle Amrouche, sa bonne depuis des décennies, disparaît brusquement, Juanita est dans l’incapacité de retrouver sa trace parce qu’elle
ignore son nom de famille et l’endroit où elle habite…
Angel Vazquez (Tangérois de naissance) traduit le tumulte de la tête de Juanita par un verbe étourdissant, pimenté de tournures étrangères ou typiques ; geignarde ou drôle,
tendre ou rosse, la langue-kaléidoscope de Juanita s’adapte à toutes les situations, tout au long du texte. C’est un véritable exploit et ça doit être un régal de le lire en V.O. Toutefois, la
traduction française respecte astucieusement le « melting pot » linguistique et on apprécie.
En quatrième de couverture, l’éditeur signale que «ce texte hors norme figure au classement des dix romans les plus importants depuis la transition démocratique établi par le quotidien EL PAÍS ». C’est amplement mérité :
UN LIVRE EPATANT !
La chienne de vie de Juanita Narboni (Angel Vazquez Traduit de l'espagnol (tangérois) par Selim Chérief Ed. Rouge Inside 20€)
Ce livre a donné lieu à un film de Farida Benlyazid.