Le Monde a ouvert ses colonnes à une enquête originale d’universitaires sur le mouvement des « gilets jaunes », enquête intéressante, mais à manier avec précaution.
Au plus fort de leur mobilisation, le 17 novembre, les gilets jaunes ont réuni à peine 300 000 personnes. Quant au nombre, même si les chiffres affichés à l’époque sont exagérés, on est loin de la mobilisation des cagots anti-mariage pour tous. Depuis, il en reste à peine une petite moitié active le samedi.
Le peuple, au sens institutionnel - Ensemble des citoyens d'un pays qui exercent le droit de vote pour désigner leurs gouvernants - était de 47,5 millions d'électeurs inscrits (et, en ne retenant que les votants, 37 millions au 1er tour de la présidentielle). Donc les gilets jaunes ne représentent même pas 1% des électeurs actifs.
Impossible donc que des sondages classiques puissent analyser quoi que ce soit de ce mouvement puisque dans un échantillon classique, de l’ordre de 1000 sondés, ils sont à peine 10 et même dans des enquêtes plus lourdes avec plus de 10 000 sondés, ils seraient à peine 100. Les sondages ne peuvent rendre compte que du soutien d’une large majorité de sondés pour ce mouvement.
Échantillon de Gilets jaunes mobilisés aux Sables d’Olonne le 15/12/2018.
Le Monde, le 12/12/18, a publié une enquête auprès de « gilets jaunes » (GJ) lancée par une équipe d’universitaires (sociologues, politistes et géographes). La double page ne rend compte que des résultats d’un questionnaire, posé en face à face direct (et non en ligne) à 166 personnes, questionnaire administré dans des manifestations, sur des ronds-points ou à des péages. L’équipe nous promet, entre autres, une « analyse lexicométrique des réseaux sociaux », une cartographie, etc.
Bien qu’ils ne soient pas présentés comme tels, les résultats du questionnaire, sous forme de diagrammes, peuvent être pris comme donnant une image de l’ensemble des gilets jaunes mobilisés au lendemain du 17 novembre. Ainsi les deux graphiques sur leur positionnement sur une échelle de droite à gauche est reprise sur fessebouc pour démontrer que nos GJ sont quasi des gauchistes (presque 32% de ceux qui se situent politiquement sont sur les deux cases de l’extrémité gauche tandis qu’à peine 6% sont à l’extrème-droite). Mais les intertitres de l’analyse de ses résultats les présentent aussi comme une image du mouvement des GJ : « Des manifestants d’âge moyen », « Un mouvement mixte », etc. Et nos analystes eux-mêmes ne résistent pas à la tentation de la généralisation : « cette révolte est bien celle du « peuple » – comme se revendiquent nombre de personnes interrogées – au sens des classes populaires et des « petites » classes moyennes, celle des revenus modestes. ». Et comme seules deux personnes sur les 166 ont mentionné l'immigration, ils en déduisent qu'il faut "reconsidérer les analyses qui font du mouvement une émanation de l'extrème-droite".
Or, si les résultats de ce questionnaire donnent une image de ce mouvement, c’est une image diffractée, sans qu’on puisse estimer le coefficient de diffraction. Et son relatif succès tient plus à son pouvoir de nuisance, en dehors même de la violence constatée dans les mobilisations urbaines du samedi, par le blocage de ronds-points et des péages, qu’au nombre de personnes mobilisées.
Pour compléter :
L’étude sur les gilets jaunes publiée dans le journal Le Monde : une tribune politique maquillée en propos scientifique
On a épluché les profils Facebook des porte-parole des Gilets jaunes
Qui relativise l'appel à "reconsidérer les analyses qui font du mouvement une émanation de l'extrème-droite".
Voir aussi :
Les "gilets jaunes" représentent-ils vraiment le peuple ?
"...une minorité, même très mobilisée, même bénéficiant d’un soutien de l’opinion publique, ne peut pas se substituer à la majorité et effacer les résultats des élections. Les "gilets jaunes" sont un mouvement d’ampleur, mais on n’a jamais eu plus de 300 000 personnes dans la rue. La foule n’est pas le peuple et 300 000 personnes ne peuvent pas décider pour le peuple."
Olivier Costa
Message envoyé par courriel à Mesdames Camille BEDOCK, Magali DELLA SUDDA, Tinette SCHNATTERER, Centre Emile Durkeim, Sciences Po Bordeaux, CNRS :
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