La question me titillait un peu : le Jean-François, du Canard enchaîné était-il le fils de Jacques, du Nouvel Obs* ?
Ce Jacques Julliard que j’avais côtoyé, j’allais écrire naguère mais autrefois s’impose, au bureau du sgen-CFDT où j’étais le modeste secrétaire de la branche PEGC-Voie III**, alors que lui-même était membre du bureau de la CFDT.
La note de lecture ci-dessous du dernier Canard (28/11/07) m’a enfin incité à lancer une recherche. J’y ai découvert que de fait ce Jean-François là (car il y a un autre journaliste homonyme) est bien le fils de son père, Jacques Julliard.
Le moins que l’on puisse dire est que sur l’éducation leurs approches divergent. Alors que le père donne dans le sous Finkielkraut, le fils ne cache pas son hostilité envers les « cavaliers de l’apocalypse scolaire » !
* Passé depuis à Marianne
** Branche que j’ai moi-même scié en faisant voter un texte de création du « grand second degré », seul titre de gloire (?) de mes trois ans de bureaucrate syndical, car « L’école en lutte » Petite collection Maspero 1977 dont j’ai été le « scripteur » n’a même pas été citée dans une brève histoire du sgen du regretté J. George
Déterminants et articles
Or donc, le 30/11/06, un an demain, le camarade Julliard commettait cet article, dont je ne cite que le 1er paragraphe (le masochisme a des limites) :
Sauver la grammaire
Un rapport prend le contrepied des linguistes en folie qui ont semé la panique dans le sujet-verbe-complément
Enfin ! Il fallait bien qu'éclate une fois en pleine lumière le grand divorce qui, depuis plus de trente ans, oppose les Français à l'enseignement officiel de la grammaire. Il fallait bien qu'à la fin on s'attaque à l'improbable galimatias qui, au pays de Molière et de Descartes, nous en tient lieu depuis qu'une bande de linguistes en folie et de cuistres de collège ont semé la plus inutile des révolutions dans le petit monde bien ordonné sujet-verbe-complément. Les inventeurs sont avant tout des nommeurs, dit Nietzsche, et l'on ne voit pas très bien en quoi la substitution des «déterminants» à l'article, de «groupes propositionnels obligatoires ou non» au classique complément circonstanciel, etc., ajoute à la connaissance de la langue. En outre, ces nomenclatures, variant d'un linguiste à l'autre, d'un manuel à l'autre, introduisent le désordre dans les esprits et le désespoir dans les familles….
Vous pouvez lire la suite : http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p20061130/articles/a325774-.html
Réaction immédiate de votre serviteur, avec ce courriel :
Brighelli-Julliard, même combat
"Sauver les lettres", dit l’un, sauver la grammaire répond l’autre. Et si Jacques Julliard nous épargne les khmers rouges chers au matamore logorrhéique, il ne cède rien dans l’invective et l’insulte, d’autant plus courageuse qu’elle vise d’anonymes « linguistes en folie et cuistres de collège ». Leur ennemi commun est là : « le lobby pédagogiste » qui a provoqué, par son « scientisme naïf » des « désastres mentaux ».
Quelques formules véhémentes ne sont pas à négliger, même si elles utilisent de vieilles ficelles rhétoriques : « La grammaire est à la langue, ce que la logique est à la pensée », « ce rapport n’est pas seulement une bonne action, c’est une délivrance » sans oublier la « cause nationale » conclusive.
Et cela fait trente ans que la « grammaire textuelle » commet ses « ravages » soit à peu prés avec l’instauration – encore assez théorique à l’époque (et même maintenant) – du collège unique.
Dans le peu d’exemples qu’il donne (deux), il arrive néanmoins à commettre une erreur : « déterminants » n’est pas synonyme d’articles : eût-il consulté la neuvième édition du dictionnaire de l’Académie Française, qu’il eût appris que le déterminant est un « mot précédent le substantif, de même genre et de même nombre que lui, qui le caractérise, en précise la valeur dans la phrase. Les articles, les adjectifs possessifs, démonstratifs, indéfinis, interrogatifs, exclamatifs et numéraux sont des déterminants. »
En tout cas avec JJ la grammaire est loin d’être une chanson douce, ça tient plutôt du clairon à la Déroulède !
