Cela pourrait aussi s’intituler, chroniques d’un état-voyou avec ses oligarques et sa nomenklatura. Une sorte de Biélorussie plus occidentale.
Un anonyme correspondant étranger (ouzbeck au départ) s’immerge en Sarkozistan. Comment peut-on être Ouzbeck ? Une telle naïveté devant des mœurs auxquels les sarkozis, habitants de cette république bananière, se sont résignés, étonne. « Depuis trop longtemps, citoyens blasés du Sarkozistan, sans le savoir, nous avons perdu l’habitude d’appeler les choses par leur nom. » Ainsi quand le Numéro 1 bafouille, « de nombreux observateurs le jugent « hésitant ». L’impitoyable envoyé spécial va donc appeler un chat, un chat et le Sarkozistan « un petit état voyou aux confins de l’Europe occidentale ».
Ce petit livre de 93 pages, véritable livre de poche, est issu des chroniques des matinautes. Le point de départ : la réaction indignée de la commissaire européenne Viviane Reding - "c'est une honte, trop c'est trop!" -après une circulaire du ministère de l’intérieur lançant la chasse aux Roms (circulaire qui ne faisait d’ailleurs que mettre en musique les déclarations de l’Homme fort à Grenoble). « Si elle s'était déroulée en Ouzbekistan, comment un Pujadas moyen, correspondant étranger en poste dans le pays, en aurait-il rendu compte ? » Le correspondant spécial de l'agence ouzbek à Paris envoyait son premier papier le 15 septembre.
Au fil de ses chroniques, il décrit la camarilla au pouvoir, avec sa nomenklatura, ses prétoriens, ses oligarques, ses inamovibles, ses radios et TV d’oligarques, sa télévision et son agence officielles, l’Homme fort (dit aussi le Numéro 1) et sa première dame, les luttes souterraines entre faucons et présentables, ces derniers étant représentés par le Numéro 2…
C’est cette quinzaine de chroniques qui ont nourri la quinzaine de chapitres du livre, chroniques enrichies, et sans toujours les recouper.
Commençons par l’épilogue : le correspondant spécial qui a perdu en étant imprimé sa nationalité « ouzbeck », semble partager avec son préfacier, Daniel Schneidermann, une animosité particulière à l’encontre du « Grand Journal » de Michel Denisot, faisant du « Petit journal » qu’il héberge une « soupape de sécurité ». Cette émission, la seule sur les « étranges lucarnes » comme disait autrefois un autre chroniqueur, élimine les tabous, aborde les sujets les plus délicats : mais elle ne fait que les effleurer. Certes les réflexes corporatistes des journalistes inféodés, après le crime lèse-Chabot-la-bise-à-Copé, l’insulte faite à Pujadas par un folklorique opposant, orchestrés par « l’imprécateur officiel Aphatie » méritaient d’être épinglés. Le « Petit journal », à maintes reprises, a pointé non seulement les discours répétés ici puis là par le Numéro 1 mais le rappel des promesses trahies. Par sa facture même, il devrait bénéficier de l’indulgence plénière d’Arrêt sur images.
Notre (O)Uzbeck, sans Rica, va donc nous conter non l’esprit des lois, mais l’art de les contourner, avec d’abord le scandale Woerth-Bettencourt.
Derrière un morceau d’anthologie sur l’organisation des déplacements dans des villages, écoles ou fermes isolés par la police et où ne sont autorisées que les brigades d’acclamation composées de militants dévoués, l’étrange étranger démonte le système des médias pour masquer la paupérisation et le délabrement des services publics. « Non pas que la misère ne soit pas montrée [mais elle] est essentiellement représentée dans ses images extrêmes » (clochards dits SDF, jeunes à capuches). Mais rien sur les personnes correctement habillées qui fouillent les poubelles des supermarchés.
« Vivant en paix […] depuis plus d’un demi-siècle, le Sarkokistan a néanmoins besoin d’ennemis. La désignation d’un épouvantail permet au peuple d’oublier ses soucis ». Les cibles sont les fonctionnaires, les conducteurs de train grévistes, les jeunes, les juges laxistes, les sociologues, mais la cible préférée de ces campagnes de haine reste les étrangers. Corollaire de cet usage de la haine est celui de la peur. Ainsi, avec la foireuse affaire des autonomes d’ultra-gauche de Tarnac. « Mais la source de peur la plus productive reste le terrorisme d’origine étrangère. » Haine et peur se rejoignent et se nourrissent l’une l’autre.
Autres morceaux de bravoures ces chapitres consacrés aux inamovibles El Kabbach, omniprésent speaker officieux, Mougeotte, directeur du premier quotidien officiel du Sarkokistan ou encore Ockrent, épouse de l’ex-ministre renégat… Le népotisme du Numéro 1 est aussi croqué d’une plume acerbe. Et le dernier chapitre, avant l’épilogue sur Denisot, est titré : Karachi et du bon usage du secret !
Les illustrations de Mor ponctuent chaque chapitre. Pour le port du Turban, Balladur est le meilleur (n’était-il pas surnommé le Mamamouchi du temps où il était grand vizir ?). Mais l’homme fort dans les bras de la première dame serait presque attendrissant. Kouchner, le renégat, coiffé d’une chapka très brejnévienne, semble échappé d’une BD de Bilal.
Et comme tout ce jeu de corruption, concussion, népotisme, trafic d’influence, conflit d’intérêt, blocage d’enquêtes, espionnage de journalistes, intimidation de leurs sources, atteinte à la présomption d’innocence, etc. se poursuit sans vergogne, notre Uzbeck pourrait poursuivre son immersion au cœur de l’Etat Voyou du Sarkokistan.
Cette « Crise au sarkokistan » atteint déjà les 15 000 exemplaires vendus. Il a déjà des produits dérivés avec ses cartes de vœux. A part, Assouline du Monde sur son blog, il n’a bénéficié d’aucune critique. Le Publieur, éditeur en ligne, en assure l’impression et la diffusion. « Certains de vos proches refusent encore sûrement de croire que nous sommes désormais au Sarkozistan. Plutôt que de vous épuiser à les convaincre dans les repas de fin d'année, offrez-leur Crise au Sarkozistan. Vous les verrez partagés entre le rire et l'effarement. » dit la présentation de l’ouvrage : à 30 € les 3 exemplaires, avec 4 cartes de vœux en prime, c’est une excellente idée d’étrennes. L’ouvrage est à 10 €. Et on peut le feuilleter !