A l'opposé de la « sanctuarisation » de l'école naissait, dans les années 60, l'idée d'une « école ouverte » qui allait se concrétiser dans le Centre éducatif et culturel de Yerres. « L'ouverture implique une école « qui sort de ses murs» pour s'approcher des réalités et le monde extérieur qui « entre dans l'école » : ouverture aux adultes (bibliothèque, cours alternatifs, formation continue...) et intervention d'interlocuteurs économiques et sociaux (entreprises, ANPE, associations, Maisons des Jeunes, Maison de la Culture...). » (ANPEI)
Ce premier CEC comprend un collège, une bibliothèque, un centre sportif, une maison pour tous, une école nationale de musique et de danse, un atelier d'animation artistique (3A). Créé en 1967 il n'est donc pas un enfant de mai 68, mais plutôt l'héritier de la fameuse école d'Uriage, de Libé-Nord, de l'UDSR*, en fait d'un courant d'idées issu de la Résistance !
Le collège est un établissement expérimental intégré, intercommunal, ouvert sur la ville à tous les publics ; les enseignants sont volontaires, certains sont pédagogiquement préparés par une expérience lors de leur cursus ; on pratique la vidéo, on part faire cours en forêt de Sénart, on approche la vie des métiers par des visites de PME... Le collège est ouvert sur la ville et sur la vie. Ouvert pour les élèves qui portent les regards sur l'extérieur, ouvert pour le serrurier ou le dépanneur radio qui, en relation avec le prof de travaux manuels, vient en classe pour une démonstration sur table... L'inverse quasiment du rétro-collège du vicomte vendéen !
« Entre 1967 et 1970 naît le projet d'implantation de la zone industrielle de Fos-sur Mer entraînant, dans le cadre d'une ville nouvelle, un vaste développement de l'urbanisation et la nécessité d'aménager de nouveaux équipements.
Les décideurs visitent le CEC de Yerres et mettent en chantier un centre du même genre [à Istres] approuvé dès 1969 : Collège, Maison Pour Tous, village de vacances, bibliothèque, centre social, centre de santé, gymnase, piscine, aires de sport auxquels s'ajouteront CIO, ANPE, AFPA, halte-garderie, le théâtre de la ville d'Istres, un conservatoire de musique. » (ANPEI)
Grenoble, dans le quartier de la Villeneuve en implantera un : le CEPASC. Le Vaudreuil-Ville-Nouvelle (devenu depuis Val-de-Reuil) aura aussi son CEC au cœur de la dalle piétonnière. Sous le même sigle, mais avec une autre appellation, on trouve un CEC à La Ricamarie (commune proche de Saint-Etienne) : Centre éducatif coopératif, réalisé avec l'OCCE (Office central de coopération à l'école).
Le prototype de Yerres (en fait intercommunal : Yerres, Crosne, Montgeron) comptera jusqu'à 5500 adhérents. La gestion sera d'abord assurée par les élus, les fonctionnaires (éducation nationale, jeunesse et sports et culture, essentiellement) et des personnalités cooptées par les deux composantes précédentes. Les usagers vont avoir voix au chapitre à partir de 1977 par l'intermédiaire de deux associations gestionnaires des équipements (autre que le collège). Mais ils ne pourront présenter que des projets établis sur des consensus sans cesse remis en question, les maires ou les ministères menaçant de se retirer si leurs volontés et leurs desiderata ne sont pas pris en considération.
Le financement est source de fragilité puisque, reposant pour un gros tiers sur les adhésions, les activités et les manifestations payantes.
En 1979, le ministère de l'éducation nationale met fin à l'intégration du collège dans le CEC. En 1985, avec la décentralisation l'état se désengage, laissant la place à un conseil général RPR peu favorable à ce type d'expérience. L'éclatement de l'intercommunalité en 1986 sonnera l'arrêt de mort du CEC, constaté l'année suivante. Le CEC de Yerres aura donc vécu 20 ans.
L'échec total du projet pilote et plus ou moins partiels des épigones (seul le CEC d'Istres semble encore réellement exister) n'étonne pas.
La volonté de créer des « espaces intégrés » se retrouve chez des urbanistes et architectes comme ceux de l'atelier de Montrouge. Mais la volonté politique (ministères, municipalités, puis départements) est évanescente. S'y ajoute, bien sûr, après l'enthousiasme militant des équipes volontaires, des associations, des adhérents une usure, voire une désillusion entre l'utopie rêvée et la gestion journalière du projet.
Reste que cette ambition est bien plus porteuse d'espoir que l'illusoire objectif de la sanctuarisation, d'une école coupée de la ville, de la vie !
* L'UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) est l'un des rares mouvements politiques issu exclusivement de la Résistance.
Cet article est né grâce à G. B. celui à qui le déblog notes doit S'en souvenir, cent souvenirs et les trois albums : Chromos historiques, Départements et Atlas, Lavratte et Les Corbeaux ; il a participé en militant laïc à l'expérience du CEC de Yerres.
Le schéma est emprunté à l'ANPEI
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