Avec Trump nous voyons sombrer le néolibéralisme et la mondialisation. Son retour farouche à l’État renoue aussi avec celui de l’espace vital : l’État a besoin de tout dans ses frontières, et non dans ses échanges commerciaux. Il renoue aussi avec deux fondements de l’impérialisme étatsunien : la doctrine Monroe complétée par la politique du big stick (gros bâton) et la croyance messianique d’une Destinée Manifeste des E-U assignée par la divine providence.
Lors d’une conférence de presse, puis devant le congrès, Trump affirme donc sa volonté de faire, dans une Anschluss à sa façon, du Canada le 51 état des E-U, affublant le 1er ministre canadien du titre de « gouverneur », de reprendre possession du canal de Panama et, quant au Groenland ce « très grand territoire » dont les Américains ont « vraiment besoin pour la sécurité internationale » : « Je pense que nous l’obtiendrons – d’une manière ou d’une autre, nous l’obtiendrons. »
Guerre 1812-1814, la Maison Blanche incendiée par les Britanniques le 24 août 1814
Dès la Révolution américaine – la révolte des colons contre la métropole dirigée par Georges Washington – les troupes insurgées tentèrent d’incorporer le Canada à la future confédération, la bataille de Québec du 31 décembre 1775 signa leur échec. La volonté annexionniste se réveilla en 1812, pour se solder par un match nul (les troupes anglaises allant quand même jusqu’à Washington faire flamber la Maison Blanche). Puis, au lendemain de la guerre de sécession, quelques milliers d’anciens combattants d’origine irlandaise, les Fenians, pour affaiblir l’Angleterre, vont mener des attaques au Canada de 1866 à 1871 (les E-U fermant les yeux sur leurs raids chez le voisin du nord). Il y a donc un passé annexionniste. Mais qui n’a provoqué aucune velléité de rattachement, chez les Canadiens. Et il faudrait les convaincre que le bien être social dont ils bénéficient est à jeter aux orties, même si le trumpisme est maître dans l’art de faire passer le faux pour le vrai et la protection sociale pour une atteinte à la liberté.
Et il se peut même que les canadiens aient un certain attachement à leur indépendance.
Quant au Panama, la naissance même de cet état en 1903 est l’illustration de la politique du gros bâton chère à Théodore Roosevelt : la province colombienne de Panama devient indépendante, car le parlement colombien avait eu l’audace de refuser les conditions léonines imposées par les E-U qui voulait reprendre la construction d’un canal laissé en plan par de Lesseps. L’état, créé grâce aux canonnières étatsuniennes, concéda donc une bande de dix milles, propriété des E-U. Un état qui se réserve le droit d’intervenir dans la politique panaméenne, en principe jusqu’en 1936, mais en fait jusqu’en 1989, pour une « just cause », bien sûr, déposer le dictateur Noriega. Le canal avait été remis au Panama en 1977, avec abandon, progressif, des infrastructures civiles et militaires. C’est ce que Trump semble vouloir invalider.
Trump propose donc un retour sur deux concepts anciens et déterminants de la politique étatsunienne qui ont connu, depuis le XIXe siècle, des intensifications, des modifications et des actualisations. D’abord la doctrine Monroe – pas Marilyn mais James 5e président (1817-1825) – et la croyance messianique dans une Destinée Manifeste, une prédestination divine, sur laquelle les États-Unis ont basé leur expansionnisme continental puis international.
Caricature de 1904 montrant Roosevelt armé de son « gros bâton » (big stick) en train de patrouiller dans la mer des Caraïbes.
La doctrine Monroe se résume dans la formule America for Americans (L’Amérique aux Américains). Les Européens n’ont pas (plus) à intervenir dans les affaires américaines. Mais l’ambiguïté du mot «Américain » qui désigne bien sûr tous les habitants du continent, mais que ce sont auto-attribués les étatsuniens, fera que cette doctrine sera utilisée non seulement pour donner du fil à retordre au Royaume-Uni en Amérique centrale, mais aussi pour soutenir le Texas, pour conserver Porto Rico et, à la manière du Panama, Cuba. Politique du big stick, du gros bâton, préconisé par Théodore Roosevelt qui servit à intervenir en tout point du continent chaque fois que les intérêts publics ou privés nord-américains étaient en jeu. Pendant la guerre froide elle aboutira à planifier des coups d’état en Amérique centrale et du Sud.
