Le Parler vrai, il le pratique le leader d’un parti Libéral qui l’a emporté largement au Canada. Parler vrai et sans démagogie. Il l’a prouvé en prenant des positions courageuses sur le niqab ou la légalisation du cannabis. Mais aussi en annonçant qu’il assumerait un déficit budgétaire. Et que la Canada accueillerait plus de réfugiés syriens.
A l’issue d’une très longue campagne voulue par le 1er ministre conservateur sortant, Stephen Harper, Justin Trudeau l’emporte largement en multipliant pas cinq le nombre de députés du Parti Libéral.
Fils à papa, ce fut un handicap au départ qu’il sut transformer en atout. Son père, Pierre Eliott Trudeau, fut Premier ministre pendant 15 ans (1968-1979 et 1980-1984). Ce libéral a aboli la peine de mort, légalisé le divorce et décriminalisé l’avortement et l’homosexualité. En bref, il a sorti le Canada de son obscurantisme.
Son fils Justin est longtemps apparu comme un aimable héritier. Comme son père, il est un farouche adversaire des indépendantistes québécois. Mais son attachement aux réformes initiées par son père l’avait amené à déclarer face à la politique rétrograde de Harper « Si, à un moment donné, je croyais que le Canada, c’était vraiment le Canada de Stephen Harper, puis qu’on s’en allait contre l’avortement, contre le mariage gai, qu’on retourne en arrière de 10 000 façons différentes, peut-être que je songerais à vouloir faire du Québec un pays.»
Il n’est pas avare de dérapage verbaux – c’est d’ailleurs sur ses gaffes que comptait Harper pour le discréditer – et a fait preuve d’une totale décontraction. Ainsi de ce sketch de descente d’escalier en roulé-boulé dans une émission distractive. Mais aussi d’un combat de boxe avec un député conservateur au profit d’une œuvre caritative ce qui lui permet d’exhiber ses tatous. Moins heureuse fut cette carte de vœux où toute sa petite famille est vêtue de belles et chaudes fourrures, de quoi faire bondir les défenseurs de la faune sauvage.
Et sur deux sujets clivants – où il risquait plus de perdre des voix qu’en gagner – il assume avec panache.
“Je ne suis pas en faveur d’une dépénalisation du cannabis. Je suis pour sa légalisation.” Le leader libéral canadien Justin Trudeau, fils d'un ancien Premier ministre, a conté : « Nous dînions avec des amis, nos enfants étaient chez leur grand-mère et l'un de nos amis a allumé un joint qu'il a fait tourner. J'ai pris une bouffée ». “Ce n’était pas une erreur” (The Huffington Post, New York) Trudeau a indiqué qu’il appuyait la légalisation de la marijuana pour mieux la réglementer et la taxer.
Harper, mais aussi le Bloc Québécois, souverainiste, ont tenté de focaliser la campagne électorale sur une affaire de niqab.
Une Pakistanaise d'origine, Zunera Ishaq, a pu prêter serment de citoyenneté, à visage couvert, à Mississauga, en banlieue de Toronto. En effet, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale lui ont donné raison sur la directive ministérielle visant à interdire aux femmes de prêter serment en étant voilées. Mme Ishaq a accepté de se dévoiler pour s'identifier- ce qu'elle avait déjà fait par le passé - mais disait ne pas comprendre pourquoi elle devrait montrer son visage à plusieurs personnes lors de la prestation du serment de citoyenneté.
Les conservateurs et les souverainistes du Québec prônaient l’obligation de prêter serment de citoyenneté à visage découvert et d’interdire le port du niqab aux fonctionnaires. Sujet en or, puisque l’opinion canadienne et particulièrement québécoise était massivement pour ce rejet du niqab.
Mais paradoxalement, ce fut le seul Thomas Mulcair, leader du parti Néo-démocrate (centre-gauche), qui ne s'opposait pas au niqab si la femme qui le porte accepte de s'identifier à visage découvert avant la cérémonie, comme le stipule la réglementation en cours, qui a sévèrement pâti de cette prise de position. Alors que Justin Trudeau, sur la même ligne, car pour lui l'enjeu constitue une question de protection des droits des minorités, s’en sort en attaquant bille en tête son adversaire : « M. Harper, je trouve que vous avez du cran (...) de parler de défense du droit des femmes. Il y a plus d'hommes dans votre caucus qui sont contre l'avortement que de femmes qui portent le niqab au Québec. »
Sa victoire il la doit bien à son charisme. Accueilli en «rock star», il signait des autographes à profusion, en plus de se prêter à des dizaines d’égoportraits par jour avec ses partisans. «Il faut aller cogner aux portes. Parlez à vos voisins, vos familles, vos amis», a-t-il scandé à ses militants.
