Cahuzac, Arfi-Plenel, Copé, Le Pen-Mélenchon et les autres : après l’aveu, peut-on inciter certains à la décence et d’autres à la retenue ?
Si les révélations de Mediapart pouvaient apparaître d’une fiabilité douteuse, c’est que le seul élément de preuve tangible était un enregistrement d’une conversation téléphonique. Enregistrement obtenu en 2000 de façon assez rocambolesque par un ennemi politique de Cahuzac. Enregistrement que cet ennemi avait mis au frigo – confié à un notaire – pendant une douzaine d’années. Copie en avait été confiée à l’ex-juge Bruguière, candidat UMP face à Cahuzac en 2007, qui n’avait pas jugé bon de l’utiliser (au moins publiquement). La seule autre source était un ex-inspecteur des impôts à la fiabilité assez fragile puisqu’il suspectait, outre Cahuzac, beaucoup de monde, y compris ses supérieurs. Pascale Clark qui réclamait des preuves n’avait apparemment pas tort.
Sauf que, contrairement à Plenel qui voulait faire passer l’enregistrement pour la preuve absolue, Arfi, l’enquêteur, lui, arguait de la protection de ses sources. Sa source est-on tenter de dire maintenant que des pans entiers de l’affaire se dévoilent, après l’aveu. Sans entrer dans des considérations sur la proximité idéologique ou pas du chirurgien avec des anciens du GUD, il ressort que son fameux compte en Suisse a été ouvert par un avocat ami de la famille de sa femme. Les deux époux sont lancés dans un divorce* qui tient de la guerre civile. Ce n’est certainement pas l’enregistrement, fût-il fiable à 60 %, qui a forcé Cahuzac à l’aveu. Mais la certitude – sans doute confirmée par la source elle-même – que Mediapart avait, de fait, des preuves plus solides.
Le fameux avocat – ex-GUD, ami de Marine Le Pen - a créé le compte – c’est la ligne de défense de la cheftaine du F-Haine - à une époque où elle n’était qu’avocate stagiaire. Qu’elle n’ait donc pas entendu parler, à ce moment-là, de ce service rendu bénévolement (!) par l’avocat fiscaliste à un futur élu socialiste, est évident. Mais que, depuis que l’affaire a été lancée, le « bavard » (comme on surnomme les avocats) ne lui ait rien dit est tout-à-fait improbable. Et, finalement, le F-Haine, n’en fait pas des tonnes dans le registre « tous pourris ». Il laisse ce rôle au poujado-chavezien, eurodéputé absentéiste, dont les imprécations perpétuelles ne profitent guère à son camp. Ses séïdes ont, sans complexe, ironisé sur la défaite du PS dans la partielle de l’Oise, oubliant que leur candidat local s’est banané avec 6,5 % de voix. L’anti-socialisme outrancier de l’ex-sénateur PS est tout bénéf pour l’extrême-droite. Si le proutschiste réussissait son opération du 5 mai, ce qui malgré l'apport d'Eva Joly est heureusement improbable, on pourrait prévoir un tsunami de droite… extrême.
Copé-la-triche, sans complexe ! L’ami de Takieddine, le traficoteur d’élections internes, président-la-resquille de l’UMP, se mêle de sommer Hollande de remanier. Faut-il rappeler que le point de départ de l’enquête d’Arfi fut le bizarre appel, par Cahuzac à peine Ministre, à un expert pour tenter de blanchir Woerth dans une obscure opération de vente d’un hippodrome à Vincennes ? Libé, dans un article un peu ambigu, révèle aussi que des membres du cabinet de Xavier Bertrand, en avril 2012, parlaient des casseroles de Cahuzac.
Reste que le journalisme d’investigation plenelien nous laisse un peu sur la faim et manie le jésuitisme aussi bien que le pape François-tout-court.
Eh quoi ! voici la source officielle, l’homme au répondeur magique qui enregistre des appels qui ne lui sont pas destinés, le sieur Gonelle, qui, au lieu d’exploiter cet enregistrement miraculeux, alors que Cahuzac est son challenger à la Mairie, puis à la députation (2001, 2002), le confie à son notaire ! M. Arfi, ça ne vous interroge pas cet auto-embargo qu’on peut maintenant qualifier de recel d’élément de preuve d’évasion fiscale ? Et cette affaire d’hippodrome – point de départ de votre enquête – qui ressemble fort à un renvoi d’ascenseur, elle ne vous incite pas à savoir ce que savait précisément Woerth sur le compte de Cahuzac ?
Et cette nouvelle chasse au scalp, à l’encontre de Moscovici (lisse comme un œuf, le scalp) n’est-elle pas un peu contradictoire avec la vertueuse affirmation plenelienne d’un journalisme qui n’a pour noble but, hautement démocratique, que d’informer les citoyens. Honte à Mosco, clame Arfi, honte à lui qui a mobilisé les moyens de l’état pour tenter de blanchir son Ministre du budget ! Conflit d’intérêt ! On imagine l’administration des finances toute mobilisée. Il s’agissait d’une lettre qui a dû, en admettant que son rédacteur ne sache pas se servir d’un clavier, mobiliser un membre du cabinet et une secrétaire pendant, au pire, une heure. Lettre qui questionnait les Suisses sur la base des informations de Mediapart. Et réponse transmise au procureur qui, à l’époque, n’avait pas encore mis le dossier entre les mains de juges d’instruction. Quel salopard, ce Mosco !
Cahuzac, le puncheur, est K.O. Il a lourdement failli, il a brutalement chuté. Il n’a pas vu – ou pas voulu voir - que Mediapart avait dans sa manche l’atout maître. Le transfert de compte vers Singapour, évoqué dès le départ, devait pourtant lui montrer qu’Arfi avait bien plus en main que l’enregistrement de Gonelle. Il a dû avouer. Faire de cette défaillance individuelle, bien antérieure à la fonction ministérielle du coupable, le symptôme d’une « pourriture » des politiques est non seulement une faute, mais, venant de la gauche tribunicienne, une lourde erreur qui fait le lit de l’extrême opposée.
* Il faut rappeler que Le Canard Enchaîné, découvrant cet aspect du dossier Cahuzac – avec notamment de mystérieux détectives privés – avait pris pour cela ses distances avec une affaire politico-privée.
Pour compléter et sous deux autres angles :
Débat (Le Monde)
Que cache l'affaire Cahuzac ?
Les aveux de l'ancien ministre du budget et les révélations qui ont suivi nourrissent des théories paranoïdes. Le déluge de l'information peut brouiller notre lecture de l'actualité.
Gérald Bronner (Professeur de sociologie à l'université Paris-Diderot)
Et
Chérèque : "C'est toute la gauche réformiste qui est humiliée"
"Ce qui me révolte le plus, c'est la honte que Jérôme Cahuzac fait porter sur ceux qui pensent qu'il est juste de mettre fin aux dérives des finances publiques", affirme le président de Terra Nova.
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