Brière. Il y a presque un quart de siècle. Soir de réveillon. Bien arrosé comme il se doit. Nous avons migré de la haute Normandie à la basse Loire et une collègue de notre ex-collège et son compagnon, appelons-les Aude et Lucien, sont venus, pour la deuxième année consécutive, finir l’année et commencer la suivante avec nous.
Banalement, la conversation d’après réveillon dérive sur les autres collègues de là-bas (ou là-haut, si l’on préfère). Après les évocations joyeuses de fiestas mémorables, puis plus moqueuses sur tel ou telle, Aude se lance dans une attaque, aussi inattendue que rugueuse, contre le chef d’établissement, appelons-le Robert. Attaque à laquelle je riposte avec une violence digne d’un Mélenchon s’en prenant aux journalistes. « C’est fini ! » -entendez "fini ces rendez-vous annuels" – décréta Lucien d’une voix blanche. J’avais été l’adjoint de Robert, un Principal qui respirait et donc inspirait l’empathie. Robert, dont Aude ne pouvait ignorer que je savais qu’il lui avait donné un très sérieux coup de main quand son mari s’était tué dans un accident de la route. D’où mon ire trop bruyante et emphatique. Inutile de dire que nous n’avons plus eu de nouvelles d’Aude…
Ce n’est que beaucoup plus tard – esprit de l’escalier – que j’ai baptisé la réaction de l’amie Aude ‘effet Perrichon’.
Dans un des résumés de la pièce – Le voyage de M. Perrichon - on nous explique que « Deux jeunes gens qui les accompagnent se battent pour épouser sa fille. Sur le glacier, Perrichon glisse, l'un des deux jeunes le sauve, mais l'ingrat Perrichon préfère l'autre jeune homme, car celui ci, malin, a fait mine de glisser. Perrichon est intervenu, et croyant le sauver, il se vit en héros et sympathise avec l'imposteur, le croyant redevable. »
Ce que j’appelle « effet Perrichon » se situe bien sûr dans cette détestation de son sauveur. Et encore, dans la pièce, le sauveur n’est pas dénué d’arrière-pensée : sauvant le père, il espère avoir la fille. Tandis que dans le cas de figure que j’évoque – l’effet Perrichon chimiquement pur – celui que j’ai baptisé Robert n’escompte ni ne demande aucune contrepartie. Insupportable d’être redevable sans pouvoir s’acquitter.
S’acquitter d’une dette sans débiteur…
Robert quand il a aidé Aude à devenir Maîtresse Auxiliaire de ce qui devait s’appeler à l’époque E. M. T. (Education manuelle et technique) n’a rien demandé. Ça n’a pas même dû lui venir à l’esprit. Á tort. Car c’est de cela qu’Aude lui en voulait, de ce que – par sa faute inconsciemment imputée – il n’était pas possible de se libérer de cette pénible dette de reconnaissance.
Mais, de fait, l’effet Perrichon, tel que je l’ai défini, rend imaginairement redevable d’une dette de reconnaissance. Il faut donc tenter de sortir de cet imaginaire. Ainsi dans des actions associatives qui rendent leurs bénéficiaires aussi ‘redevables ‘, il faut penser à leur permettre de se retrouver ‘créditeurs’.
D’ailleurs Aude qui avait autrefois accueilli son Lucien, chien perdu sans collier, s’était, si c’était nécessaire, acquittée de la dette fictive qu’elle croyait avoir contractée.
Sortir de l’effet Perrichon, c’est transformer une dette en don… à l’infini.
M'est revenu un épisode plus personnel qui illustre aussi cet "effet Perrichon"
SETTAT, entre Casa et Marrakech, sans doute en 1970 ou 1971.
Des cousins, arrivés au Maroc en même temps que nous, mais nommés, les pauvres, dans ce coin sans attrait, nous reçoivent à l'occasion de petites vacances de printemps. Je ne conterais pas comment, à l'occasion d'un gigantesque couscous dans leur lycée, je me suis ridiculisé en essayant de faire des boulettes de semoule.
Les vrais réseaux sociaux de l'époque - bouche à oreille - ont fait que nous avons appris qu'une 403 de coopérants s'était fait amocher par une voiture de location pilotée par des amerloques kiffés jusqu'à la moelle. Et, renseignements pris, qu'il s'agissait de coopérants d'Ifrane.
403, Ifrane : ils ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour filer à l'hôpital, quasi sûrs que nous étions qu'il s'agissait de nos amis, appelons les Kerrichon. Le mari et le fils étaient intacts. L'épouse, enceinte, avait, elle, le ventre constellé d'éclats de verre du pare-brise. Eclats que MF a extirpé un à un à la pince à épiler.
De retour au boulot, à Azrou pour nous, Ifrane pour eux, en attendant que la 403 sérieusement accrochée se retrouve en état de rouler, je ravitaillais nos amis en viande, légumes et fruits, au moins une fois par semaine. Avec le mari, appelons-le Yann, j'avais, entre autres, participé à la réalisation d'une série de fiches pédagogiques sur les films pour enfants et adolescents proposés gratuitement aux enseignants par les services culturels français.
Le Yann Kerrichon se lança dans un projet de film sur Volubilis, auquel il m'invita à participer. Comme qui dirait que je ne fis sans doute pas preuve de l'enthousiasme qu'il attendait de moi. Toujours fut-il que je ne fus plus associé au projet et à sa réalisation. Et qu'alors que nous nous rencontrions chez les uns et chez les autres régulièrement, toutes relations cessèrent.
Mais plus curieusement, alors qu'un club photo se mettait en place - club auquel je fus associé au départ ne serait-ce que dans l'achat d'un agrandisseur- Yann Kerrichon en étant devenu le maestro - il avait, de fait, une maîtrise de la photo bien supérieure à celle des autres membres - il m'en a exclu. Je m'en suis remis. Mais ce qui à l'époque m'a le plus déçu c'est que les autres membres de ce club naissant aient avalisé cette arbitraire exclusion.
Une illustration quasi caricaturale de cet effet Perrichon.
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