Le doigt dans l’œil… et ça fait mal !
Sortie du rapport Attali, je découvre, parmi les 43 membres de la commission censée trouver la pierre philosophale pour libérer la croissance de la France, le nom de Jean Kaspar. Cet ex-secrétaire général de la CFDT avait animé une table-ronde d’un colloque d’Education & Devenir, association dont je suis le ouèbemaître. Je croyais donc tenir le scoop en suscitant les commentaires d’un des co-auteurs du rapport.
Un questionnaire un peu musclé – un ex-syndicaliste n’aura pas peur du parler franc – et j’obtiendrais des explicitations sur des propositions apparemment libérales (au sens doctrinal du mot) qu’il avait cautionnées.
Comme j’avais comparé la composition de la commission à celle fameuse du pâté d’alouette (une alouette, un cheval), il feint de prendre cette alouette de social opposée à un cheval de capital, pour une attaque personnelle : Votre jugement sur la composition de la commission est vexant pour l'alouette que je suis à vos yeux.
Et la réponse à un questionnement à la troisième personne va prendre ce ton de contre-attaque personnelle : j'aurais aimé que vous mettiez en avant, pensez-vous sérieusement…
D’explicitation point, mais de la langue de bois si ! Je pense que sur l'ensemble des mesures, il y a une majorité d'entre-elles qui s'impose que l'on soit de gauche ou de droite. Une telle démarche s'impose d'autant plus qu'il me semble essentiel, sur une question aussi fondamentale que l'École, de dépasser quelques clivages pour les transcender dans une volonté commune pour mettre l'école et la formation des enfants et des jeunes au centre des préoccupations et de l'action de notre société. Voilà qui rappelle un peu le discours pouvant servir en toute circonstance de Pierre Dac.
Sur la composition de la commission, il était noté qu’elle ne comportait aucun expert de l’éducation qui aurait au moins permis d’éviter de parler d’établissements élémentaires qui n’existent pas au sens juridique du terme. Réponse des plus cocasses : Votre raisonnement fait penser que vous estimez que seuls les spécialistes peuvent avoir un raisonnement pertinent. Par comparaison, cela conduit à considérer que l'économie doit être laissée aux économistes, l’exemple des économistes étant le plus mal choisi, puisqu’outre l’omniscient Président, la commission comptait pas moins de cinq économistes affichés ! mais foin d’expertise en éducation, puisque j'ai enseigné comme professeur Associé à l'Université de Marne-la-Vallée pendant près de 10 ans. Je continue à animer quelques cours au CNAM, à Sciences-Po et à l'IAE de Paris. Et Attali lui-même d’en rajouter une couche dans un courriel : il y a plus de DOUZE prof dans la commission : Toi, moi, Eric Orsenna, Delpla, Weinberg, Villeroy, Lebras, Monti, Aghion, Boissieu, Bassanini, Zeldin Enseigner à Harvard, par exemple, donne bien sûr une parfaite connaissance du système éducatif et tout particulièrement de l’enseignement élémentaire et secondaire !
A la réception du document, je lui faisais part de ma déconvenue : « Votre réponse m'a laissé quelque peu abasourdi.
Comme disait le "camarade" Jacques Julliard, du temps où il était au BN de la CFDT (et aussi à la Commission exécutive du sgen), vous avez fait une lecture symptomale du questionnement. Le mot d'Attali que vous m'avez fait suivre est affligeant, avec cette énumération d'intervenants dans l'enseignement supérieur entre autres activités, ce qui apparemment ne leur a pas donné le temps de savoir qu'il n'y a pas à proprement parler d'établissements élémentaires à qui accorder une plus grande autonomie (qui ne voudrait pas dire grand chose d'ailleurs pour nos écoles à classe unique ou à deux ou trois classes).
J'ai tenté de répondre à vos "commentaires" dont le ton crispé est malheureusement au diapason de celui de M. Attali qui semble considérer toute critique comme une insulte personnelle.
Heureusement "Le chat" est venu me consoler de ma grande déconvenue (j'espère que Geluck me pardonnera un petit détournement de bulle), car naïvement j'attendais une réponse précise, argumentée, développant les raisons qui justifiaient telle ou telle proposition, réponse qui aurait pu provoquer un vrai débat parmi nos adhérents et au delà. Sorry, »
Ce « sorry » faisait écho à une réponse sur l’enseignement de l’anglais, ajouté au socle commun avec l’informatique, l'utilisation de l'informatique et la maîtrise de l'Anglais dès le plus jeune âge, fait partie, que cela plaise ou non, des fondamentaux Que voilà une réponse argumentée, même s’il s’agit d’argument d’autorité.
Des interrogations précises sur la façon de gérer un vivier national de profs où les établissements viendraient puiser, sur l’absence d’incitation à un travail plus collectif des enseignants sont restées sans réponse.
