John Currin dont la peinture va de la quasi caricature au porno revendiqué, en passant par le kitsch et le maniéré, avec des multiples références, apparaît quelque peu factice. Ce n’est pas de l’art pour l’art, mais de l’art pour le dollar, serait-on tenté de dire. Reste que derrière de la provocation parfois gratuite, ce peintre figuratif est peut-être moins factice que ceux qui veulent nous faire prendre une écrevisse géante en plastoc mastoc pour un chef d’œuvre de l’art contemporain.
Découverte fortuite, comme souvent, de ce peintre figuratif états-unien. De ces recherches où, de liens en liens, on oublie quel en était l’objet. Je tombe donc sur cette « marocaine » surréalistement coiffée de poissons frais.
Il n’est pas sûr que ce natif de Boulder, dans le Colorado, qui vit à New-York, après des études artistiques notamment à l’université de Yale, soit allé au Maroc. En revanche, il multiplie à foison les références à la peinture européenne : Vénus du Quatroccento et nus flamands des hautes époques renaissantes, Cranac, Boucher, Fragonard, Courbet, Manet énumère un critique, Christian Schad et Otto Dix ajoute un autre. Mais il a des sources d’inspiration moins culturelles, comme le porno danois des années 70 (né en 1962, il l’a peut-être découvert dans son adolescence).
Une partie de son œuvre semble relever de la caricature, en témoigne ces Kennedy, garçon et fille ou ces femmes aux seins gros comme des ballons de basket. Et ne parlons pas de ces deux femmes enceintes ( ?) qui portent bas, très bas. Ou ce tailleur qui ajuste une veste à son client en short, comme lui...
Mais c'est aussi le peintre de l'anorexie
Puisque Otto Dix a été évoqué citons son « Anita » dont on retrouve l’écho dans les poses de Currin. Si, comme Ingres, il rajoute des vertèbres, c’est au niveau des cervicales, avec ces cous girafiens.
Ses modèles semblent aussi souffrir de malformations : une hanche un peu saillante pour celle-ci, des mains comme des battoirs et une petite tête pour celle-là, un ventre relâché pour une autre et surtout des petites jambes étriquées comme ce nu à la fourrure et encore pire ces trois amies. Faut-il y voir une dénonciation d’une vie rivée aux écrans qui va nous priver de l’usage des membres inférieurs ?
Visiblement inspiré par Lucas Cranach, néo-édouardien à ses heures, ses multiples références, proches parfois du pastiche, avec aussi une peinture que l’on pourrait qualifier de néo-classique (qui démontre sa parfaite technique), laissent planer un sérieux doute sur l’identité artistique du peintre. Peintre caméléon qui ne porte pas un univers, mais s’adapte aux lois du marché, provocation un jour, académisme le lendemain ?
"Je suis toujours conscient de mon américanité, Cela a motivé mon goût pour les images pornographiques danoises des années 70, car elles proposent une autre esthétique. Il y a là une satire du libertinage européen de l’après-guerre. À plusieurs niveaux, j’ai satisfait ici mon envie marquée, ma jalousie constante pour cet immense héritage européen en peinture. Je me suis pris pour Poussin, j’ai tenté de créer des oeuvres fantaisistes qui invitent au bonheur et à la beauté."
Dans l’œuvre Tapestry (2013), une femme moderne, habillée de manière décontractée, est représentée dans le style baroque cher à l’artiste. Son jean déchiré et sa blouse bohème à l’allure campagnarde sont en contraste avec la manière élaborée dont elle est peinte.
Sa silhouette, délicatement soignée et aux couleurs vives, se détache de l’arrière-plan mouvant, proche de la grisaille, constitué de motifs floraux, de tissus légers et de corps flous entrelacés atteignant l’extase sexuelle. Réunissant un mélange enivrant de techniques historiques, d’humour et de fantaisie, Currin continue à provoquer et à titiller.
"À mes débuts, je cherchais à faire du bruit, à être connu. Mais plus je vieillis, plus je m’éloigne de cette dynamique. Évidemment, j’ai tenté de fuir ces images pornographiques. C’est un cliché en art contemporain d’utiliser la porno pour critiquer et dénoncer la société capitaliste. Personnellement, cela m’a aussi énormément dérangé, embarrassé. J’aimerais peindre un autre genre de peinture, vraiment… Je dois cacher mes toiles à mes enfants lorsqu’ils visitent mon studio. Je fais même des cauchemars la nuit à ce sujet. Je dois m’excuser devant mes parents lors des vernissages. Quelque part, au fond de moi, il y a sûrement dans ses peintures une nostalgie enfouie d’une époque où j’étais sans enfant, une époque magnifiée avec le temps, car, avouons-le, elle n’était pas aussi palpitante que l’on laisse croire…"
Pour les anglicistes
En complément, pour ceux qui ont une heure dix devant eux, une conférence à Beaubourg où le conférencier offre une caricature du genre, paumé dans ses propres notes, avec des blancs et se racontant...
Eric Troncy, critique d'art
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