Des relations sexuelles entre des boîtes de gruau et de crackers, ou entre une poire à lavement et une saucisse, voilà ce qu’avait à juger, en référés, Mme Weidenfeld ! Dur métier ? En tout cas elle a dû, sur demandes instantes d’associations réac cathos, visionner attentivement cette Saucisses partouze, pardon « Sausage Party ». Et il est rare que les attendus d’une ordonnance d’une juge de référés du Tribunal administratif aient une telle force comique.
L’association Promouvoir et l’association Action pour la dignité humaine ont demandé au juge des référés - donc en procédure d'urgence - de suspendre, le visa d’exploitation au film « Sausage Party » assorti d’une interdiction de représentation aux mineurs de douze ans : le film doit être interdit aux moins de seize ans et, accompagné d’un avertissement. Ces associations émettaient un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée car la classification correspond à la version originale et en anglais. Pour elles, le contenu du film vise à corrompre les mineurs et il est inadapté aux mineurs de douze ans en raison des scènes à caractère sexuel, des dialogues crus, il montre l’usage de la drogue dure et des séquences violentes , d’où la demande d’interdiction aux moins de 16 ans.
L’association Juristes Pour l’Enfance* dénonce l’intention des auteurs qui était de choquer, de manier l’humour en portant la vulgarité, le trash, à des degrés jamais atteints dans un film d’animation ; ils mettent en scène des pratiques illégales de viol, de drogue, de crimes et délits sous un jour humoristique et le film recèle des scènes sexuelles très explicites portant atteinte à l’intérêt de l’enfant et à la protection de la jeunesse !
La juge a donc dû, après visionnage du long métrage, démonter les recours d’un « considérant » à l’autre :
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du visionnage auquel les parties ont été invitées, que le film d’animation « Sausage Party », réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon, décrit la prise de conscience par des produits vendus dans un supermarché de l’inanité de leur soumission aux humains ; que ce divertissement parodique met en scène le parcours initiatique d’aliments humanisés, depuis la découverte de la réalité de leur condition jusqu’à la conquête de leur liberté, notamment en matière de sexualité et de croyance religieuse...
Ainsi est résumé, pour notre gouverne, ce film d’animation.
Considérant que dès lors qu’il est constant que la traduction française ne comporte pas plus de locutions grossières que la version originale, la circonstance que la commission de classification aurait visionné seulement la version originale du film ne paraît pas, en l’état de l’instruction, susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise…
Gruau et crackers, poire à lavement et brique de jus de fruit
Considérant que, d’une part, si une séquence, furtive, mime des relations sexuelles entre une boîte de gruau et une boîte de crackers, elle ne paraît pas, en l’état de l’instruction, figurer un viol à caractère raciste ; que l’aspiration par une poire à lavement du contenu d’une brique de jus de fruit ne peut être interprétée comme évoquant une agression à caractère sexuel que par des spectateurs [incapable] de se distancier par rapport à ce qui leur est donné à voir ; qu’au surplus, ce comportement, qui est le fait du personnage auquel le rôle de « méchant » est assigné, figure le pôle négatif des relations amoureuses et sexuelles auxquelles aspirent les deux protagonistes positifs du film...
Tendresse d’un tacos envers un hot-dog
Considérant que la dernière séquence du film, comme la scène montrant la poire à lavement et une saucisse attachées au pantalon d’un employé du supermarché, qui ne présentent aucun caractère de réalisme et sont dépourvues de toute connotation violente ou dégradante, s’insèrent de façon cohérente dans le propos de l’œuvre qui est de dépeindre, sur un ton humoristique et délibérément outrancier, la rébellion des produits de consommation contre la domination humaine et ses interdits ; que, par ailleurs, les images stylisées de produits en lien avec l’intimité corporelle, tels des tampons hygiéniques ou des préservatifs, ou les regards et mouvements de tendresse d’un tacos envers un pain à hot-dog ne présentent pas le caractère de scènes de sexe...
Partouze ?
Considérant que, d’autre part, si, au cours de la dernière séquence du film, durant trois minutes, des aliments et autres produits de consommation, dont aucun ne figure au demeurant un mineur, simulent explicitement diverses pratiques sexuelles, cette scène se déroule dans un univers imaginaire, d’ailleurs expressément présenté comme une « illusion », et ne peut être interprétée comme incitant le spectateur mineur à en reproduire le contenu ; qu’il résulte ainsi de tout ce qui précède qu’en l’état de l’instruction, le film « Sausage Party » ne peut être regardé comme diffusant un message à caractère violent, ou portant atteinte à la dignité humaine ou de nature à favoriser la corruption d’un mineur.
Cannabis et cocaïne
Considérant que si une scène suggère une consommation de cannabis et si une autre montre un employé du supermarché, qui caricature l’anti-héros, consommant de la cocaïne, l’usage des stupéfiants, qui apparaît comme avilissant et abrutissant, n’est pas présenté sous un jour favorable dans ces deux séquences ; que par ailleurs, les scènes figurant la préparation, la cuisson ou l’absorption d’aliments humanisés, dont la brutalité résulte essentiellement de l’effet de surprise, ne présentent pas un caractère de violence susceptible de heurter la sensibilité de mineurs de plus de douze ans.
Termes crus et locutions grossières
Considérant qu’enfin, si les dialogues emploient des termes crus, qui jouent souvent sur les polysémies, les locutions grossières ou obscènes, dont une partie n’a d’ailleurs été traduite ni dans le sous-titrage ni dans le doublage français, sont, quelque regrettable que soit cette circonstance, répandues dans l’univers quotidien des jeunes adolescents…
Scène hard : l’épluchage de la pomme de terre
Considérant cependant que le public est averti, du seul fait de l’interdiction aux moins de douze ans, exceptionnelle s’agissant d’un film d’animation, que celui-ci comporte des éléments susceptibles de choquer les plus jeunes ; que par ailleurs, le titre et l’affiche du film, qui font la part belle aux symboles phalliques, mettent en relief son caractère « subversif », qui y est d’ailleurs expressément mentionné, et l’omniprésence des connotations sexuelles ; que la bande annonce diffusée avant la sortie du film le présentait également comme « subversivement trash » et donnait à voir l’une des scènes les plus violentes du film (l’épluchage de la pomme de terre) ; qu’ainsi les conditions présentes de diffusion du film « Sausage Party » semblent permettre à ceux dont les choix éducatifs d’ordre privé sont susceptibles d’être heurtés par le visionnage du film de s’en prémunir...
Sausage Party : une saucisse au tribunal
Depuis hier, des avocats s'affrontent autour d'une question majeure : faut-il interdire le film d'animation SAUSAGE PARTY aux jeunes ? On vous en parlait il y a quelques jours, la Manif pour Tous ...
https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/sausage-party-une-saucisse-tribunal-1.html
Les requêtes présentées par l’association Promouvoir et autres ainsi que par l’association Juristes Pour l’Enfance sont rejetées.
* Sa fondatrice, Aude Mirkovic, est intervenue à la manif (anti mariage) pour tous ; cette association est farouchement contre la GPA et très réticente sur la PMA .
NB Cet article, à peu de choses près, reprend des extraits de l'Ordonnance du 14 décembre 2016 de Mme Weidenfeld, Juge des référés du TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS
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