Il ne vous a peut-être pas échappé que, cette semaine, le sortant-candidat est devenu candidat-sortant. Suspense insoutenable ?
Si Chirac a regardé TF1, il a dû reprendre sa formule « ça m’en a touché une sans faire bouger l’autre ». Et pour orchestrer sournoisement le non-événement TV Magazine, photo à la une, nous a
sorti, en "exclu" comme ils disent, quelques pages sur Carlita.
Pour ceux qui l’ignoreraient, TV Magazine est un supplément inséré gratuitement dans plus de 40 quotidiens régionaux, sans compter Le
Figaro. Ainsi Ouest-France, le plus gros journal français, l’offre à ses lecteurs toutes les semaines ; mais aussi Le Midi Libre, Nice Matin, Nord Eclair, etc. 4 600 000 exemplaires distribuées
en 2006. Comme son nom l’indique, son contenu porte essentiellement sur le programme de la semaine des étranges lucarnes, plus quelques articles sur les pipeuls télés ou ciné.
Comme par hasard, cette semaine, la une nous offre une photo tout sourire de la 1ère dame de France – dénomination
états-unienne qui n’a d’ailleurs aucun sens – bras croisés sur un poste télé fin des années 70. Et pas moins de cinq pages à l’intérieur.
Des révélations à faire frétiller la ménagère de moins de cinquante ans : « j'ai souvent regardé Plus belle la vie avec ma
fille dans les bras ces derniers temps. Je trouve cette série charmante, bien faite et très sympa à suivre. » « L'amour est dans le pré, sur M6. Je trouve cette émission absolument
fabuleuse ! » « Je crois bien n'avoir jamais réussi à la [l’émission Koh Lanta] regarder en entier. Je préfère regarder Fort Boyard avec les enfants. »
Dans les séries, elle énumère Six feet Under, Friends (« que j'ai vue en intégralité »), Desperate
Housewives et 24. Comme elle est cultivée elle « adore aussi Arte... Quelle belle chaîne intéressante ! »
Et si l’on quitte le divertissement pour l’information elle « adore C dans l'air. J'ai eu la chance de faire une
émission sur RTL avec Yves Calvi et
je trouve que c'est un excellent journaliste. » Mais aime bien aussi Christophe Barbier et Anne-Sophie Lapix. « À l'inverse, je n'aime pas du tout les journalistes ou les animateurs qui ne vous
laissent jamais répondre aux questions et passent leur temps à vous interrompre. » Ce n’est pourtant pas Chouchou qui subit cela de la part de Pujadas, Ferrarri, Chazal et les autres. « Pour moi,
l'information doit être objective et neutre, et je regrette que le journalisme d'opinion prenne de plus en plus de place, au détriment du journalisme d'information ». Il est peu probable que par
journalisme d’information elle entende d’investigations.
Elle ne parle de « mon mari » que pour nous révéler qu’il lui a « fait découvrir le Tour de France. Je trouve ce spectacle
sublime, et les paysages traversés par les coureurs sont magnifiques. J'avoue y avoir vraiment pris goût... ».
Dans cet entretien rare (dixit le magazine), la prétendue 1ère dame fait preuve d’un éclectisme de goûts, de l’amour dans le
pré à Arte, avec des appréciations très Marie-Chantalesques, qui ne devrait qu’attirer la sympathie du lecteur provincial, être rustique et sain, contrairement au bobo parisien. Les vagues
considérations sur l’information semblent frappées du fameux bon sens, cher à son mari quand il défend Guéant. Si l’on ajoute à cet entretien avec la « téléspectatrice attentive », une page
consacrée à sa fondation qui « s’attaque au problème de l’illettrisme en France », combat ô combien nécessaire, le message subliminable est clair. La femme de celui qui fait
président, elle est pas si bêcheuse qu’elle en a l’air et elle est dévouée à une noble cause comme à son mari qui le vaut bien.
Ce n’est pas la première fois que ce supplément TV intervient dans une campagne électorale : au moment des régionales,
un reportage avait été consacré à une ex-Miss France candidate sur une liste UMP, en Picardie si mes souvenirs sont bons.
Que Paris-Match consacre trois ou quatre pages à l’ex-mannequin au moment où son époux joue au candidat anti-système, pourquoi pas ? Sauf dans des avions, l’hebdo de Lagardère (plus qu’un ami, un frère) est payant. L’achète qui veut. Mais là, l’abonné par portage du quotidien régional n’a pas choisi de se voir infliger un publi-reportage sur la maman de Giulia, au moment même où le papa se déclare candidat à sa propre succession.
Il y a en quelque sorte abus de position dominante.