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16 décembre 2021 4 16 /12 /décembre /2021 19:04
Espagne AMNISTIE ET AMNÉSIE

Pour une loi de mémoire qui met fin à l’impunité du franquisme, abolition de la loi d’amnistie, il y en a assez de l’impunité proclament deux banderoles brandies devant le Congrès des députés à Madrid par un « collectif de victimes du franquisme ».

46 ans après la mort du Caudillo, on a oublié qu’aux lendemains de ce décès, les mobilisations populaires contre la prolongation du régime franquiste et pour l’instauration d'un système démocratique se sont incarnées dans un cri commun “Libertad, Amnistía y Estatuto de Autonomía” ("Liberté, Amnistie et Statut d'Autonomie"), identique au Pays Basque, Catalogne, Andalousie ou Castille. En mai 1977, il y a eu des dizaines de mobilisations pour l'amnistie dans toute l'Espagne, violemment réprimées

La loi d’amnistie, comme le rappelle Soledad Gallego-Díaz, ne fut pas imposée par l’extrême-droite, mais fut une initiative de la gauche qui répondait à une énorme demande de la société espagnole de l’époque. Les députés qui ont voté en faveur de l'amnistie le 14 octobre 1977 (dont 80 étaient passés par les prisons franquistes) savaient exactement pour quoi ils votaient. 

Quelques jours après son investiture, "par ordre direct du roi", en tant que Premier ministre, Adolfo Suárez a approuvé, le 30 juillet 1976, un décret-loi annonçant une amnistie partielle pour les délits politiques sans effusion de sang ce qui permit à la grande majorité des prisonniers politiques de sortir de prison. En janvier de l'année suivante, les principaux dirigeants des partis politiques rencontrèrent Suárez et lui demandèrent une amnistie complète, qui inclurait tous les crimes politiques commis entre le 18 juillet 1936 et le 15 décembre 1976, « cualquiera que fuera su resultado ». 

Une amnistie qui allait donc être accordée à ceux qui avaient commis des crimes de sang (en particulier 90 prisonniers de l'ETA), ainsi qu'aux tortionnaires qui avaient passé à tabac des prisonniers politiques et des grévistes dans les commissariats, même après la mort de Franco.

Le 15 juin 1977, les premières élections démocratiques ont eu lieu et la première loi approuvée par ce premier Parlement, en octobre de cette année là, était précisément la loi d'amnistie, pratiquement dans les termes énoncés lors de la rencontre de janvier avec Suárez.

Cette loi fut élaborée par une commission dans laquelle étaient présents, entre autres, Pilar Brabo (PCE), Plácido Fernández Viagas et Pablo Castellanos (PSOE), Xabier Arzalluz (PNV) et Donato Fuejo (PSP). Le texte de la loi est parvenu à la session plénière du Congrès le 14 octobre 1977 et a été approuvé avec le vote en faveur de l'UCD, du PSOE, du PCE, de la minorité basco-catalane, du PSP, l'abstention de l'Alliance populaire et deux votes négatifs (dont l'un, l'ex-commandant de l'UMD Julio Busquets, élu député sur les listes socialistes).

Espagne AMNISTIE ET AMNÉSIE

« Nous voulons fermer une étape, nous voulons en ouvrir une autre. Nous, justement nous, les communistes, qui avons tant souffert, avons enterré nos morts et nos rancunes

Marcelino Camacho

L'intervention la plus attendue, lors de la séance solennelle, était celle de Marcelino Camacho, l'un des fondateurs des Comisiones Obreras, qui avait subi neuf ans de prison dans les prisons franquistes et qui était chargé d'expliquer le vote favorable du Parti communiste. Camacho a rappelé que la politique de réconciliation nationale était une volonté politique du PCE depuis des années. « Nous considérons cette loi comme un élément capital de la politique de réconciliation nationale… Nous voulons fermer une étape, nous voulons en ouvrir une autre. Nous, justement nous, les communistes, qui avons tant souffert, avons enterré nos morts et nos rancunes

Camacho, comme d'autres orateurs le feront aussi, n'a regretté que deux choses : que la loi d'amnistie n'inclue pas la réhabilitation des militaires de l'UMD (dont plusieurs, comme le commandant Otero et les capitaines Reinlein, Ibarra et García Márquez, étaient présents en galerie), ce à quoi l'armée s'était radicalement opposée ; et que ce qu'il appelait lui-même « les crimes des femmes » soit « pour plus tard ». En effet, la loi d'amnistie n'envisageait pas la libération de prison ni l'indemnisation financière des femmes condamnées pour prostitution, adultère et avortement clandestin, car elles n'entraient pas dans la catégorie des délits politiques.

Le vote socialiste fut défendu par Txiki Benegas, qui a rappelé les nombreuses mobilisations populaires pour l'amnistie, depuis la mort de Franco, dont la répression violente avait causé des morts  et « les situations d'extrême tension dans certaines régions, comme le Pays basque, jusqu'à aujourd'hui, après ce chemin mouvementé, enfin la guerre civile, la division entre les Espagnols vont être enterrées ». Benegas a regretté que les violences continuent d'exister au Pays basque et a lancé un appel "à la pacification d'Euskadi". 

C'est peut-être Donato Fuejo, porte-parole du parti d'Enrique Tierno Galván (Parti socialiste populaire, PSP), qui a évoqué plus clairement ce qu'il a qualifié d'"aspects insatisfaisants de la loi". "Il aurait fallu que cette loi envisage une réparation morale qui fermerait une fois pour toutes l'abîme qui a brisé notre société en deux", a-t-il expliqué. "Ne pas rendre justice à ceux qui se sont battus pour la démocratie pendant tant d'années pourrait créer un sentiment de frustration qui pourrait être négatif pour l'avenir de la coexistence et de la pacification des citoyens." Malgré tout, Fuejo a considéré que le texte était "le meilleur possible".

Dénoncer, aujourd’hui, une loi d’amnistie, qui visait d’abord la libération des prisonniers politiques, c’est ignorer qu’au lendemain de la disparition du dictateur, qu’adossé à l’église espagnole, l’appareil franquiste (armée, police, justice, administration, pouvoir économique et politique) était toujours là. L’instauration d’une démocratie était rien moins que sûre. Le 23F, la tentative de coup d’état du 23 février 1981, a montré combien la démocratie naissante était fragile

Comme l’analyse, Javier Cercas, l’arrivée au pouvoir politique, économique et intellectuel d’une génération de gauche, n’ayant pas pris part au passage de la dictature à la démocratie, se traduit par une amnésie historique. Or, comme il le rappelle dans Anatomie d’un instant, la rupture avec le franquisme fut néanmoins une rupture authentique. Pour y parvenir la gauche a fait de multiples concessions, mais faire de la politique suppose de faire des concessions, parce qu’elle consiste à céder sur l’accessoire pour ne pas céder sur l’essentiel ; la gauche céda sur l’accessoire, mais les franquistes cédèrent sur l’essentiel : le franquisme disparut et ils furent obligés de renoncer au pouvoir absolu qu’ils avaient détenu pendant un demi-siècle.

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