Jean-François Launay
Cuistre de collège retraité
Luçon
Une ou deux semaines après, le responsable du courrier des lecteurs donnait une sélection des réactions des lecteurs. L’une, de la présidente de l’AFEF, d’une hostilité très nuancée, les deux autres tout à fait favorables à l’éditorialiste. La 3e était censée venir d’un vieux couple de profs de collège qui enseignait clandestinement la grammaire modèle 1930, mais le samedi car les inspecteurs ne viennent pas ce jour-là !
Julliard et la grammaire
Votre sélection du courrier sur l’édito de Jacques Julliard aux accents brighelliens semble un peu biaisée. Le 1er extrait – qui rappelle l’étrange parenté du titre de l’article avec la dénomination d’un groupe des plus réactionnaires – est suivi d’un passage sur la terminologie où vous citez à nouveau une pure niaiserie de Julliard sur « la substitution des «déterminants» à l'article ». Or le dictionnaire de l’Académie Française dans sa 9e édition* (faut-il soupçonner nos académiciens d’être des « linguistes en folie » ?) dit plus que clairement que déterminants et articles ne sont pas synonymes et qu’on ne peut substituer l’un à l’autre, puisque l’article fait partie des déterminants (pour le 2e exemple, il faudrait entrer dans une argumentation un peu technique qui ne manquerait pas d’être taxée de cuistrerie).
Quant à l’extrait final, de professeurs de français dans un petit collège rural, il est totalement bidon : clandestins depuis 30 ans, alors que l’observation raisonnée de la langue date des programmes de 2002, cela relève du pur délire ou du mensonge et quand on sait qu’on risque une inspection tous les 6 ou 7 ans, que cette inspection est annoncée une semaine avant, quel besoin de placer une heure de grammaire le samedi (à la plus grande joie des élèves, bien sûr) ; et ce couple d’enseignants si consciencieux ne tiendrait pas de cahier de textes (que ne manque pas de consulter l’Inspecteur) ou le maquillerait. Tout cela n’est pas sérieux !
Mais le but est atteint : la citation finale sera en faveur de l’édito.
JF launay
Ex-cuistre des collèges (PEGC lettres-histoire-géo)
* Le déterminant est un « mot précédent le substantif, de même genre et de même nombre que lui, qui le caractérise, en précise la valeur dans la phrase. Les articles, les adjectifs possessifs, démonstratifs, indéfinis, interrogatifs, exclamatifs et numéraux sont des déterminants. »
En revanche, et ce n’est pas la 1ère fois, Jean-François Julliard ne s’en laisse pas conter par les rétropenseurs de tout poil.
La nouvelle question scolaire par Eric Maurin
(Editions du Seuil) 268 p., 18 €.
Trahison ! Etudes à l'appui, un économiste ose s'en prendre aux experts qui célèbrent sur tous les tons la « faillite de l'école ». Pour eux, l'accès massif au bac et à l'université est un fiasco conduisant à jeter sur le marché du travail des cohortes d'incultes (de « crétins ») aux diplômes bradés, dont le chômage ne fera qu'une bouchée.
Patient et rigoureux (lui), Eric Maurin s'est appuyé les 25 « enquêtes emploi » que l'Insee a réalisées entre 1982 et 2006, période durant laquelle le nombre d'étudiants a pratiquement doublé. Verdict : décrocher son bac ou un diplôme en fac décuple les chances de trouver un travail. Ainsi, en 1990 comme en 2000, « le taux de chômage des diplômés du supérieur est resté trois à quatre fois plus faible que celui des non-diplômés ». Et les jobs des premiers sont beaucoup mieux payés (50 % de mieux en moyenne) et nettement moins précaires que ceux des seconds.
Et chez les voisins ? Soutenu, là encore, par de volumineuses études, l'auteur prouve que la démocratisation scolaire a produit les mêmes bénéfices en Suède, Norvège, Finlande et Angleterre. Comme en France, elle a permis « l'accès d'un plus grand nombre d'enfants de milieux défavorisés à de meilleures carrières ».
Une démonstration anti-élitiste qui fera grincer quelques dents chez les cavaliers de l'apocalypse scolaire qui prônent le retour à un système de filières courtes et d'"orientations" précoces. Sauf pour leurs propres enfants.
J.-F. J.
Le fiston était quand même un peu à la bourre, car s’il avait lu l’hebdo du papa, il aurait découvert dès le 30 août 2007, des bonnes feuilles du livre dE. Maurin :
Ecole : vive la démocratisation !
