Un mystérieux « Mouvement laïque indépendant » spamme une « pétition pour une loi contre le port d’un masque dans la rue, hors
carnaval ». Après une phrase introductive sur le respect de l’autre « dans son altérité », le ton devient nettement plus prosaïque, il faut une loi « pour que les personnes
masquées mal intentionnées ne déjouent pas les caméras de surveillance ». De la laïcité sécuritaire à la Hortefeux. Et de prétendre qu’en Belgique, comme au Luxembourg, cette loi
existe depuis 2005. Certes une proposition de loi dans ce sens fut déposée le 21 février 2005 à la Chambre des représentants belge par le chevalier François-Xavier de Donnéa (député du Mouvement réformateur, droite) mais elle a été
repoussée ! Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose.
Or donc, le texte cité ("Hors le temps du carnaval, nul ne peut se montrer masqué ou travesti dans les rues. Sans autorisation de l'autorité compétente [en fait : sauf autorisation du bourgmestre], il est interdit sur le domaine public de se dissimuler le visage par des grimages, le port d'un masque ou tout autre moyen, à l'exception du "temps du carnaval".) est un vieux règlement de police, remis au goût du jour, par des communes belges ou luxembourgeoises (Règlement général de police d'Esch-sur-Alzette par exemple).
Le député UMP Vanneste, qui s’est rendu célèbre par ses propos homophobes, reprend la balle au bond par une proposition de loi. Pour que les systèmes de vidéosurveillance soient efficaces, tout vêtement qui empêche l’identification en cachant le visage doit être proscrit sur la voie publique, sauf lorsqu’il correspond à une exigence médicale. Dans l’exposé des motifs il reprend donc l’argument sécuritaire de la vidéosurveillance. Le texte de loi proposé est bref : Toute personne allant et venant dans l’espace public doit avoir le visage découvert et porter des vêtements ou accessoires permettant aisément sa reconnaissance ou son identification. Mais il est bizarre, pour ne pas dire inquiétant : avoir le visage découvert ne suffirait pas à être reconnaissable ? quels seront ces vêtements et accessoires qui nuiraient à la reconnaissance ? A noter que, contrairement au règlement de police luxembourgo-belge, il ne prévoit même pas l’exception carnavalesque.
Fin des casques intégraux donc qui permettent à de jeunes scootéristes de s’enfuir, sans être identifiables (n’est-ce pas Prince Jean ?). Le « passe-montagne » qui, tel un niqab, ne laisse voir que les yeux, parfois protégés par des lunettes de soleil, interdit, même quand ça caille sévère, même en moyenne ou haute montagne. Ne parlons pas des travestis, surtout à Christian Vanneste qui, comme Loulou de Montpellier, déteste les tarlouzes : plus maquillé(e)s qu’un camion d’occasion, portant perruques, faux seins (ça ne serait pas ça les accessoires que proscrit le député ?) tenues affriolantes… Bien sûr interdiction de beaucoup de spectacles de rues et fini de déguiser les enfants pour la fête des écoles ! Et les nonnettes : leurs coiffettes sont aussi des accessoires qui gênent l’identification. En revanche, pour le GIGN en expédition à Tarnac, pas de problème, mieux masqués que des targuis dans le désert (et oui, il y a aussi des hommes à niqab).
Le biais sécuritaire est utilisé, sans doute par conviction dans les vertus d’une société vidéosurveillée, mais aussi pour contourner l’accusation de ne viser que des tenues adoptées par des femmes musulmanes. Mais en noyant, si l’on peut dire, le poisson, on accroît l’impact liberticide de loi de ce type.
Dans ce que les juristes appelle la hiérarchie des normes la Liberté est première, première aussi sur le fronton de nos monuments publics. Comme le rappelle la loi de 1905, s’agissant de liberté religieuse ou de conviction, elle ne peut être limitée que si elle cause des troubles à l’ordre public. L’ordre public recouvre deux aspects : l'intérêt général et la protection des autres citoyens, de leur propres libertés mais aussi de leur quiétude (ivresse publique manifeste et agressive, tapages nocturnes, exhibitionnisme, etc.).
Certes la vision de ces corbeaux peut horripiler* et inciter à retrouver le vieux « croâ, croâ » de nos grands-pères. Mais, sauf à découvrir des cas pathologiques de niqabophobie qui obligeraient leurs victimes, à leur tour, de s’affubler de tenues protectrices pour éloigner les ondes malfaisantes émanant de ces belphégors, le trouble manifeste de l’ordre public n’est pas patent.
Gardons-nous donc de ces lois de circonstances qui, peu à peu, grignotent nos libertés. Déjà les ultra-laïcs réclament l’interdiction de tout voile dit islamique. Comme il n’y a pas de raison diront certain(e)s de ne s’en prendre qu’aux femmes, une loi sur la barbe islamique s’imposera…
Revenons au bon sens d’Aristide Briand : "On disait que la soutane du prêtre était un signe clérical plus que religieux, que c'était un instrument de soumission du prêtre à son évêque et à sa hiérarchie. On disait aussi que ça portait atteinte à la "dignité masculine" parce qu'il s'agissait d'une robe. Et on disait enfin que la grande majorité des prêtres attendaient de la République une loi qui interdise le port de la soutane, et donc qui les libère de ce vêtement. Aristide Briand, le principal auteur de la loi de 1905, a refusé ces arguments en disant qu'à partir du moment où les Eglises et l'Etat étaient séparés, la soutane devenait un vêtement comme un autre et, pour la République, n'était plus un vêtement considéré comme un vêtement religieux, et que, selon lui, c'était cela la laïcité. L'amendement qui demandait l'interdiction du costume ecclésiastique en dehors des bâtiments ecclésiastiques a été refusé par l'Assemblée nationale" (Baubérot).
