Des moyens de transports extravagants, des cités en état de siège avec une mobilisation policière démesurée, des visites-Potemkine en coup de vent, des meetings UMP déguisés en réunions thématiques, c’est la pré-campagne à la charge du cochon de payant.
Sous le titre « Chaumont et merveilles », Le Canard enchaîné (26/X/11) nous conte un de ces innombrables déplacements provinciaux de celui dont on se demande quand il a le temps de faire président. Il s’agissait d’inaugurer la « pompimobile* » chez le courtisan Chatel, maire de la cité.
Comment faire compliqué ?
« Comment faire compliqué et très cher pour parcourir les 262 km séparant Paris de Chaumont ( Haute-Marne) ? Sarkozy aurait pu prendre un Falcon et atterrir directement sur l’aérodrome de Chaumont-Semoutiers. Mais il a préféré emprunter son Air Sarko One pour atterrir sur la base militaire de Saint-Dizier, à 75 km de là, puis monter à bord d’un des 2 hélicos spécialement acheminés de Paris pour se rendre à Chaumont, où l’attendait une voiture blindée.
Or, comme la météo était incertaine, une autre voiture blindée l’attendait aussi sur la base de Saint-Dizier, au cas où Sarkozy aurait dû faire le tronçon Saint-Dizier-Chaumont par la route ! Et un gendarme avait été posé à chaque carrefour, sur les 75 km séparant les 2 villes… Pour rien, au bout du compte. »
Dans le genre, l’ado capricieux avait fait plus cocasse encore. Le Canard toujours avait repris le témoignage d’un commandant de gendarmerie, dans la revue des retraités de ce noble corps, L’essor, sur le déplacement du personnage dans la Drôme, le 3 mars 2009. « Nous montons la garde 24h/24 à l'aérodrome de Chabeuil et à la gare TGV. Son altesse ne voulant pas venir en Falcon , il vient en Airbus (plus spacieux et nettement plus "digne" de son rang, du moins le pense-t-il). Seulement, il n'y a pas de rampe pour le faire descendre de l'avion ; ce n'est pas grave, on en fait venir une, vite fait, par convoi exceptionnel depuis Lyon », écrira le gradé qui, dit-il, n’avait jamais vu cela du temps de Mitterrand et Chirac. « Pour ne pas être gêné , l'Empereur aura la voie rapide Valence/ Romans coupée dans les deux sens pendant 30 mn […] Et si jamais il y avait un contretemps, ce ne serait pas grave : un hélico Puma est tenu à sa disposition avec son hélico Gazelle en appui.... »
Tout cela pour trois heures de visite.
Visite à très grande vitesse
Car, l’agité passe en coup de vent. Ainsi en 2010 décide-t-il de célébrer le 8 mai à Colmar, accompagné de Fillon. 11 h 40 : atterrissage à l’aéroport de Colmar-Houssen des avions respectifs du président de la République et du Premier ministre ; 12 h 30 : départ du président ; affaire bâclée en moins d’une heure. Pour une visite dans l’Aube, il traînera un peu : 9h50 Pose de l’hélicoptère à Nogent-sur-Seine ; 12h40 Décollage en hélicoptère depuis Barberey ; il est vrai qu’entre temps, il aura visité une usine, un port fluvial et fait un monologue – pardon une table-ronde – à Troyes.
Etat de siège
« Comme à chaque déplacement de Sarkozy en province ( 2 par semaines, bientôt 3), la ville avait été transformée en forteresse : rues barrées, flics à chaque carrefour, badauds tenus à distance… » L’état de siège décrit à Chaumont est constant. Le déploiement démesuré de forces de l’ordre aussi.
A Colmar, le 8 mai 2010, les voies concernées par la visite sont bloquées dès 6 h du matin. Le 25 mars 2009, à Saint-Quentin dans l’Aisne, huit compagnies de CRS, deux escadrons de gendarmes mobiles, des démineurs, des membres du GIPN, plus 400 policiers locaux avaient été mobilisés ; le centre-ville paralysé dès 13 h 30 (L’Union).