Exclusif. Le sociologue et économiste publie une grande enquête, «la Nouvelle Question scolaire», qui bouscule nombre d'idées reçues. Extrait par Eric Maurin
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2234/articles/a352965-.html
Mais dès la semaine suivante les cavaliers de l’apocalypse scolaire arrivaient au triple galop, avec une « une » cataclysmique, une Caroline Brizard, d’ordinaire nuancée, déchaînée et une série d’articles de la même encre que « Sauvez la grammaire ». Petite réaction dès le lendemain :
Une en noir - et tu porteras le deuil de l'école - "le scandale de l'illettrisme" ! Bon, la rentrée des classes, c'est le marronnier incontournable, et il faut bien un titre accrocheur (à tout point de vue) pour attirer le client.
Mais de là à concocter un "dossier" que Robien (ou Brighelli) aurait pu signer, voilà qui étonne et détonne.
Un grand spécialiste, dont on n'avait pas entendu parler pendant que la polémique sur l'apprentissage de la lecture faisait rage, y va de son couplet sur la méthode globale. Un sondage nous apprend qu'une majorité de français pense qu'on n'enseigne plus la grammaire, etc. Etonnant, non, qu'à force d'entendre dire cela, y compris par un ministre, ils finissent par le croire.
Que l'illettrisme ait un taux plus élevé chez les plus âgés que chez les plus jeunes, importe peu : le catastrophisme fait vendre. Pourtant, ce n'est peut-être pas en prônant le retour à des méthodes du passé (passé d'ailleurs largement mythique) que l'on combattra l'illettrisme et plus globalement l'échec scolaire (dont les causes sont aussi socio-économiques comme le rappelait Eric Maurin... où ça ? mais dans le Nel Obs de la semaine dernière).
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2235/dossier/a353656-le_scandale_de_lilletrisme.html
Réponse illico presto, mais entre temps je roulais vers d’autres cieux :
Cher Monsieur,
Vos interventions sont d'ordinaires plus pertinentes, comme en témoigne vos parutions dans nos pages. Peu importe que Robien ait pu signer notre dossier. Le problème est de savoir s'il est vrai ou pas. Je vous joins le rapport éclairant du Haut conseil à l'éducation. Lisez le, et donnez moi des nouvelles. Quant à dire que nous ne faisons ce dossier que pour vendre, c'est plus que blessant. Bien sûr, nous préférons vendre que pas. Mais, pour l'essentiel ce n'est pas notre motivation principale cordialement,
Jean-Marcel Bouguereau
Rédacteur en chef chargé de la "Parole aux lecteurs"
Ce n’est donc que 10 jours plus tard que je découvris cette réaction assez remarquable : gentille perfidie d’abord (interventions plus pertinentes : quoique intervention impertinente ne me déplaît pas) ; renvoi assez insultant au texte du HCE que je n’aurais pas lu ; faire dire, ce qui n’est pas dit (hélas, ce n’était pas « que pour vendre » qu’ils ont commis ce dossier !) ; surtout ne rien répondre sur le fond !
17/09 Profitant d'une liaison "wi-fi" dans un hôtel de Meknès, je dépouille les courriels et je suis surpris du ton "blessant" et surtout de l'absence d'arguments de votre réponse.
J'ai lu le rapport du HCE, ainsi que les dépêches et articles : pour l'AFP, si mes souvenirs sont bons, le chiffre mis en relief était 15 %, pour le Figaro 40 %...
Un sondage sur l'enseignement de la grammaire ou de la lecture a autant de valeur qu'un sondage sur le traitement de l'urticaire auprès de non praticiens : sous prétexte que tout le monde a peu ou prou fréquenté l'école, chacun peut donner son avis sur des questions "techniques" ; le cognitiviste qui nous ressort la nième diatribe sur la méthode globale, ça fait réchauffé !
Et on n'a pas attendu le HCE pour avoir des données sur l'école : le fait que l'illettrisme croît avec les tranches d'âge est avéré...
Et je redis que la couverture sur fond noir avec ce 40 % d'un jaune éclatant n'était pas innocente.
Et je redis encore ma surprise de lire un tel dossier une semaine après avoir publié quelques extraits du livre d'Eric Maurin bien plus éclairant* encore que le rapport du HCE. On peut relire aussi le livre de Forestier (membre du HCE) et Emin, bourré de données...
