Faire renouveler un passeport ou une carte d'identité si vous êtes nés à l'étranger ou d'ascendance étrangère, c'est la galère !
Comme le regretté P. Seguin, comme B. Delanoë, et beaucoup d’autres, Besson est né à l’étranger, au Maroc lui. Comme aussi Olivier Guichardaz, né à Meknès. Comme combien d’enfants de coopérants dans les années soixante ? Rien qu’à Azrou, petite ville du Moyen-Atlas : vingt ? trente ?
Tous enregistrés au consulat de France à Meknès, puis après sa fermeture à celui de Fès. Pour peu que l’un des parents soit lui-même plus ou moins d’origine étrangère ou né aussi à l’étranger, imaginez la galère.
Galère connue par une hispano-française, mariée à un prof de fac de souche angevine, elle-même, agrégée, enseignante du supérieur, invitée à un colloque à l’étranger, qui, après moult démarches, intervention de son université, etc. n’aura droit qu’à un passeport provisoire d’abord, avant d’en avoir un vrai, nouveau modèle. Humiliation, perte de temps, alors qu’elle est française depuis son mariage… soyons discrets on ne doit pas dire, même indirectement, l’âge des dames… disons donc un certain temps.
O. Guichardaz* a été victime de l’excès de zèle d’un employé de mairie qui lui a réclamé illégalement un certificat de nationalité à la seule vue du lieu de
naissance. Mais bien qu’ayant carte d’identité, d’électeur, ancien passeport, extrait d’acte de naissance du consulat, il lui aurait quand même fallu prouver que papa et maman étaient bien des
français à part entière ! Au prétexte que l’administration aurait pu faire des erreurs dans un passé plus ou moins lointain, le demandeur doit fournir la preuve que ni lui, ni ses ascendants
n’ont pu bénéficier d’une quelconque erreur. En principe, ce serait l’inverse, ce serait à l’administration de chercher et corriger ses propres erreurs.
Il serait un peu trop facile de faire porter la responsabilité sur des agents subalternes, dit-on. Quoique… la tentation bureaucratique de certains d’abuser du redoutable pouvoir d’emmerder leurs contemporains est indéniable. Il est vrai que les textes ministériels sont écrits dans un tel sabir (auvergnat ?) qu’on peut comprendre la difficulté à les appliquer : « Lorsque les usagers éprouvent des difficultés à apporter la preuve de leur nationalité française, il revient à vos services de faire application du concept de possession d’état de Français », écrit ainsi Hortefeux aux préfets.
Mais même quand « la dame de la mairie » est compréhensive, comme en témoigne S. Giraud, ça bloque à la préfecture où on n’a pas encore bien assimilé ce qu’était le concept de possession… Il est vrai que la dame cumule avec une « grand-mère paternelle à moitié lituanienne » et un « grand-père maternel ukrainien », pour couronner le tout, elle est née à l’étranger. Mais ce sera sa chance, née en Angleterre, elle aura son passeport anglais en quelques jours.
« Ce sont des procédures qui relèvent plus de Kafka que d’une République qui cherche à réconcilier les hommes » dit, fort justement, Hervé Morin, mais qui oublie qu’il est membre du gouvernement.
Ça devient franchement odieux quand on réclame à Daniel Karlin, cinéaste, fils de juifs ukrainiens ayant obtenu la nationalité française en 1936, l’acte de
naissance de grands parents à jamais disparus dans la tourmente de la 2e guerre mondiale. Il écrit à Chirac : « Je ne vous demande pas un passe-droit, je vous demande mon
droit ». Ayant obtenu gain de cause, il lui écrira : « il faut que vous régliez ce problème pour les autres ». Il n’en a rien été. On arrive
même, semble-t-il, à ce que certains, faute de pouvoir réunir les papiers demandés, font en désespoir de cause une demande de nationalité française qui leur est refusée, puisqu’ils sont déjà…
Français !
