J’avais la tentation de commencer cette missive par un « Cher François », mais, vous auriez pu me rétorquer que nous n’avions pas gardé les vaches ensemble. Et de fait, dans mon enfance, la vue des vaches de la voisine d’en face – une veuve – aux croupes crottées (pas la voisine, ses vaches), a annihilé toute attirance vers la gent bovine. Qui ne dira les bienfaits de l’eau courante, quand on voit un autre François nettoyer avec zèle une vache de salon. En ce temps-là, à la mi-temps du siècle dernier, l’eau n’était courante pour beaucoup que si on se hâtait entre la pompe et la cuisine.
Je ne suis pas sûr que cette évocation, malgré vos indéniables racines paysannes, ne vous paraisse incongrue. Venons- en donc au fait.
Vous m’êtes, a priori, sympathique. Paradoxalement, car le souvenir que j’avais de vous était celui d’un ministre de l’éducation ayant provoqué la plus grande manifestation laïque(24 janvier 1994) depuis la loi Debré.
Votre campagne de 2007 fut remarquable. Même si votre impuissance à prendre parti au deuxième tour était irritante (au moins pour le social-démocrate que je suis). Mais les trahisons – ces Morin, ces Santini et les autres pressés d’aller à la soupe –dont vous fûtes victime, ne pouvaient qu’attirer la sympathie. Le peu que vous avez dit entre 2007 et aujourd’hui, en particulier sur « le chanoine de Latran », ne pouvait que provoquer mon adhésion de laïque, dans l’esprit d’Aristide Briand. Votre fidèle, Madame de Sarnez, je le confesse, me séduisait par sa brillante intelligence (que ne la mettez- vous plus en avant ?).
Vous avez choisi comme axe de campagne le créneau churchillien : il n’a au moins pas le défaut de la démagogie. Vos prises de position sur l’éducation sont dignes de la société des agrégés, à laquelle vous avez peut-être appartenu. Elles devraient séduire le SNALC et sans doute le SNES (vous conviendrez peut-être qu’il est assez drôle de voir M. Aschieri, ex-dirigeant du SNES, fustiger, non pas Sarkozy, mais Hollande, sur les propositions en matière d’éducation, mais je m’égare). Justement, sur ce sujet, que vous reprochiez au candidat des primaires citoyennes, sa promesse de rétablir 60 000 postes dans l’éducation sur cinq ans, sans attendre une véritable négociation, est de bonne guerre. Mais que vous taxiez cette promesse de démagogique ne l’est pas. C’est avaliser les 70 000 suppressions du quinquennat sarkozyste.
Vous me semblez surtout, constatant que votre campagne, après un très beau décollage, a tendance à perdre de l’altitude, naviguer un peu dans tous les sens. Face aux annonces quasi F-haine du sortant avec des promesses de référendums anti-chômeurs et xénophobe, vous avez tenté d’attirer l’électorat de droite modéré. Sans succès. Depuis, votre propre discours étant inaudible, vous concentrez vos attaques contre le candidat de la gauche de gouvernement. Annonce-t-il un taux marginal d’impôt sur le revenu de 75%– inférieur à celui qui existait aux USA de 1941 à 1960 – que vous faites chorus avec Sarkozy et les super-nantis à plus d’un million d’euros annuel.
Feignant la neutralité, vous déplorez le ton que prend cette campagne, en confondant dans la même réprobation l’agresseur perpétuel qui joue la victime et celui qui refuse de se laisser abaisser à cette bataille de caniveau.
Pour avoir connu, notamment en 1974, puis en 1978, avec toute la gauche, des espoirs déçus, puis à nouveau depuis, je conçois votre propre déconvenue à constater que, cette fois encore, malgré une remarquable persévérance, le plat vous passe sous le nez, si je puis me permettre une comparaison culinaire un peu triviale. Mais êtes-vous obligé de justifier cette remarque de Mitterrand : « le centre n’est ni de gauche, ni de gauche » ?
Je vous prie de croire, M. Bayrou, en l’expression de mes convictions sociales, démocrates et républicaines.
J. F. Launay