S’il le faut, on procède en toute illégalité, à des arrestations préventives. Dans l’Allier, Frédéric Le Marrec, un militant du syndicat SUD, sera « invité » à suivre les gendarmes à 9 h 30 et ne repartira de la gendarmerie que quand l’hélico présidentiel sera reparti, à 14 h. Depuis, qu’un préfet de la Manche s’est fait virer après que les échos d’une manifestation avaient troublé un métinge UMP du président (cf Sarko m’a tuer), toute manifestation est illégalement interdite.
Visite-Potemkine
« La visite de Sarkozy au pied de la montagne de Lure, c’était un peu Disneyland. On a fait redescendre les brebis des cimes où elles sont à l’estive, pour qu’il ait quelque chose à tripoter dans l’exploitation bio d’Arlette Martin, à Noyers-sur-Jabron. D’autres moutons, journalistes équipés de caméras, filmaient, et ça promettait un joli clip promotionnel. Mais à son approche, les biquettes se sont esquivées. » persiffle LibéMarseille du 28/08/10.
Eh oui ! une visite d’élevage ovin sans brebis, ça ferait pas de belles images dans le 13 h de Pernaut.
Mais les visites d’usine – 2e lieu de prédilection du sortant – sont toujours un sujet d’étonnement. Ces beaux ouvriers aux tenues de travail juste sorties du pressing, aux casques immaculés, qui écoutent sagement le soliloque du personnage et que l’on devine prêts à chanter « Merci Sarko », sur l’air de « Merci patron » des Charlots, laissent un peu dubitatifs.
Le déplacement dans l’Aube, commençait par une visite à une malterie. Visite qui perturbait deux journées de travail. « Pourquoi deux jours me direz vous ? Et bien, figurez vous que les "volontaires désignés" pour assister à la course élyséenne (on sélectionne les figurants ! ) doivent "répéter" mercredi la visite. J’aimerais bien être là pour voir les gens repérer leur place et s’entrainer aux applaudissements... (J’espère qu’ils ont prévus un bon chauffeur de salle.) » explique un autre persiffleur.
Les grands métinges… du pas encore candidat
Revenons à Chaumont, « Sarkozys’est ensuite rendu dans le gymnase du lycée Charles-de-Gaulle pour présider une table ronde sur la culture. En présence de 1000 invités, dont nombre de militants UMP, Sarkozy a en fait tenu un long monologue. […] Mais Sarkozy s’est dit heureux, à la fin, d’avoir « partagé ».
Or, pour éviter que Sarkozy ne fasse un petit détour en passant par l’entrée principale afin d’arriver dans ce gymnase, un escalier spécial de ciment, avec rampe, et un chemin goudronné avaient été spécialement construits à son usage exclusif. Sarkozy a ainsi pu rejoindre directement les vestiaires des filles, transformés en loge présidentielle, où il a été coiffé et maquillé ! »
La cour des comptes avait déjà relevé, lors d’un voyage en Haute-Marne, l’aménagement d’une voie d’accès et la location d’un chapiteau !
Le tri sélectif des « invités » aux tables rondes et autres manifestations est partout de mise. Ainsi à Alès « Devant le Cratère, le théâtre national où Nicolas Sarkozy devait s'exprimer, […] seule une foule d'invités se pressait aux entrées du bâtiment. Principalement des sympathisants UMP, en témoignent les applaudissements sans équivoque à son arrivée et les difficultés évoquées par les habitants pour obtenir une invitation. Il faut dire que les deux principaux parkings de la ville, les parkings Gabriel Péri et Gardons, leur étaient réservés, et interdits aux Alésiens et aux journalistes. » (Le Midi Libre)
A Carcassonne : « Certains étaient arrivés dès 9 h 30 du matin, serrant dans leur main leur carton estampillé "Elysée" {…] Et puis, tout au long de la matinée, sans rien savoir du déroulement de la visite présidentielle (à l'hôpital, puis à Montredon), en ignorant tout des retards, ils ont attendu sagement. Il n'était pas loin de 13 h quand, finalement, les 1 200 invités de la "table ronde" se sont levés pour accueillir le président de la République. Une véritable entrée de meeting, musique en moins, la salle debout (certains hissés sur les chaises, appareil photo ou portable à bout de bras) scandant "Nicolas, Nicolas, Nicolas"… » (L’Indépendant 26/10/11)
Lors d’un déplacement en Franche-Comté, électoral lui-aussi, mais en faveur de Joyandet (un autre adepte des voyages aériens dispendieux) candidat aux régionales, la Présidente de Région, qu’il avait bien fallu inviter à la pseudo table-ronde, avait été huée quand elle avait tenté de prendre la parole, par une « salle apprêtée comme un meeting ».
