Mieux que le « testing » cher à SOS Racisme, une enquête de trois chercheurs du CNRS, portant sur plus de 4000 établissements d’enseignement privés, a mesuré la discrimination à l’inscription. Les résultats de cette expérience contrôlée n’ont guère eu d’échos, bien que le compte rendu soit parfaitement compréhensible pour un non sociologue. Pas plus que les travaux de Pierre Merle qui, à travers l’étude de dix grandes métropoles, montre la ghettoïsation par le haut de l’enseignement privé.
« Bonjour,
Je souhaiterais inscrire mon fils … dans votre établissement en classe de CE2 à la rentrée prochaine. Pouvez-vous m’indiquer si c’est possible ? En vous remerciant par avance,
Bien cordialement, »
« Madame, Monsieur,
Je voudrais que mon fils … intègre votre établissement en septembre prochain. Il sera en CE2.
Je vous remercie par avance de m’indiquer s’il y a des possibilités d’inscription.
Très cordialement, »
Deux messages quasi identiques, mais dans le premier le fils se prénomme Pierre et il est signé Jean BERNARD et dans le second il s’agit de Youssuf et il est signé Mohamed BENCHARGUI.
" Entre mars et juin 2011, nous avons examiné la discrimination liée à l'origine supposée des parents, à l'entrée de 4 269 établissements privés répartis sur l'ensemble du territoire. Nous avons construit de toutes pièces les identités de deux pères fictifs, l'un portant un prénom et un nom à consonance française, l'autre à consonance maghrébine. A quelques jours d'intervalle, ces deux pères fictifs ont adressé un court message à chacun de ces établissements pour obtenir plus d'informations en vue d'y inscrire leur enfant à la rentrée suivante. Nous avons ensuite comparé les suites données à ces messages par ces établissements" expliquent Loïc Du Parquet, Thomas Brodaty et Pascale Petit, signataires de l’étude. Les classes visées étaient CE1 et 2 et CM1 en primaire, 5e et 4e en collège.
En introduction les expérimentateurs rappellent que Chaque année, l’Etat et les collectivités territoriales allouent un budget non négligeable au financement de l’enseignement privé élémentaire et secondaire sous contrat (respectivement 6 663 et 1 483 millions d’euros en 2008). Parmi les contreparties figure pour ces établissements l’obligation de respecter le principe de non-discrimination. « Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyances, y ont accès »
(Loi Debré* de 1959).
3 023 écoles élémentaires et 1 246 collèges ont été testés. Le contact s’est fait par courriel à partir d’un annuaire des établissements du Ministère de l’Education Nationale. Globalement 6 établissements sur 10 ne répondent pas : les 1/3 des écoles, la moitié des collèges ! Mais, le taux de non réponse est de 12 points plus élevé pour le père au patronyme maghrébin (67,5 % contre 55). L’écart est encore plus grand s’agissant des collèges : 16 points (57,6 contre 41,3). Les réponses purement négatives sont faibles et pratiquement équivalentes : globalement 4,16 et 4,45, avec même un plus faible taux en collège pour le père maghrébin (5,5 contre 6,6). Mais s’agissant des réponses franchement positives, à peine plus nombreuses, ça fait plus que s’inverser avec globalement 4,4 et 8,4 et en collège 1,4 contre 4,3. Restent les réponses d’attente (demande de renseignements, proposition de rendez-vous, etc.) : là encore différence nette en faveur du petit Pierre face à Youssuf de 6,6 points en école élémentaire et 12,2 points en collège.
"Nos résultats mettent en évidence l'existence d'une discrimination. Premièrement, la discrimination se manifeste par l'absence même de réponse de l'établissement au message des parents. Si les deux pères fictifs sont concernés par cette situation dans une forte proportion, le père issu de l'immigration l'est plus fréquemment. Deuxièmement, les établissements qui répondent au message de sollicitation, envoient un peu plus fréquemment une réponse négative au père issu de l'immigration. Enfin, les établissements qui répondent au message et n'adressent pas de réponse négative envoient moins souvent une réponse positive ferme au père issu de l'immigration, celui-ci sera plus souvent concerné par la proposition d'un rendez-vous que le père d'origine française", concluent les auteurs.
Ghettoïsation par le haut et par le bas
Une note du sociologue Pierre Merle pour Terra Nova sur la réforme de la carte scolaire complète cette « expérience contrôlée ».
Aux collèges publics le recrutement dans les couches populaires, aux établissements privés les enfants d’origine aisée. « Globalement, de 2007 à 2010, dans les dix premières capitales régionales, les établissements privés se caractérisent par une ghettoïsation par le haut, c'est-à-dire un embourgeoisement de leur recrutement, alors que les collèges publics sont marqués par une ghettoïsation par le bas, celle liée aux quartiers et établissements populaires. Ces deux phénomènes ne sont pas équivalents. La ghettoïsation par le haut est davantage marquée que la ghettoïsation par le bas. »
Répétons-le, ces travaux sont parfaitement lisibles pour un non initié à l’écart-type et autres outils statistiques. Le premier établit clairement que dans 18 % des cas les établissements privés discriminent le père au nom à consonance maghrébine en donnant une suite moins favorable à sa demande qu’à celle de l’autre père fictif. Le second, qui s’inscrit d’ailleurs dans un travail plus vaste sur la ségrégation scolaire, est encore plus accessible. Mais ça ne bouze pas. Nettement moins que des élucubrations de prélats sur une prétendue « théorie du genre ». Il ne faudrait surtout pas leur faire de la peine, pas plus qu’à Mmes Bourges ou de la Rochère, en montrant les pratiques discriminatoires et ségrégatives de l’école privée, chère aux cagots de la manip pour tous !
* Pour les laïcistes sourcilleux, précisons que citer la Loi Debré c’est juste rappeler l’état actuel de la législation.
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