Très cordialement,
JFL
PS La pertinence d'une intervention est quelque chose de très subjectif...
* De mon point de vue, subjectif donc !
Réponse assez énervée de M. Bouguereau, mais toujours rien sur le fond (quand à la « ligne », je crois lui avoir répondu qu’il s’agissait de cohérence)
Excusez-moi si je vous ai blessé. Mais, comprenez moi, j'en ai un peu marre des pseudo-arguments les titres accrocheurs ou sur la volonté de vendre (style " la couverture sur fond noir avec ce 40 % d'un jaune éclatant n'était pas innocente" ). Oui, nous preférons vendre que pas vendre !
C'est normal non ? Pour le reste je ne suis pas un spécialiste et je ne vois pas en le fait de publier ce dossier après l'article de Maurin vous gêne.
Vous préféreriez que l'Obs ait un "Ligne" dont il ne s'écarterait pas, quitte refuser de voir des pans entiers de la réalité
Cordialement,
Jean-Marcel Bouguereau
Presque un mois après, notre responsable du courrier mettait en relief (à côté de la miniature de la « une » du 06/09/07), la lettre d’un secrétaire général d’un obscur syndicat. Sachant que j’étais dorénavant classé dans les impertinents interdits de colonnes, j’ai interpelé directement M. Bouguereau :
Décidément ce dossier sur l'école vous tient à coeur.
Mis en relief, à côté de la couverture du n° du 6 septembre - et on est le 4 octobre - la réaction apparemment positive d'un certain F. Girard secrétaire général d'un syndicat dont on découvre, grâce à vous, l'existence, @venir.education.
Découverte qui nous permet d'apprendre que la CGC (Confédération Générale des Cadres) compte un syndicat enseignant.
Bien que non léniniste, on suppose, il semble mûr pour répondre à une des conditions : entrer dans la clandestinité, car, avant cette mise en avant, il ne doit pas y avoir beaucoup d'enseignants qui aient entendu parler de ce syndicat.
Alors comme réponse à tous ceux qui, comme moi, ont trouvé ce dossier plutôt indigeste (pour rester dans l'euphémisme), ce n'est peut-être pas si probant.
Et comme, cerise sur le gâteau, le Nel Obs de cette semaine offre du Finkielkraut pur jus (qui parle de l'école comme il parlait de l'équipe de France de football dans Haaretz), vous avez un autre renfort de poids !
Très cordialement,
JF Launay
NB Pour relativiser les affirmations du professeur Dehaene (qui n'a pas dû fréquenter depuis longtemps, d'autres collèges que le collège de France et encore moins d'écoles, car il saurait que la méthode globale pure - celle préconisée par Fourcambert - n'a eu qu'une vogue éphémère et limitée et est pratiquement inusitée maintenant) un texte signé de chercheurs reconnus : 22 Chercheurs affirment : Il n'y a pas lieu d'imposer une unique méthode d'enseignement de la lecture
http://education.devenir.free.fr/Lecture2.htm#22chercheurs
Voir aussi http://www.lscp.net/persons/ramus/lecture/lecture.html
Quant à la fiabilité des sondages ("Les familles ne s'y trompent pas" sic) si les 3/4 des parents qui, comme Mme Tatu, savent mieux que l'instit ou le prof comment s'y prendre, ne sont pas satisfaits de l'enseignement de la grammaire et de l'orthographe, ils sont autant à être globalement satisfait de l'école, score le plus élevé d'Europe occidentale disait Ouest-France...
Nous sommes loin de Julliard, fils et père, direz-vous.
Voire. Le Nel Obs semble bien traversé, s’agissant de l’école, par deux lignes antagonistes, que symbolisent bien les deux articles de Jacques et Jean-François, d’autant qu’Eric Maurin sera à nouveau présent dans le Nel Obs du 11/10/07 avec un Plaidoyer pour la démocratisation du supérieur présenté comme une réponse « chiffres à l'appui, aux «déclinistes» : oui, la poursuite des études est toujours rentable pour les jeunes et indispensable pour le pays ».
Donc d’un côté une ligne favorable aux cavaliers de l’apocalypse, Julliard père, Bouguereau, la spécialiste de l’éducation Caroline Brizard et quelques autres, de l’autre des responsables de la rubrique « réflexions », attentifs justement à des réflexions de fond et non à l’écume de leurs propres humeurs.
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