Longtemps, très longtemps, Ceuta-Sebta ne fut pour nous qu’un point de passage vers le Maroc et, au retour, vers l’Espagne. Un point de passage souvent très désagréable : jusqu’à cinq heures d’attente bloqués au milieu de files de voitures alors que les formalités, à l’exception du coup de craie final sur le pare-brise, étaient faites. Ou valises entièrement vidées – et pas remises en ordre – à la chasse de francs clandestins (à l’époque le change était contingenté).
Une seule fois, arrivé dans la soirée, complètement ensuqués – avec en prime une crevaison en plein cagnard – après avoir erré à la recherche d’un hôtel recommandé par Michelin ou je ne sais quel guide, nous avions échoué dans un hôtel flambant neuf, La Muralla, où un bagagiste vidait la R8 et un voiturier me demandait la clé pour aller la garer au parking de l’hôtel. Une bonne douche, puis un petit tour en ville, retour et redouche avant le dîner à l’heure espagnole bien sûr : surprise, les draps de bain avaient été changés ; retour de dîner, un nouveau changement ! Et à un prix dérisoire : à cette époque, les nouveaux hôtels passaient une année de purgatoire à un niveau assez bas, avant d’obtenir un classement définitif.
Ceuta, comme Melilla, avec quelques bouts de rocher (peñon) et des îles minuscules, sont les derniers confettis d’empire de l’Espagne, après qu’elle a restitué Ifni, puis quitté le Sahara dit espagnol, chassé par « La marche verte », habilement lancée par Hassan II. Un Hassan II qui, ironiquement, appuyait la revendication espagnole de restitution du rocher de Gibraltar, sous la coupe britiche.
Fondée par les phéniciens, Ceuta a longtemps été rattachée à l’Espagne… musulmane (sauf quand les dynasties des almoravides puis des almohades s’emparaient d’Al Andalous). Cependant, elle tombe entre les mains des Portugais dès 1415, avant de revenir à l’Espagne (chrétienne du coup) en 1640. Longtemps, comme Melilla d’ailleurs, bagne et garnison, la population civile n’étant là que pour les besoins des deux autres, elle a ensuite traînée une sale réputation de franquisme, considérée comme le berceau de la rébellion antirépublicaine. Les incidents violents liés aux tentatives d’immigration n’ont pas contribué à améliorer son image de ville de tous les trafics.
Il est vrai qu’à Ceuta, le sabre et le goupillon restent présents. La place, sur laquelle donne La Muralla – devenu Parador, mais sans bagagiste, avec un parking souvent surpeuplé et un accueil parfois limite, mais… le moins cher de tous les paradores – on donne sur la cathédrale, une église, et le commandement général orné de beaux canons. La légion étrangère, fer de lance des troupes africaines de Franco, est honorée d’une statue de légionnaire, accompagné d’un bouc avec un calot militaire (bouc avec qui il devait partager la saillie des chèvres). La ville même est parsemée de mosaïques à la gloire de la religion. Cependant la statuaire est d’inspiration plus antique, avec notamment Hercule et ses colonnes. Ville qui, malgré des tentatives de post-modernité, a une architecture de centre ville assez typique des années 60.
Mais Ceuta a fait son aggiornamento. La statue d’un Maire socialiste, Antonio Lopez Sanchez Prado, exécuté par les franquistes, est devant la mairie. Le cimetière a été orné d’un monument à la mémoire de tous ceux qui ont partagé le sort de ce maire et ont été jetés dans une fosse commune et leurs noms sont gravés sur le mur. C’est une ville multiculturelle, avec bien sûr des chrétiens qui ont peut-être un peu moins déserté leurs églises que de l’autre côté du détroit, mais aussi des juifs, même si leur communauté a beaucoup perdu de son importance, des hindous venus de … Gibraltar (et des Chinois qui s’implantent). Mais la communauté la plus importante, sans doute proche de 50%, est la communauté musulmane.
De quoi vit Ceuta est un mystère. Certes le port connaît en juillet août un trafic intense, mais avec une main d’œuvre réduite au maximum, puisque la « marchandise » - voitures, camionnettes, camions, motos… - se décharge toute seule. Pour le reste, le port accueille quelques rares petits cargos. Bien que dispensées de taxes, les stations services vendent leur pétrole plus cher qu’au Maroc. « El Corte Ingles » a une espèce de solderies de vêtements et chaussures, où des femmes marocaines emplissent de volumineux ballots de toile qui doivent alimenter l’économie atypique, c’est-à-dire la contrebande. Mais cela suffit-il à faire vivre une ville de 70 000 habitants, même si des résidents étrangers du Maroc – et peut-être aussi des Marocains – viennent s’y approvisionner en charcuteries, vins et alcools. Des espagnols continentaux viennent-ils aussi profiter des détaxes (y compris la TVA) ? Mais le statut particulier de Ceuta, bien qu’appartenant à la communauté européenne, a maintenu la douane à Algeciras.
Ceuta, comme Gibraltar d’ailleurs, est un anachronisme, sorte de butte témoin d’un passé révolu.
Certes, la légion étrangère n’y a plus qu’un musée, la catholicité, si elle témoigne de sa présence en terre mauresque, ne nourrit plus depuis longtemps l’espoir d’une conquista des terres infidèles. Mais la découverte de cette ville – où on doit s’emmerder à mourir quand on y vit à l’année, d’ailleurs – offre au touriste qui s’y attarde un peu un charme rétro qui mériterait peut-être d’être conservé.
Pour compléter :
Un site+blog d’Yves Zurlo http://ceutamelilla.pagesperso-orange.fr/
Une assez étrange page d’un collectif de photographes d’inspiration Bergeronnesque, « Du grain à moudre », qui se déroule horizontalement, avec quelques textes (sans doute d’Yves Zurlo) et beaucoup de photos, mais qui gagneraient à être légendées http://www.dugrainamoudre.net/ceuta/ceuta.html
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