Patrick, mon frère, a pris la tangente avant son aîné, ce 11 novembre. Obsèques le 14. Etape sur la route et le 13, à la nuit, complète sidération en apprenant par bribes les massacres parisiens.
Une collision brutale entre deuil privé et deuil public.
Le cancer de Pat avait été diagnostiqué il y a peu de temps. Un de ces cancers qui ne pardonnent pas ou presque. Déjà généralisé. Mais ce 11 novembre, les douleurs lui laissaient un peu de répit et il avait passé une journée agréable chez son fils, avec ses deux filles et ses deux petits-enfants. Mais la machine, au bout du rouleau, a brutalement lâché, à l’heure du retour. Lui épargnant sans doute de nouvelles souffrances.
Il y a comme un sentiment de malaise – je ne trouve pas le mot juste – à voir l’ordre des choses bousculé, le cadet partir le premier. Rien à voir, cependant, avec la révolte que provoquait la mort brutale d’une nièce pétillante d’intelligence. Fauchée par un cancer, déjà.
La difficulté aussi de contribuer à le faire vivre dans nos mémoires. Car le risque est grand de se raconter, plus que d’évoquer le disparu.
Trois ans d’écart, c’est peu devenu adulte, mais beaucoup dans l’enfance. Chacun avait les amis de son âge. Puis, l’internat du lycée avec son accumulation de consignes éloignait beaucoup de la famille. Et nos études divergeaient : je poursuivais fumistement des études générales, lui optait pour le professionnel.
Mais alors qu’il n’avait pas supporté l’internat, il me bluffait complètement, pourvu de son BEI, en participant, loin du giron familial, à la construction d’une de nos premières centrales nucléaires. A Saint-Laurent-des-eaux, si je me souviens bien. Puis, ensuite, il montait à Paris pour, du coup, travailler dans l’industrie automobile. Partageant une piaule avec un ami de Doué-la-Fontaine comme lui. Enfin, partant en coopération comme enseignant professionnel à Sétif, en Algérie donc. Lointain moment de retrouvailles, à Azrou, Maroc, pour les fêtes de fin d’année, fin 1971, avec les parents et les frangines.
Comment a-t-il ensuite atterri dans les transports urbains de notre belle ville d’Angers ? Et comme logisticien, comme on dirait maintenant. Et, c’est ainsi qu’il fut détaché dans le Ville d’Alençon pour organiser la 1ère ligne de transport urbain décidé par le Maire, Pierre Mauger, PS, comme l’était le Maire d’Angers, Jean Monnier, à l’époque. Un tel boulot, de nos jours, mobiliserait un cabinet, avec bien sûr, expert(s) surdiplômé(s) et logiciel dédié. Pat, avec pour seul bagage académique un BEI, pilota le lancement de cette ligne.
Inutile de dire que, contrairement à son aîné incapable d’enfoncer un clou sans s’écraser les doigts, Patrick était plus qu’un bricoleur, un rénovateur. Ainsi, dans la campagne angevine, avait-il entrepris de rénover une bâtisse. Mais, alors qu’il finissait à peine, par une vaste salle d’eaux, ce travail de titan, il laissait tomber les bus, pour les fleurs et abandonnait la douceur angevine pour la plus rugueuse Bretagne. Bretagne où nous nous sommes retrouvés pour des noëls familiaux, jusqu’à ce que les petits enfants multipliés dispersent frères et sœurs.
La maladie de Parkinson vint gâcher une retraite, toute relative d’ailleurs puisqu’avec son épouse, Agnès, il continuait à approvisionner la boutique, tenue par sa fille aînée, en fleurs et plantes d’Anjou. Et malgré ce mal ô combien invalidant, quand papa disparut, faisant étape à Doué, il entretenait l’espace vert. Puis quand maman dut recourir à un déambulateur pour se déplacer, sa fièvre rénovatrice s’employa. Aménagement intérieur en abattant une cloison pour faciliter les déplacements. Et surtout la construction d’une impressionnante passerelle extérieure pour permettre à maman de prendre l’air. Et après sa mort, il s’activa encore et encore pour déblayer maison et surtout hangar et écurie avant la mise en vente. Jusqu’au chemin d’accès, où, après avoir récupéré de magnifiques pavés urbains qu’il y avait posés, il remettait tout en état. Comme il avait aussi installé un portail bas d’entrée. Cette inlassable et minutieuse activité – son handicap s’effaçait quand il se lançait dans un travail méticuleux – était un pied-de-nez à ce parkinson !
La camarde, comme disait Brassens, n’a pas dû supporter cette insolence. A 69 ans il nous a quittés.