Le témoignage de l’horrible agresseur de Brax (Lot-et-Garonne) est révélateur : « J'ai essayé de passer une première fois par une entrée du village gardée par des gendarmes, qui m'ont refoulé. J'ai trouvé une autre entrée plus loin et, cette fois, c'est le service de sécurité de l'Elysée qui m'a repéré. Ils m'ont dit : « T'as pas de carte UMP, tu rentres pas. » Je m'apprêtais à retourner chez moi quand j'ai aperçu un chemin de terre… » (Le Parisien 11/07/11). Ça se passe comme cela au Sarkozistan.
« C’est ma tournée »… électorale
Entrant dans un café creusois, le 12 octobre, Sarkozy clame « C’est ma tournée », mais s’il repart en oubliant de payer, il n’oubliera pas, en revanche, de rappeler la baisse de la TVA à 5,5 % dans la restauration, dont il est l’artisan. Il en a profité pour tacler le PS, qui veut annuler la mesure : « Ne vous souvenez pas de ceux qui vous l’ont obtenue, mais de ceux qui veulent vous la retirer ! ». (Sud-ouest)
C’est une constante de ses voyages provinciaux : attaquer le PS. Ainsi en avril à Issoire Il a défendu son dispositif de suppression des charges sur les heures supplémentaires et reproché au PS de vouloir le supprimer dans son programme. La gauche s'expliquera avec les 5 300 000 salariés qui en ont bénéficié. (Radio-totem).
A Chaumont, il attaque bille en tête : "J'ai vu qu'on demandait une augmentation de 50% du budget de la Culture. Pourquoi pas 100%, 150%? Ca n'a pas de sens. Ce qui a du sens, ce sont les projets, les initiatives", a-t-il affirmé. Autre pique: "l'avenir des jeunes, ce n'est pas des faux emplois mais de nouvelles activités". (L’Express)
Et avant de le ressortir devant le duo Calvi-Pernaut, il s’était déjà exclamé, à propos du projet de F. Hollande de (re)créer 60 000 emplois dans l’Education Nationale : « Mais où va-t-on trouver l’argent ? C’est l’argent des Français. »
L’argent des Français
En attendant, l’argent des Français finance sa campagne électorale.
La cour des comptes notait dans son rapport, « à titre d’exemple, un voyage en Haute-Marne qui [a duré] du début de la matinée au début de l’après-midi, [qui] aura, en coût complet, représenté une dépense de 284 614,65 €, dont 121 289,60 € pour l’aménagement d’une voie d’accès et la location d’un chapiteau ; [un] déplacement en Dordogne a représenté une charge de 129 544,29 €. » Et le ministère de l’intérieur refuse de communiquer le coût du déplacement des CRS et/ou des gendarmes mobiles mobilisés à chaque occasion. René Dosière, député, tente en vain d’avoir un chiffrage. Et ce coût n’est pas seulement financier, mais il se paye aussi en récupérations diverses, donc en missions supplémentaires non effectuées.
Comme le souligne à nouveau, Le Canard, pourquoi se gêner. Crise ou pas, il maintient un rythme de 2 voyages hebdomadaires. Si l’écho dans les médias nationaux est réduit, FR3 et la presse régionale sont aux rendez-vous. Les comptes de campagne sont ouverts depuis le 1er Juillet, et le candidat du PS a déjà son compteur qui tourne.
Mais le sortant, lui, n’est pas pressé de se déclarer, puisque pour le moment il bat la campagne aux frais de la République, en attendant que ses amis du 1er cercle crachent au bassinet.
* La « pompimobile » est un micro-musée à roulettes, blindé comme une papamobile qui apporte la culture – des œuvres du centre Pompidou – aux populations incultes de nos provinces.
Pour compléter
En complément, un témoignage sur une visite de Sarko à Pamiers en Ariège : "Quand sarko se balade en France..."
Attention, il faut descendre dans la note, c'est après la blague, un problème dentaire et une recette
de curry au porc