Ne parlons pas des « droits à l’école » façon pudique de désigner des chéques éducation modèle Madelin, là encore une réponse en LdB massif et imputrescible : Les propositions de la commission ne traduisent pas une vision marchande mais un ensemble de mesures qui devraient nous permettre d'améliorer réellement notre système éducatif, de le rendre plus efficace en démontrant qu'il représente réellement un service d'intérêt général ayant pour objectif de permettre à chaque enfant de progresser sur le chemin des connaissances, de se construire un parcours professionnel, de comprendre le monde dans lequel il vit pour devenir un acteur de son destin et de lui donner envie de participer à la construction de notre destin collectif.
Jean Kaspar ne comprit pas mon abasourdissement : Ce petit mot, et ce sera le dernier, sauf si nous trouvons le moyen de débattre vraiment.
Je suis étonné que vous ayez été "abasourdi" par ma réponse.
Ma réaction s'explique par le fait que votre texte du 24 janvier distillait à la fois des interrogations et … des jugements de valeur.
Je vous cite :
"La composition même de cette commission pour la libération de la croissance est intéressante : sur les 45 membres, sauf erreur, 15 sont patrons auxquels on peut ajouter 1 DRH et 1 avocat d’affaires ; en face, outre l’ancien secrétaire général de la CFDT que vous êtes, une représentante de l’économie sociale et une autre de la défense des consommateurs (une alouette de social, un cheval de capital) ; mais, bien que l’éducation soit présentée comme l’ambition 1, aucune personnalité qui puisse apporter une expérience réelle sur ce sujet".
Une telle phrase montre bien qu'au-delà de la question sur la composition de la commission, vous induisez, sans attente une réponse, un jugement sur la nature même de nos travaux que vous renforcez quand vous écrivez (certes, sous forme d'interrogation) :
"(un seul exemple : un André Legrand, ancien recteur, directeur ministériel des lycées et des collèges, ex-président de l’université de Nanterre, éminent juriste n’eut-il pas pu apporter un regard plus sûr que celui d’un ex-patron de Volvo vantant une mesure prise par la majorité libérale en Suède ?)"
Plus loin, vous indiquez que notre proposition de "Permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants" avec l’instauration d'un chèque éducation, traduirait une logique de marchandisation de l'éducation puisque vous écrivez, je vous cite :
"...comme le préconisait, il y a plus de 20 ans le libéral Alain Madelin. Cette vision d’un marché de l’éducation…"
Ce type d'argumentaire illustre bien des a priori idéologiques.
Je peux comprendre que l'on puisse discuter certaines de nos mesures mais ne croyez-vous pas que pour engager un débat positif et utile, il est toujours préférable de souligner :
- que le travail effectué répond à de vraies questions ;
- que certaines propositions vont dans le bon sens (à moins que les 43 membres de la commission ne soient tous "à côté de la plaque", des idéologues forcenés accros de libéralisme ou des incompétents notoires !). J'aurais aimé, pour engager un vrai dialogue, que vous me disiez les 5, 10, ou plus peut-être, propositions sur lesquelles vous êtes d'accord ;
- en mettant enfin l'accent sur les propositions qui méritent explications et celles sur lesquelles vous pouvez légitimement être en désaccord.
J'en reste là sauf si nous trouvons les modalités d'une vraie discussion, car "l'alouette" n'a jamais eu peur du débat. Elle demande simplement qu'il se déroule sans sous-entendu et sans jugements a priori."
Si je comprends bien, J. Kaspar était prêt à répondre à toutes les questions sous réserve qu’elles soient formulées comme il l’entendait En cela, il rejoint son chef de file qui, à Poujadas ou Demorand, leur tint à peu près le même langage.
Dois-je donc, retrouvant mes racines chrétiennes, faire mon mea culpa et me couvrir la tête de cendres ? On voit bien – ne serait-ce qu’avec cette « alouette » à contre sens complet, puisque l’image serait plutôt flatteuse : il faut quinze patrons pour faire contrepoids à trois représentants du social – que le débat était refusé a priori. Rappeler qu’Alain Madelin essayait de promouvoir le chèque éducation il y a plus de vingt ans est éminemment idéologique. Affirmer que ledit chèque éducation marche bien en Suède (à partir de quel travaux précis, si ce n’est pas le témoignage de l’ex-patron de Volvo qui fonde cette affirmation ?) n’est pas idéologique. Si je comprends bien, pour Monsieur Kaspar, l’idéologie, ce sont les idées des autres.
Et alors ? et oilà ! comme disait Roro de bab-el-oued, autrefois, dans le Canard Enchaîné..
La page Attali-Kaspar a fait un bide : même pas un petit paragraphe de l’Expresso du Café pédagogique (André Giordan a cependant réagi pour rappeler son jugement, sévère, sur le rapport Attali s’agissant d’éducation).
Le scoop ne fut qu’un pétard mouillé !
commenter cet article …