L’agité du bocage, qui ose se présenter comme un refuznik – à croire que le Puy-du-fou est son goulag – a donc commis, à la veille des élections européennes, un libelle complotiste qui fait de l’Europe naissante l’enfant bâtard du nazisme et de la CIA. Jean Monnet : un agent de la CIA. Robert Schumann, un ex-pétainiste, et Walter Hallstein, premier Président de la communauté européenne, un Nazi.
Le Vicomte Le Jolis de Villiers de Saintignon a l’art de travestir les faits. Ainsi, contre-attaque-t-il dans le JDD du 31 mars en prétendant qu’on l’accuse de complotisme et qu’on lui dit que les faits étaient connus : « Ces deux premiers points sont incompatibles ».
Sauf que comme le note une tribune signée, elle, par de vrais historiens et non des histrions : « Le polémiste a l’art de transformer certaines vérités, développées depuis longtemps par des ouvrages scientifiques, en contre-vérités utiles à sa démonstration idéologique. » Donc rien d’incompatible : il prétend avoir mené des investigations pour découvrir des sources cachées, des archives secrètes, alors que tout est public et de longue date ; mais il tord les faits, voire il ment délibérément, pour, avec Asselineau, inventer un sombre complot Nazi-CIA.
La méthode à Phiphi
Rien que du connu, quelques ilots de vrai dans un océan d’omissions, avec un brin de mensonge.
On se contentera de l’exemple de Schuman.
Si ces accusations n’étaient pas odieuses, il serait assez plaisant de voir notre hobereau vendéen reprendre les injures du PCF à l’encontre de Robert Schuman au lendemain de la seconde guerre mondiale.
« Nous avons de la terre de France à nos souliers, nous ! » clame le député PCF Ramette en 1947. « Où étiez-vous soldat en 1914, monsieur le président du Conseil ? » demande Charles Tillon. Et le même jour Jacques Duclos enfonce le clou « Le président du Conseil est un ancien officier allemand. C’est un Boche, ce président du Conseil. Á bas les Boches ! Vive la République ! » Auguste Lecoeur complète : « Il a été ministre de Pétain ; il a été valet des Boches ». Et c’est à Duclos que revient la conclusion : « Ainsi donc, monsieur Robert Schuman, nous le savons, a donné son adhésion à cette politique de collaboration avec les impérialistes américains qui devient par la force des choses une politique de soumission de la France »*. Quasi du de Villiers dans le texte.
Nos stals nationaux feignaient d’ignorer que l’Alsace et la Moselle avaient été annexées par le tout neuf empire Allemand (traité de Versailles 1871). De Villiers fait de même. Né en 1886, d’un père Mosellan, Robert Schuman est né Allemand. Que le papa Schuman n’ait pas comme les aïeux grands maternels du Vicomte – les de Saintignon – fait le choix de l’exil, le petit Robert n’y est pour rien (pas plus d’ailleurs que le Philippe dans le patriotisme de ses ancêtres). En 1914, il a donc été mobilisé côté Allemand. Mais contrairement aux âneries proférées par les stals en 1947, réformé pour raisons médicales, s’il a été cependant incorporé, ce fut à des tâches administratives. Il n’a donc jamais porté les armes contre la France.
Sur le plateau des « Terriens du samedi ! » sur C8, de Villiers se targue d’avoir « appris à une très très haute personnalité française (Macron ?) que Schuman avait soutenu les accords de Locarno, les accords de Munich ». Quel méli-mélo ! les accords de Locarno, œuvre d’Aristide Briand – un pionnier dans la recherche de l’unité de l’Europe – scellait une réconciliation franco-allemande et c’est tout à l’honneur de Schuman, député de la Moselle, de l’avoir soutenue ; ceux de Munich, scellait une capitulation franco-britannique, sacrifiant la Tchécoslovaquie ; ils furent, hélas, très largement approuvés. Le Vicomte ajoute que Schuman avait été ministre du maréchal Pétain, avant de voter les pleins pouvoirs [à ce dernier]. « La guerre arrive, Schuman est nommé sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés le 21 mars 1940, avant l’attaque allemande, sous le gouvernement de Paul Reynaud, rappelle Bernard Bruneteau. Il est confirmé dans ce poste sans avoir été consulté le 16 juin 1940, dans le premier gouvernement Pétain du 13 juin 1940. Quand arrive le fameux vote du 10 juillet 1940 à Vichy qui octroie les pleins pouvoirs à Pétain, Schuman vote le texte avec l’écrasante majorité de la Chambre des députés. Mais le lendemain, il refuse de participer au premier gouvernement de Vichy et retourne en Lorraine. » (Les décodeurs du Monde) Lorraine où il est arrêté par la Gestapo, emprisonné, puis assigné à résidence. En 1942, il réussit à s’échapper. Parce qu’il se réfugie de monastère en monastère, Philippe de Villiers le compare au collaborateur Paul Touvier, qui fait de même après 1947 pour échapper à la justice : ne pas faire la différence entre un homme qui fuit les nazis et un autre qui s’est au contraire rallié à leur cause est une parfaite illustration de la malhonnêteté intellectuelle du Vicomte. (Le Monde)
On ne détaillera pas les falsifications sur le malheureux Walter Hallstein (qui se souvenait qu’il fut le 1er Président de la communauté européenne ?) aussi Nazi qu’a pu l’être le pape Benoît XVI et sur Jean Monnet, devenu sous sa plume agent stipendié de la CIA. Quant au plagiat, on ne peut qu’inviter à lire l’article du Point.
Tout ça pour enfoncer des portes ouvertes : comme les communistes appliquaient fidèlement les consignes du petit père des peuples, le Grand Staline, les chrétiens-démocrates européens étaient des atlantistes convaincus, dans un climat de guerre froide. Mais la CECA puis l’Europe des six étaient au départ dans une logique de réconciliation franco-allemande, reprenant le fil rompu des accords de Locarno.
L’admirateur extasié de l’ex-KGBiste, Poutine, qui se la joue, sans vergogne, refuznik, est tout heureux de voir son dernier factum objet de critiques. Il eut sans doute fallu traiter par un mépris silencieux ces prétendues révélations qui ne sont que distorsions de faits connus. Il a tiré le fil du mensonge, dit-il. Eh non ! des fils qu’il a tirés, il a fait un tissu de mensonges.
* Citations extraites du "petit dictionnaire des injures politiques" l'Editeur 2011
Sources :
Le journal du dimanche 31 mars 2019 (auquel j'ai emprunté la photo de "une" et un article de J. Gattegno)
« Philippe de Villiers n’a pas le droit de falsifier l’histoire de l’UE au nom d’une idéologie »
Philippe de Villiers et l’Europe, entre contre-vérités et complotisme
Le livre complotiste (et plagiaire) de Philippe de Villiers sur l'Europe
Voir aussi Le canard enchaîné du 3 avril 2019
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