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14 janvier 2022 5 14 /01 /janvier /2022 21:31
Une histoire érotique de l’Eglise

Cette « histoire érotique de l’église », on se demande pourquoi, me fut signalée par un ami de longue date. Il me fallut donc y jeter un regard attentif. Mais peu concupiscent. Car pas de scènes torrides et lubriques, dans cet ouvrage d’une historienne, qui se consacre à l’époque moderne un peu élargie, puisqu’elle borne son étude entre le concile de Trente (1545‑1563) et l’autorisation du mariage des prêtres par la Convention (27 novembre 1792).  Peu de rapport, direct en tout cas, avec les scandales qui secouent aujourd’hui l’église. La pédophilie, à l’exception de l’abbé Desfontaines qui abusait de quelques petits Savoyards qui ramonaient sa cheminée, abbé qui inspira le personnage de Dom Bougre, n’apparaît guère. On peut noter aussi des vers de Claude Le Petit expliquant que si les Jésuites sont devenus pédagogues c’est par pure sodomie,/Et ce n’est pas sans fondement. Mais pour l’essentiel, Myriam Deniel-Ternant,  nous fait découvrir « ce que furent, de la Renaissance au siècle des Lumières, les frasques multiples des gens d’Eglise, prêtres ou nonnes, simples moines comme hauts dignitaires. Des religieuses lubriques font le mur des couvents, des prostituées se spécialisent en clients ecclésiastiques, des confesseurs lutinent à domicile de délurées donzelles, tandis que des groupes de curés s’adonnent, de préférence en plein air, à des réjouissances entre hommes… », comme le décrit Roger-Pol Droit.

« L’abbé Desfontaines fut sur le point d’être cuit en place de Grève pour avoir abusé de quelques petits Savoyards qui ramonaient sa cheminée ; des protecteurs le sauvèrent. Il fallait une victime : on cuisit Deschauffours à sa place. » Ce Desfontaines, dénoncé par l’abbé Théru comme attirant des jeunes gens chez lui pour les corrompre en les faisant coucher avec lui, est finalement inquiété, poursuivi et incarcéré à Bicêtre. Libéré par l’entre­gent voltairien, il ne témoigne d’aucune reconnaissance. La plume du philosophe ne le lui pardonne décidément pas, de sorte qu’en 1736, Voltaire écrit encore : Adieu, trop méchant prêtre,/Tiré de mon crédit/ Du château de Bicêtre/Pour le péché maudit/Qui fait brûler son maître,/Soins honteux que j’ai pris/D’un fripier d’écrits/Sur la sellette dure/Où siégea Deschauffours/Lorsqu’en humble posture/Tu parus l’autre jour,/Craignant la brûlure...

 

Une histoire érotique de l’Eglise

Curés et moines paillards, nonnes friponnes, des fabliaux à nos jours, dans la littérature, le dessin, la peinture ou plus tard la photo, sont des thèmes inépuisables. Ainsi l’historienne évoque Rabelais et les moines qui, pendant que les maris sont en pèlerinage à Rome, biscottent les épouses. Clément Marot en 1527, dans la 7e épitaphe, feint de s’inquiéter de la propagation de la vérole au paradis depuis que s’y trouve le frère Jean Lévêque, cordelier d’Orléans. François Vatable Béroalde de Verville dans  Le Moyen de parvenir conte les exploits d’un moine qui, ayant coincé une bachelette et voulant la besogner debout, pris sa soutane entre les dents, troussa la robe de la donzelle d’une main pour la foutiller de l’autre. La Vie voluptueuse entre les capucins et les nonnes conte aussi la vie dissolue de ces capucins qui, non content d’abuser de dévotes, pervertissent des couvents entiers de nonnettes, comme l’Abbaye royale de Fontevraud ! Et dans Vénus dans le cloître soeur Angélique initie soeur Agnès aux plaisirs saphiques, ce qui n’empêchera pas les deux religieuses de se donner à de jeunes abbés et directeurs de conscience. L’auteur, qui se cache sous le pseudonyme de l’abbé du Prat, est Jean Barrin, grand chantre de la cathédrale de Nantes et grand vicaire du diocèse. Fontevraud, Nantes, les pays de Loire furent donc riches en galipettes monastiques.

Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise

À Niort, entre 1730 et 1770, sur les sept maisons religieuses que compte la ville, seize grossesses proviennent de relations illégitimes de religieuses carmélites et ursulines, tandis qu’à Montmorillon, en 1767, deux jeunes professes en fuite déclarent à la sénéchaussée qu’elles veulent échapper aux « pratiques de débauche de ce couvent, qui accueille tous les hommes de rang de ce lieu pour satisfaire leurs désirs ».

L’exemple vient de haut ! Au Cardinal Mazarin – il est vrai n’ayant été que tonsuré et jamais prêtre, malgré la pourpre – on prête, dans les mazarinades des pratiques dites italiennes ; ainsi Scarron en fait un Sergent à verge de Sodome/Exploitant partout le royaume,/Bougre bougrant, bougre bougré,/Et bougre au suprême degré,/Bougre à chèvres, bougre à garçons/Bougre de toutes les façons. Un autre rimeur en fait l’amant de la régente, Anne d’Autriche : Les couilles de Mazarin,/Homme fin/Ne travaillent pas en vain/Car à chaque coup qu’il donne,/Il fait branler la couronne...

Une histoire érotique de l’Eglise

Madame du Tencin

Il court, il court, le furet

Le furet du bois, mesdames,

Il court, il court, le furet

Le furet du bois joli

Il est passé par ici,

Il repassera par là.

C’est un autre Cardinal, à l’époque curé, Guillaume Dubois, principal ministre non plus d’une régente mais du Régent, qui a inspiré cette comptine. « En plus de sa liaison notoire avec Mme de Tencin, l’ecclé­siastique est réputé fourrer les tendrons, à tel point qu’un aphorisme tourne en dérision la réception de sa pourpre cardinalice en 1721 : « Le pape est un fin cuisinier, qui sait faire d’un maquereau un rouget. » » explique l’historienne.

« On n'a aucune idée quantifiée de la sexualité des hommes d'église à cette époque. »

Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise

Le concubinage, plus ou moins notoire, semble être fréquent chez les curés de province. « La visite pastorale de 1615 dans le chapitre rural de Saverne révèle que sur 24 curés, 20 ont une concu­bine. ». Liaisons ancillaires souvent : « dans le diocèse de Cambrai aux XVIIe et XVIIIe siècles, sur les 48 cas de vie maritale, 30 impliquent les servantes des ecclésiastiques concernés. »

Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise
Une histoire érotique de l’Eglise

Une part substantielle de l’ouvrage repose sur les affaires arrivant en justice. Avec la création des inspecteurs de police, par d’Argenson, lieux publics, en particuliers les parcs, hôtels, chambre garnies et bien sûr, les maisons publiques où parfois des prostituées se spécialisent dans la clientèle ecclésiastique furent surveillés. Certains de ses policiers, avec leur réseau de mouches, leurs indics, se spécialisent aussi dans la traque du curé s’égarant dans les bras d’une femme du monde (eh oui ! c’est ainsi qu’on nommait les dames qui faisaient commerce de leurs charmes). « Entre 1750 et 1765, 970 procès-verbaux témoignent de cette « chasse aux abbés » environ 820 membres du clergé sont surpris en flagrant délit chez les filles publiques de Paris, à une ou plusieurs reprises. »

Une histoire érotique de l’Eglise

Hier, dans un lupanar de la rue Jean-Pain-Mollet, on surprit six religieux, trois du couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, les pères Urbain de Cerisy, Noël Brochaut, Louis Rimalhot, deux cordeliers de la grande Observance, les frères André Duval, Joseph de Lamyre, un carme de la rue Saint-Jacques, le frère Honoré Fillastre, tous six nus comme des vers, la tête coiffée d’un bonnet de filles, qui, nues pareillement, dansaient avec eux, et de leur côté, s’étaient entortillé le cou d’une partie du vêtement des moines.

Une histoire érotique de l’Eglise

D’autres inspecteurs se consacrent à la chasse aux abbés sodomites. Le bois de Boulogne est à cette époque un haut lieu de drague homosexuelle qui est donc un sport de plein air. Sauf que d’autres terrains d’échanges plus discrets, à commencer par les séminaires, échappent à la vigilance policière.

