A Madame de Grignan-Paris (date illisible)
Je veux, ma très chère, vous conter ce fâcheux événement qui advint, il y a quelques jours, et dont le récit ne manquera pas de vous étonner. Vous savez combien, à la cour et à la ville, on s’est entichés d’un certain jeu de balle dont le spectacle rassemble, en de communes enceintes, les Grands, les bourgeois et le petit peuple. Chacun se passionne pour ces joutes où s’affrontent les plus galants gentilshommes, venus de toutes nos provinces et de plus lointaines contrées. Et on honore leurs exploits dans La Gazette en des odes dignes de Pindare. Or, figurez-vous, vous aurez peine à me croire, que l’un de ces tournois opposa certains barbaresques du Sultan d’Alger aux plus habiles et aux plus ardents de nos joueurs. Ces maudits mauresques, hélas, devant le Roi lui-même et les courtisans, sortirent vainqueurs de ce formidable tournoi. Vous imaginez quelle désolation se répandit sur le Royaume. Mais, entendez, ma toute bonne, la suite extraordinaire qui fut donnée à cette affaire. Car ces insolents, qui eurent raison de nos plus vives espérances, osèrent se pavaner en un cortège épouvantable, poussant d’horribles clameurs et arborant des oriflammes de sauvages sur notre belle avenue du Palais des tuileries qui jamais ne connut pareil tumulte. Relevant l’offense ainsi faite au pays, le Duc de Zemmour, dont chacun admire les péroraisons, le Comte de Finkel qui commande nos régiments de Croates et Monsieur d’Estrosi, l’Intendant de votre vénérée Provence, ne manquèrent de s’élever avec leur coutumière véhémence contre une telle injure qui ne pouvait demeurer impunie. Pourtant, indifférent à leurs diatribes enflammées et à leurs libelles rageurs, le Roi dans sa grande sagesse choisit de pardonner à ces sujets de terres étrangères où l’on célèbre aussi sa gloire. Et, en cela, je reconnais la grande mansuétude d’un souverain habitué à voler de victoires en victoires et à pardonner à ses ennemis. Et, pour ma part, vous le savez, il n’est aucun de ces divertissements qui puissent me consoler de votre si longue et si cruelle absence et me libérer de ce chagrin dont aucune balle, si enjouée qu’elle fût, ne pourra me distraire.
Note.
Tout en étant très fier d’avoir découvert ce texte encore inédit, je dois confesser ma perplexité. En effet, je n’ai, au cours de mes recherches, trouvé la moindre trace d’une confrontation entre ce qu’on appelle aujourd’hui l’Algérie et le Royaume de France qui se soit achevée par les troubles évoqués dans cette lettre. Il se peut que La Marquise ait confondu avec une rencontre entre la France et un petit terroir d’Ibérie qui serait le Portugal d’aujourd’hui. Et si celle-ci tourna à l’avantage de ces Lusitaniens, leur défilé, pour célébrer leur victoire avec leurs très chrétiennes bannières, ne fut dénoncé ni par le Duc de Zemmour, ni par le Comte de Finkel, ni par Monsieur d’Estrosi.
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