La doctrine Monroe concerne, bien sûr, le Groenland puisqu’il est inclus dans la plaque tectonique américaine.
Cette œuvre, intitulée American Progress et peinte vers 1872 par John Gast, est une représentation allégorique de la « Destinée manifeste ». Dans cette scène, une femme angélique (parfois identifiée comme Columbia, la personnification du Progrès aux États-Unis du XIXe siècle), porte la lumière de la « civilisation » à l'ouest avec les colons américains, câblant le télégraphe dans son sillon. Les Amérindiens et les animaux sauvages fuient vers les ténèbres de l'ouest sauvage. (wikipedia)
Manifest Destiny, Destinée Manifeste, part de l’idée calviniste de la prédestination. Elle conçoit les États-Unis, cette bande colossale entre un grand Nord semi-habitable et un grand Sud catholique et papiste, comme une nation choisie pour entreprendre une destinée grande et incontestable – civilisationnelle, religieuse – par les autorités célestes. Un deuxième peuple élu, en quelque sorte.
L’expansion vers l’ouest, avec le massacre des indigènes, repose sur cette doctrine messianique. Elle justifie aussi la guerre de 1846 au Texas qui aboutira à l’annexion de plus de la moitié du Mexique, un état à la destinée évidemment médiocre ! A partir de la fin du XIXe siècle, la doctrine a été invoquée pour un interventionnisme en dehors du continent : Cuba, Porto-Rico, les Philippines, Samoa (ancienne colonie allemande). Avec Wilson, la Destinée Manifeste assume la mission de la démocratie mondiale, ce qui conduit à des interventions en Amérique latine puis pour conclure la 1ère guerre mondiale.
Et maintenant avec Monroe et cette Destinée Manifeste dans nos bagages, allons voit le Groenland
Il y a longtemps que les E-U s’intéressent au Groenland. Dès 1867, sous la présidence du républicain Andrew Johson, une offre d’achat fut faite au Danemark pour le pack Islande+Groenland (la plaque tectonique américaine !). Pendant la seconde guerre mondiale, les États-Unis occupent le Groenland – et l’Islande – pour éviter que l’Allemagne s’en empare. En cette période, le Groenland coupé du Danemark occupé, bascule économiquement vers les E-U achetant leurs produits et leur vendant de la cryolithe, matière première pour la fabrication de l’aluminium dont le Groenland est le seul producteur. Les E-U construisent les aéroports actels et y implantent une base militaire, base réoccupée dans les années 50 – guerre froide –et dans laquelle s’est produit un « palomares », une bombe nucléaire perdue sous quelques tonnes de glace. Dès 1946, une offre d’achat est (re)faite au Danemark, puis en 1955, avant d’être reprise de façon tonitruante dans le 1er mandat de Trump en 2019. Le Premier ministre danois Kim Kielsen avait alors répondu par un refus expliquant à l’époque : « Le Groenland n’est pas à vendre (…) mais il est ouvert au commerce et à la coopération avec d’autres pays, y compris les États-Unis ».
Les États-Unis ne croient plus au libre-échange
Les États-Unis ne croient plus à l’ordre international, ne croient plus au libre-échange, ce fondement du néolibéralisme et de la mondialisation. Ce qui veut dire que nous ne sommes plus dans le néolibéralisme et la mondialisation, mais dans un retour farouche à l’État. Un État qui a besoin de tout dans ses frontières, et non dans ses échanges commerciaux. Tout. Même les routes commerciales internationales. Il lui faudra donc étendre ses frontières, d’une manière ou d’une autre.
Trump utilisera-t-il la force militaire au Groenland ? Nous ne connaissons toujours pas sa grammaire. Il suffirait en tout cas à Trump de promouvoir un mouvement nationaliste local – il existe déjà. Et soulever les griefs historiques et économiques et, par la suite, proposer un référendum pour l'indépendance (et on peut compter sur les cow-boys des gafa pour créer, aussi bien que les trolls poutiniens, une cyber-manipulation de l’opinion). Les Groenlandais gagneraient un État et, très probablement, perdraient un pays à cause du pillage des ressources. Mais dans la vie, on ne peut pas tout avoir.
Est-il possible que cette nouvelle droite, contrairement au nazisme, veuille nous bombarder uniquement dans une région de notre cerveau ? Aucune idée. En tout cas, il s’agit d’une nouvelle façon de faire de la politique, basée non seulement sur la confusion et le mensonge, en mode Wauquiez, mais sur la peur.