Quand, le 19 avril 1897, Léo Taxil mit fin à « La plus fantastique fumisterie des temps modernes », un poisson d'Avril, amorcé le 23 avril 1885, devenu une gigantesque baleine, il lui fallut la protection de la police pour échapper à la vindicte de ses dupes qui entendirent son discours à la Société de géographie.
Gabriel, Antoine Jogand-Pages, plus connu sous le nom de Léo Taxil, est né à Marseille le 21 mars 1854 dans une famille catholique. Après des études primaires studieuses chez les Frères Maristes, il fut mis en pension dans un collège de Jésuites. Un site belge prétend qu'il fut viré de chez les jèzes pour avoir été surpris à vider les burettes.
A 25 ans, il est initié à la Franc-Maçonnerie à la loge "Le temple des Amis de l'Honneur Français". Il y rencontre un ancien séminariste, le frère Bernard Enthuileur, avec lequel il s'associe pour fonder la Bibliothèque anticléricale qui publie un certain nombre d'ouvrages dans la veine de « La calotte » ou des « Corbeaux » (il fut poursuivi pour avoir écrit un « A bas la calotte ») mais aussi dans une orientation plus grivoise avec "Les maîtresses du Pape", "Le Pape femelle", "L'homosexualité dans les couvents"...
La conversion
« M. Maurice Jogand, qui s'est tristement illustré sous le nom de Léo Taxil par des publications obscènes déguisées sous couleur de libre-pensée, vient d'abjurer ses erreurs. Il est rentré dans le giron de l'Église ; du moins on l'assure.
Cette conversion ne nous surprend pas. M. Léo Taxil avait attaqué la religion avec trop de fureur fanatique. Son fanatisme s'est retourné. Nous connaissons beaucoup de révolutions de conscience semblables.
C'est en revenant d'un congrès anticlérical tenu à Rome et sur la route de Marseille à Lyon que l'impie a été touché de la grâce. Il a tout de suite fait amende honorable entre les mains d'un prêtre.
Mais l'absolution que cet ecclésiastique a pu accorder à son pénitent inattendu ne peut être que provisoire. M. Léo Taxil a été frappé par le pape d'excommunication majeure. C'est le pape seul ou le grand pénitencier qui peut le relever de cette sentence d'anathème. »
Puis, tel Saül, sur le chemin de Damas, nouveau Paul, il se convertit en 1885. Conversion examinée de près par le Vatican, mais après avoir été confessé par un jésuite (pour les avoir fréquentés, il connaissait les « bons pères »), interrogé par deux cardinaux, il fut enfin reçu en audience par Léon XIII.
Avec un zèle égal à celui qu'il avait déployé dans l'anticléricalisme, il se déchaîna dans l'anti-maçonnisme : Les Frères trois points, La Franc-Maçonnerie dévoilée, Les mystères de la Franc-Maçonnerie, La France Franc-Maçonne, Les soeurs maçonnes...
Il y accusait la Franc-Maçonnerie des pires abjections, allant jusqu'à décrire un culte de Baphomet* dans les loges dont le chef suprême, Albert Pike, rencontrait Lucifer tous les vendredi après-midi à trois heures.
Ces affirmations étaient corroborées par un Dr Bataille, catholique prétendument fervent, qui s'était voué à explorer ce culte satanique et surtout par Diana Vaughan, jeune et belle américaine, supposée Grande Maîtresse du Rite Palladique Rectifié, convertie par l'intercession de Jeanne d'Arc (pas encore canonisée). C'est elle qui avait révélé des textes de Pike dévoilant ce Palladisme dont elle avait été, elle-même, Grande Maîtresse Templière !
« …et ce bateau du palladisme a été un vrai cuirassé auprès du remorqueur que je fis, pour mes débuts, envoyer à la chasse aux requins dans la rade de Marseille. Avec le concours du docteur Bataille, le cuirassé est devenu toute une escadre ; et quand Diana Vaughan a été mon auxiliaire, l’escadre s’est transformée en flotte . »
L'évêque états-unien de Charleston, où la loge maçonnique était censée se livrer au culte de Baphomet, eut beau faire le voyage à Rome pour témoigner que les maçons locaux étaient de paisibles bourgeois et que leur local n'avait aucun sous-sol labyrinthique pour pratiquer des rites sataniques et sexuels, il fut désavoué et soupçonné d'être lui-même maçon.
En 1896, une conférence internationale antimaçonnique se réunit à Trente pour examiner les révélations de Diana Vaughan.
Une sœur Thérèse de l'enfant Jésus, du Carmel de Lisieux, s'intéressa à la conversion de Diana Vaughan ; la prieure du couvent avait écrit à Diana en lui envoyant une photo de sœur Thérèse interprétant Jeanne d'Arc. La photo avait été prise en 1895, lorsqu'elle avait écrit une pièce de théâtre racontant la vie de la jeune Lorraine. Diana avait même répondu. Le 19 avril 1897, lundi de Pâques, avant le début de la séance à la Société de Géographie, on projeta sur grand écran une photographie représentant l'apparition de Sainte Catherine à Jeanne d'Arc, d'après un tableau qui aurait été fait en l'honneur de Diana Vaughan dans un couvent de Carmélites.
« Parmi les adages de l’Art culinaire, on trouve cité souvent celui-ci : ‘On devient cuisinier mais on naît rôtisseur’. Il en est de même pour la Fumisterie : on naît Fumiste.»
Léo Taxil 19 avril 1897.
Une pure fumisterie
Ce lundi de Pâques, Léo Taxil dévoila donc son gigantesque canular qui ferait passer tous les « hoax » de la toile pour de la roupie de sansonnet.
“– Vous n’avez pas l’air de vous douter que vous êtes une immonde fripouille !
