Jacques Attali avait lancé l’idée, d’interdire le tabac, sans grand succès. Reprise au bond par Martine Perez, médecin mais surtout rédactrice en chef des pages santé du Figaro, sans encore « bouzzer », elle a un peu plus d’écho. Au prix de quelques impasses et amalgames.
Partant du scandale du Mediator qui a finalement abouti à son interdiction, Attali trouve ahurissant « que personne, absolument personne, ne se demande pourquoi on ne traite pas avec la même sévérité un produit totalement inutile, à la nocivité aujourd'hui avérée, consommé chaque jour par 1,3 milliard de personnes dans le monde et qui fait chaque année 5 millions de morts, soit plus que le sida et le paludisme réunis. (…) Ce produit, c'est le tabac. (…) 1 personne en meurt toutes les six secondes. Il a tué 100 millions d'êtres humains au xxe siècle, soit deux fois plus que la Seconde Guerre mondiale. A ce rythme, selon l'OMS, il en tuera 1 milliard au XXIe siècle. »
Martine Perez pose la même question : « Alors qu’il tue chaque année 60 000 personnes en France et 5 millions dans le monde, pourquoi le risque sanitaire « tabac » est-il laissé de côté ? »
Elle rappelle aussi le scandale du Mediator, responsable de 2000 décès en 30 ans, alors que le tabac en a fait 1,8 millions dans le même temps. Les catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima qui ont fait 4000 victimes pour la première. Le débat est cependant engagé sur la sortie du nucléaire, avec des actions spectaculaires, tandis que personne ne se mobilise pour la sortie du tabac ! « En raison de risques démontrés uniquement expérimentalement et d’ailleurs difficilement, il a été décidé de proscrire le bisphénol A dans les biberons ».
Elle ironise aussi sur les dangers supposés des ondes maléfiques des antennes—relais : « si le risque du téléphone portable était autre que négligeable, une explosion des cancers du cerveau aurait dû être observée ». Et pour elle, « Le gouvernement, sous la pression de lobbies écologistes, a cédé à une peur fantasmatique et interdit la culture des OGM ». De fait, les risques sanitaires des aliments OGM, aussi bien chez les humains que chez les animaux, ne sont pas avérés.
Comparaison n’est pas raison et aussi bien Attali que Perez pratiquent un amalgame hardi.
Sauf erreur, on n’a pas vu de bébés accros au bisphénol A, pas plus que de malades au Mediator. Que des biberons diffusant un produit potentiellement toxique soient retirés de la vente n’est pas surprenant. Qu’un médicament qui, au mieux n’a pratiquement aucun effet et au pire tue, soit interdit, le contraire serait scandaleux.
Si les agriculteurs, avec les OGM, risquent d’être sous dépendance, ce sera une dépendance économique envers les « dealers » (entendez fournisseurs style Monsanto) de semences ; on a même vu les semenciers obtenir la taxation des semences dites de fermes, c’est-à-dire les semences faites à partir de la récolte précédente. Quant aux antennes-relais, il n’est pas impossible qu’il y ait des accros des SMS et des twits parmi les « robins des toits » qui veulent les éradiquer ; comme d’ailleurs, des antinucléaires affirmés protestent contre l’édification d’éoliennes qui polluent leur champ visuel. Mais tout ça n’a rien à voir avec le tabac. Les pro-nucléaires ne se shootent pas à la radio-activité. Dans la balance risques/bénéfice, ils prétendent qu’elle penche nettement du côté bénéfices. A tort ? c’est là le débat !
Le bébé ne choisit pas son biberon, le patient n’écrit pas l’ordonnance, en revanche le fumeur décide de s’adonner aux joies du pétunage. Que le pétuneur tombe souvent dans l’addiction, donc dans une dépendance coûteuse pour ses finances et sa santé, n’empêche pas qu’il agit de son plein gré. La comparaison avec l’automobile – elle aussi mortifère – qu’emploient les pro-tabac – style « interdisez alors la voiture ! » - est peu pertinente, car beaucoup n’ont que ce moyen pour se déplacer. Alors que le tabac ne répond à aucune nécessité pratique. La seule comparaison avec un produit en vente légale ne peut être que l’alcool. Alcool qui lui joue en plus un rôle important dans les accidents de la route, mais aussi du travail ou domestiques.
Mais justement la prohibition de l’alcool instaurée aux Etats-Unis de 1920 à 1933 a été un échec complet. Outre la contrebande, elle a encouragé la fabrication clandestine d’alcools frelatés qui n’a fait qu’accroître la mortalité. Surtout, elle a fait prospérer des gangs qui organisèrent des filières d'importations et de fabrication avec un réseau de distribution clandestin. Al Capone en fut le symbole. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur cette expérience que certains préconisent la levée de la prohibition du canabis.
Le « interdire le tabac » d’Attali et Perez a d’abord (et avant tout) pour but de se faire bouzzer, plutôt que de lutter vraiment contre le tabac. Attali écrirait-il : il faut interdire la production, la distribution et la consommation de … vin ? (citation exacte au dernier mot près). Ce n’est pas avec cette injonction qu’on luttera contre le tabagisme.