* Pour éviter (ou au moins essayer d’éviter) tout faux procès du style vous attaquez la décision du GODF de ne pas autoriser les dames a être initiées donc vous êtes antimaçonnique, précisons : la vision de ces personnes me débecte, surtout, comme à Azrou, quand elles sont précédées d’un barbu arrogant quelques mètres devant ; pour autant, si ce voile intégral est imposé par un de ces abrutis, les lois contre les violences conjugales existent (aussi difficiles à appliquer en l’occurrence que dans la plupart des cas) ; pour celles qui revendiquent le port de ces horreurs, la libre circulation dans l’espace public civil est de droit, en revanche, on doit leur faire dévoiler leur visage en de multiples circonstances (enfants à chercher à l’école, paiement par chèque, contrôle d’identité, etc.).
ANNEXE :
Les obstacles juridiques à l'interdiction du port de la burqa dans l'espace public
Si le fonctionnement des services publics - en l'espèce les établissements d'enseignement - a pu justifier les règles particulières édictées par la loi de 2004 interdisant le voile à
l'école, il en va tout autrement dans ce que l'on appelle l'espace public où, a souligné M. Schwartz, "se pose à l'inverse
la question du respect des libertés fondamentales". "La prohibition de la burqa réaliserait une ingérence
forte dans l'existence d'au moins trois droits fondamentaux", a précisé M. de Béchillon, qui a cité "la
liberté de religion", "la liberté d'opinion", ainsi que "la liberté d'aller et venir".
"L'exigence de laïcité pèse sur l'Etat et non sur les personnes privées", a rappelé M. de Béchillon, en soulignant que chacun - hors service de l'Etat - est au contraire libre d'exercer et de manifester sa religion. "La laïcité ne s'applique pas dans la rue", confirme Bertrand Mathieu, professeur à l'université de Paris-I, qui juge ce principe "inutilisable" en l'espèce.
La notion de "pratique radicale de la religion" a bien été avancée par le Conseil d'Etat pour s'opposer à l'octroi de la nationalité française à une mère de famille marocaine portant la burqa. Mais, a prévenu M. Schwartz, "on ne peut rien en extrapoler parce qu'il s'agit d'une législation particulière (sur l'acquisition de la nationalité) et que la liberté religieuse n'était pas en cause".
"Est-ce que le fait d'empêcher autrui de voir une femme, ce qui n'est pas imposé aux hommes, est attentatoire à la dignité de la personne humaine et à la dignité des femmes ?", s'est-il [M. Schwartz] interrogé, tout en se gardant de répondre.
L'hypothèse fait bondir le constitutionnaliste Guy Carcassonne, qui se dit "épouvanté à l'idée qu'on puisse se servir de ce fondement-là". "Ce principe du droit objectif ne qualifie pas la puissance publique pour se substituer aux personnes afin de se faire juge de leur dignité. Où va-t-on si la loi commence à s'occuper de cela !", s'exclame-t-il, en estimant que cela reviendrait à "supprimer la notion de liberté". "On se trouverait dans une querelle théorique entre les principes de liberté et de dignité. On ne s'en sortirait pas", juge également M. Mathieu.
Selon M. Carcassonne, le législateur pourrait poser le principe selon lequel "on n'a pas à se dissimuler quand on est en public", en prévoyant des exceptions concernant, par exemple, le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), ou les périodes de carnaval.
D'autres doutent fortement de la viabilité de cette piste. "Si l'ordre public nécessite de pouvoir reconnaître les identités, on ne peut pas imposer aux citoyens d'être en état de contrôle permanent", a souligné M. Schwartz devant la mission parlementaire. "Cela voudrait dire que l'espace public est un espace où chacun doit être identifiable à tout moment, comme s'il s'agissait d'une vaste zone de vidéosurveillance. On entrerait dans une autre société", affirme Danièle Lochak, professeur de droit public à l'université de Paris-X-Nanterre, qui évoque un "fantasme assez fou".
Estimant qu'invoquer la seule notion d'ordre public est "juridiquement risqué", M. Mathieu propose d'y ajouter la "liberté contractuelle" et la "liberté personnelle" pour affirmer - un cran en dessous d'une interdiction complète de la burqa - "le droit des tiers à identifier la personne avec laquelle ils sont en relation" .
Les néo-croisés du laïcisme-xénophobe lancent leur croisade : RL défend une République laïque
aujourd’hui menacée par un péril mortel : l’islam - par Cyrano (08/01/10).
Vous avez bien lu : il ne s'agit pas
d'islamisme, mais d'Islam !