Cette interruption, absolument dénuée d’amabilité sinon de vérité, est la première qui ait coupé, hier soir, à la salle de la Société de géographie, les fort instructives déclarations de M. Léo Taxil.
Mais M. Léo Taxil ne paraissait pas le moins du monde se rendre compte de l’impression d’écœurement qu’il produisait sur une assemblée où les libres penseurs étaient cependant aussi nombreux que les catholiques.
M. Léo Taxil a résumé en trois mots ce qu’il appelle « la plus colossale mystification des temps modernes » ; « Ma conversion au catholicisme a d’abord été un simple bateau. La collaboration de mon compère le docteur Bataille en a fait une escadre. Enfin, elle est devenue une véritable flotte grâce à Diana Vaughan. » Diana Vaughan a joué effectivement le rôle principal dans la grande mystification dont il se flatte aujourd’hui. Ce rôle était celui d’une ex-luciférienne convertie au catholicisme, et dont les abracadabrantes révélations sur les mystères du Palladisme et de la franc-maçonnerie étonnent depuis plusieurs années le monde religieux. Naturellement, toutes ces prétendues révélations émanaient de Léo Taxil en personne, dont le but, avoué aujourd’hui, était de gagner le plus d’argent possible en exploitant la crédulité des catholiques. Mais tout finit, et l’on s’est aperçu un beau jour que Diana Vaughan était un mythe et Léo Taxil un simple farceur.
Il est douteux que les francs-maçons tuent le veau gras en l’honneur de ce singulier transfuge. Hier soir, il a été hué dans les grands prix. Mais le clergé, qui trop facilement lui ouvrit ses bras, fera bien de se montrer à l’avenir moins crédule et moins confiant. C’est la seule moralité à tirer de l’aventure.”
Extrait du Figaro du 20 avril 1897, Julien de Narfon, « Léo Taxil, dévoilé par lui-même. »
Il n'avait eu que deux complices : le Docteur Hacks , alias docteur BATAILLE, avec qui il avait lancé une nouvelle publication: "Le diable au XIXème siècle" et surtout Diana Vaughan, protestante française, plutôt libre-penseuse, dactylographe de son état et représentante d'une des fabriques de machines à écrire des Etats-Unis.
Cela ne lui valut aucune reconnaissance de la Franc-Maçonnerie, alors même qu'il avait dévoilé la crédulité et l'insondable sottise de catholiques, il est vrai nourries d'une encyclique Humanum genus dirigée contre les francs-maçons alliés du diable.
Le Dr Bataille a conclu : « Tout cela a été une pure fumisterie. Les catholiques avalèrent tout sans broncher, et la niaiserie de ces gens est telle, que si je leur disais aujourd'hui que je les ai roulés, ils refuseraient de me croire et resteraient convaincus que tout ce que j'ai inventé est la vérité même. »
Et de fait, aujourd'hui encore, il en existe pour expliquer que Taxil a été manipulé par les Francs-Maçons.
Il est vrai que des adeptes actuels de la théorie du complot - le Nouvel Ordre Mondial avec son armée secrète d'hommes en noir (Le Monde 2, 03/01/09) - ont inventé des reptiles humanoïdes (hybridation de lézards extra-terrestres et d'humains) qui n'ont rien à envier aux hommes monstres qui dans d'immenses ateliers secrets, sous le rocher de Gibraltar, fabriquaient les instruments usités dans les cérémonies du Palladisme et dont les forges sont alimentées par le feu même de l'enfer !
* Baphomet est le nom donné par certains occultistes du XIXe siècle à l’idole mystérieuse que les chevaliers de l’Ordre du Temple furent accusés de vénérer. Une étude assez exhaustive dans Debunkers Les fondus du satanisme (1): Baphomet
Pour compléter :
Tuons-les par le rire !
Léo Taxil, Huysmans du pauvre ?
Léo Taxil : quitte à mentir autant en faire des tonnes !
Léo Taxil, polémiste génial, anticlérical radical et roi de la fumisterie
Léo Taxil ou l’antimaçonnisme alimentaire
Jean Baubérot me signale l'ouvrage qu'il a co-signé avec Valérie Zuber : Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le « pacte laïque » (1870-1905), Paris, Albin Michel, 2000, « Sciences des religions ».
« On [y] trouve (…) une réflexion stimulante sur l’éventuelle parenté des « doctrines de haine » qui se partageaient la France à la fin du XIXe siècle. Un édifiant détour est d’abord proposé à partir de l’extravagante figure de Léo Taxil – étudié naguère par Eugen Weber et Massimo Introvigne –, qui passa de l’« anticléricalisme graveleux » à l’« antimaçonnisme pornographique », en appliquant les mêmes recettes éditoriales à succès à la dénonciation de deux mondes ennemis qui le reconnurent l’un et l’autre, successivement, pour leur champion. »
Je n'ai pas mentionné, non plus, Le Cimetière de Prague d'Umberto Eco qui conte pourtant avec art (et citations et illustrations) l'affaire Taxil car le velléitaire que je suis se promet, de longue date, de, sinon rendre compte de l'oeuvre, du moins de la partie consacrée à Léo Taxil...
En cadeau bonus La Marseillaise anticléricale écrite par Léo Taxil en 1881 et interprétée par Marc Ogeret
Quelques spécimens de la veine anti-cléricale de Léo Taxil
"Le but que je me suis proposé est, en suivant pas à pas la légende chrétienne, d’en faire ressortir tous les ridicules et toutes les contradictions, afin de bien démontrer que, d’un bout à l’autre, et sous quelque aspect qu’on l’envisage, l’histoire de Jésus-Christ, homme ou dieu, n’est qu’un tissu de fables immorales et stupides."
Léo Taxil
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