La campagne des présidentielles est inintéressante, mais elle intéresse les Français. Bipolarisation ? comme en 2007. Le croisement des courbes entre Bayrou et Sarko ou entre Mélenchon et Hollande : du pipeau ! Et l'égalité du temps de parole ne changera pas grand chose.
Un clou chasse l’autre, un CSA chasse un Harris, qui chassait un IPSOS qui chassait… jusqu’au prochain. Crédité de 9 ou 9,5 par les 2 précédents, Mélenchon serait passé à un score à deux chiffres. Alleluia ! Les deux autres notaient sa progression, mais plus modestement que CSA. Et, comme CSA donne les deux de tête en progression ainsi que Bayrou, ce ne peut-être que sur Le Pen (-2) ou sur Joly et Villepin qu’il prendrait des voix !
En fait, les sondages, malgré des divergences apparentes sont en accord pour noter la progression régulière de Mélenchon, la reprise de Bayrou, mais sans effet tsunami. Pour Le Pen ça diverge nettement surtout avec Harris, très optimiste pour Joly (et très pessimiste pour les deux de tête). Rien cependant qui puisse faire douter de la prédiction : pour Le Pen, Mélenchon et Bayrou les carottes sont cuites. Ils ne seront pas en finale.
Le seul exemple de « croisement des courbes » que l’on peut invoquer est celui de 1995 entre Chirac et Balladur. Le 1er tour avait lieu le 23 avril 1995. Le 9 février, selon la SOFRES, Chirac était encore à 10,5 points de Balladur, mais avec une base de 17,5% ; le 23 février l’écart se resserrait à 4 points (19/23) et le 9 mars, Balladur s’écroulait à 20% quand Chirac atteignait 24%. Aucun des poursuivants, à la même date, aujourd’hui n’est dans la perspective d’inverser les courbes.
Un leitmotiv : la campagne n’intéresse pas les Français. Les chroniqueurs nous le serinent à la radio, à la télé, dans la presse, les sites d’information. Sauf que tout dépend de la question. Trouvez-vous la campagne électorale intéressante ? NON quasi aux ¾ (71% pour CSA publié hier)*. Vous intéressez-vous à la campagne électorale ? OUI aux ¾ (72%, CSA). Donc, elle n’est pas intéressante, mais elle nous intéresse !
Autre lieu commun, répété à l’envie. Les deux de tête ne réunissent que 60% des intentions de vote recueillis dans les sondages (58% pour CSA). Donc, les Français (dont certains candidats s’auto-désignent porte-parole) rejettent la bipolarisation. Sauf que, au premier tour de 2007, Sarkozy et Royal avaient totalisé 57% des suffrages exprimés. En déduire autre chose que le traditionnel au 1er tour on choisit, au 2e on élimine, serait peut-être un peu hardi.
Faux truisme encore : avec la campagne officielle l’égalité du temps de parole va permettre à tous les candidats de se faire entendre – ce qui est vrai – et les lignes vont bouger – ce qui est loin d’être démontré.
Certes, le régime dit d’équité du CSA est loin, très loin, d’être avéré. Dans le dernier relevé (1er janvier-24 février), Sarkozy tient la tête avec 34% du temps de parole, suivi de François Hollande à 29%. Derrière Le Pen (10%) , Bayrou (9%) et Mélenchon (6%) peuvent estimer ne pas avoir été traités avec une équité parfaite. D’autant que, ce n’est pas la même chose d’être l’invité vedette avec journalistes servant la soupe et être la vedette américaine d’une émission politique. Notons, cependant, que cette règle d’équité, aussi boîteuse soit-elle, évite pire encore. Dans la presse écrite, en gros, Sarko fait la moitié de la surface, Hollande un quart et les autres le reste**. Ce qui démontre que les grandes protestations des grandes gueules de la chronique radiophonique sur les règles contraignantes du CSA qui entravent le journaliste (?) dans ces choix, sont infondées. Elles limitent les déséquilibres.
Mais l’égalité arithmétique de la présence dans les radios et télés n’a jamais changé grand-chose. Le 6 mars 2007, Bayrou était crédité de 21 % par Harris, il aura 19% au 1er tour le 22 avril ; Le Pen sera estimé lui entre 14 et 16,5% dans la campagne officielle, il finira à 10,5% ! (autre légende : la sous-estimation du vote F-Haine).
A suivre chaque sondage, sans recul, on peut aboutir dans la même journée à des titres contradictoires : « SONDAGE. Hollande distance toujours Sarkozy » et « Sondage. L'écart entre Hollande et Sarkozy se resserre ». Que chacun, qui les méprise, se jette quand même sur le dernier d’entre eux soit pour le décrier, soit pour crier à la victoire –voyez les partisans de Mélenchon aujourd’hui avec le « score à deux chiffres » – est plaisant. Mais on s’aperçoit que les médias bouzent aussi sur de fausses évidences (désintérêt, bipolarisation, par exemple). Et là, ce ne sont pas les sondages qui sont fautifs, mais les prétendus analystes qui les commentent.
* La question posée par CSA portait sur la"qualité" de la campagne, mais elle a été "lue" comme "intéressante" ... ou pas. Selon Ipsos, "la campagne n’est jugée intéressante que par 34% des Français, contre 65% qui ne la trouvent pas intéressante".
** Des chiffres précis ont été donnés dans le Grand Journal (Canal +) à l'occasion de la venue de Poutou : je n'ai retenu que les ordres de grandeur.
Ayant essayé de faire paraître cet article sur le + du Nel Obs, j'ai eu droit à un échange croquignolet avec un membre de ce +
P.S. Le clou du jour - Opinion Way - remet méchamment Mélenchon à 8%, fait stagner Bayrou et légèrement progresser Le Pen et Joly. Pas tout-à-fait au diapason de CSA donc.
Sur "l'intérêt" cet institut pose un autre type de question sur l'intérêt de la campagne de chaque candidat :