Une histoire érotique de l’Eglise

L’ouvrage fourmille donc d’anecdotes souvent cocasses. Il en ressort que ces entorses flagrantes – non pas au célibat imposé - mais à l’interdiction générale de fricoter hors mariage (le vœu de chasteté n’existe que pour le clergé régulier) semblent bénéficier d’une assez grande indulgence. Les trois quarts des procès verbaux des limiers, ayant surpris un ecclésiatique en flagrant délit avec une fille publique, se concluent par une formule laconique : « A été relaxé. » Il faut donc que les récalcitrants, qu’on appellerait aujourd’hui récidivistes fassent preuve de persévérance pour subir un châtiment. Il faut parfois que ce soit la famille qui demande l’embastillement d’un fautif devenu scandaleux. Pour le clergé régulier, le moine ou la nonne en goguette est amenée à son institution qui délivre les sanctions en interne.

Parler ici de loi du silence, comme on l’a connue dans les affaires de l’époque contemporaine, serait sans doute anachronique. Même si le Concile de Trente a installé des séminaires pour assurer une formation, beaucoup d’abbés, sans parler des évêques, n’y ont pas été formés. Beaucoup de malheureuses, dans les couvents, ont été mises là par leurs familles, sans aucune vocation. Comme le note Roger-Pol Droit « le plus intéressant, dans ce musée insolite, est sans doute l’absence massive de culpabilité. Aucune torture mentale au rendez-vous. »

Une histoire érotique de l’Eglise

 « Une histoire érotique de l’Eglise. Quand les hommes de Dieu avaient le diable au corps », de Myriam Deniel-Ternant

Payot, 364 p., 21 €, numérique 16 €.

Une histoire érotique de l’Eglise

Myriam Deniel-Ternant

La possédée de Toulon

Une histoire érotique de l’Eglise

En 1728, précédée par sa réputation de piété, Marie-Catherine Cadière, alors âgée de 19 ans, prend pour direc­teur de conscience le père Girard, 47 ans, connu pour sa propension à « faire des saintes ». Il l’isole dans le couvent d’Ollioules, où elle connaîtrait convulsions, transfigurations, prescience, lévita­tion, extases et stigmates. Ces derniers serviraient de prétexte à des séances de déshabillage et d’attouchements. La relation prend une tournure charnelle accentuée, comme la jeune fille en témoigne :

Quand le Père Girard me trouvoit au lit après avoir fermé la porte à la clef, il se mettoit à mon côté ; et me tirant au bord du lit, il me passoit un de ses bras par derrière et l’autre par devant ; d’autre fois il me découvroit et me baisoit de moment à autre, souvent il me faisoit découvrir et portoit ses mains par toutes les parties de mon corps, comme j’étois sujette à des défaillances ; je ne puis pas répondre de ce qu’il faisoit lorsque j’étois dans cet état, je me souviens seulement que revenue à moi, je me trouvois dans des états, qui dans la suite m’ont donné à connoître que le Père Girard ne s’étoit pas contenté de me regarder

Les descriptions de la Cadière laissent en outre penser que l’ecclésiastique l’aurait initiée à la flagellation et à la sodomie, circonstance aggravante de pratiques et de positions jugées inacceptables par les théologiens. Il aurait de surcroît fomenté son avortement, en lui faisant ingérer quotidiennement un liquide suspect, suite à une interruption prolongée de ses menstruations.

Oh écoutez avec horreur

L’histoire

D’un grand directeur

Qui a baisé la soeur Cadière

Et par devant et par derrière

Et par derrière et par devant.

 

Le procès aboutit à un non-lieu prononcé le 10 octobre 1731.

 

L'histoire inspira "Thérèse philosophe".

Une histoire érotique de l’Eglise

L'iconographie sur les frasques ecclésiastiques est inépuisable !

Quelques échantillons

 

Et d'abord des illustrations du Catéchisme libertin, à l'usage des filles de joie et des jeunes filles qui se décident à embrasser cette profession

Une histoire érotique de l’Eglise
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Autres illustrations :

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