Mais surtout il a débordé le parti d’opposition officiel, le NDP, en captant les voix de la classe moyenne, promettant en quelque sorte de faire payer les riches, de prendre l’argent des «plus nantis des nantis» pour le redonner aux moins nantis. Il l’a débordé aussi en osant annoncer un déficit budgétaire, face à un Harper fort de son équilibre. « Nous enregistrerons des déficits modestes pendant trois ans pour pouvoir investir dans la croissance de la classe moyenne. »
Et c’est sans doute son talent de débateur qui explique qu’il soit apparu comme l’incarnation du changement après dix ans de conservatisme : «On ne peut pas se permettre encore 10 ans avec le gouvernement Harper. Ce gouvernement est déconnecté et à court d’idées». «Vous savez ce que les gens disent là-bas de vos visites [dans le Grand Nord canadien], M. Harper? Ils disent que vous avez un gros traîneau, mais pas de chien!» Quand celui-ci prétend que des efforts sur le plan climatique ont été faits, il rétorque « Il dit que le Canada est un leader en matière d’environnement. Je pense qu’il commence même à se croire. » Des répliques qui font mouche.
Fils à papa et fier de l’être, il défend farouchement l’œuvre paternelle : « Pendant cette campagne, de manière directe ou indirecte, ces deux messieurs [Harper conservateur, Mulcair néo-démocrate] ont attaqué mon père. Et je veux être clair : je suis incroyablement fier d’être le fils de Pierre Elliott Trudeau. Et je suis chanceux qu’il m’ait légué ses valeurs. Quand on parle de son héritage, c’est d’abord celui de la Charte des droits et libertés, qui définit le Canada comme un pays qui défend les droits individuels, même contre les gouvernements qui veulent les enlever ; c’est celui du multiculturalisme […] et c’est celui du bilinguisme qui, selon mon père, voulait dire, M. Mulcair, qu’on dit la même chose en anglais et en français ».
Mais surtout, face aux conservateurs plus que frileux devant l’accueil des réfugiés, avec courage et conviction, il a rappelé dans un débat : « On a accepté des dizaines de milliers de personnes », citant l’arrivée d’Ukrainiens, de Hongrois, de Vietnamiens ou encore d’Israéliens. À Toronto même — où était organisé le débat—38 000 Irlandais ont débarqué au XIXe siècle, en fuyant la famine, vers une ville qui ne comptait que 20 000 habitants à l’époque. « Le Canada en a toujours fait plus. […] Il ne s’agit pas de politique. Il s’agit d’être le pays que nous avons toujours été dans le passé », a martelé le chef libéral. Les provinces, les villes et les Canadiens demandent aujourd’hui qu’Ottawa en fasse davantage pour accueillir les réfugiés quittant l’Irak et la Syrie. « Et ce gouvernement traîne de la patte pour ne pas en faire plus ».
Dans les premières mesures qu’il annonce il y a l’accueil de 25 000 réfugiés syriens. Il retirera les avions canadiens engagés contre DAESH. Non qu’il abandonne la lutte contre cet islamisme radical, mais parce qu’il estime qu’il faut plutôt former les troupes locales pour qu’elles-mêmes mènent les combats sur le terrain. « Parce que [la participation des] armées occidentales, ça finit toujours par empirer la situation ».
Malgré l’étiquette libérale – fortement connotée péjorativement dans l’hexagone – Justin Trudeau et son parti semblent décidés à s’engager dans une politique de gauche. Une politique qui rende enfin un minimum de justice aux Premières Nations, les amérindiens. Une politique qui tienne compte de la lutte contre les changements climatiques. Une politique de redistribution sociale.
Pour compléter :
+ l'article du Courrier International signalé par "ti"
Résultats des élections à la chambre des communes du Canada 2015
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