Pour reprendre la phrase d’Hortefeux, ne pourrait on la réécrire : « A priori, les citoyennes et citoyens qui demandent le renouvellement de leur passeport ou CIN, sont en possession d’état de Français (ou, plus simplement, de la nationalité française), si des doutes précis existent sur la validité des titres fournis (ancien passeport, ancienne CIN), c’est à l’administration d’enquêter sur une éventuelle erreur ou falsification. »
Source : Libération 11/01/10
* Son témoignage intégral (dont Libé a publié des extraits)
"Je suis né en 1964 au Maroc, de parents français, qui y étaient coopérants. Nous
avons quitté ce pays en 1972 pour nous installer en France. J’ai donc vécu 8 ans au Maroc. Autant j’y suis attaché, affectivement, comme terre de mes premières années, autant je ne me suis jamais
senti autre chose que Français. J’ai toujours parlé cette langue, j’ai été dans des écoles françaises, j’ai fait mon service national. J’ai voté. Alors quand, pour obtenir un passeport, on m’a
demandé de prouver que j’étais français, alors que j’avais en main ma carte nationale d’identité en cours de validité, mon ancien passeport, mon extrait d’acte de naissance délivré par le
consulat de France à Meknès, ma carte d’électeur avec les tampons prouvant que j’avais voté aux dernières élections, j’ai été révolté, outré, furieux, scandalisé. Dans ma colère, une série
d’éléments biographiques me sont venus à l’esprit : mon grand-père maternel, militaire de carrière, qui a combattu en 1940, a été fait prisonnier, est resté 5 ans dans un offlag (privant au
passage, malgré lui, ma mère de son affection et de sa présence), en est revenu affaibli puis malade, a été décoré de la Légion d’honneur ; mon père, officier des palmes cadémiques... J’en ai
fait part à la greffière, tout en me marrant intérieurement (je n’avais jamais invoqué les décorations de mon grand-père ou de mon père nulle part, ça faisait un peu bourgeois-réac, d’une
certaine manière...). La greffière l’a pris avec le sourire. C’était un peu tragicomique... A un moment, je me suis imaginé apatride. Terrifiant quand on a toujours eu le sentiment d’appartenir à
une nation, une histoire, un peuple, un pays, une culture.
Surtout, je me suis senti humilié. Je me suis dit : «mais que pourrais-je donc être d’autre que Français ?» Ça me paraissait inconcevable. Et puis j’ai réalisé : «Ah oui, j’aurais pu
être marocain». Mais ça me semblait tellement invraisemblable ! En fait, par sa demande de preuve de ma nationalité française, l'Etat français supposait, de fait, qu'entre la dernière
délivrance de ma carte nationale d'identité, en 2005, et ma demande de passeport, en 2009, j'aurais pu subrepticement devenir marocain pour ensuite essayer, tout aussi subrepticement, de
redevenir français ! Quelle absurdité !Et quand bien même je l'aurais fait, pourquoi l’Etat français qui, pendant 44 ans, m’a délivré des papiers français, serait-il fondé à me les refuser la 45e
année? On nage en plein délire !
L’idée sous-jacente, derrière tout cela, c’est qu’étant potentiellement étranger, je suis potentiellement un mauvais français, un mauvais citoyen, un parasite, un de ceux dénoncés récemment par un élu UMP comme «payés à ne rien faire»... Elle est là l’humiliation. Sous-homme, parce que simplement né ailleurs. Honte à la France d’avoir adopté et d’appliquer une telle réglementation ! Honte à nous de devoir l’accepter ! Dans cinquante ans, on regardera tout cela avec mépris ou incompréhension. J’ai désormais dans un de mes tiroirs mon «certificat de nationalité française», délivré par le tribunal d’instance. Mais je regarde ce papier comme si c’était une étoile jaune qu’on m’a imposée ! Mon frère, né des mêmes parents, mais en France (au cours de grandes vacances), ne se voit pas imposer l’obtention du même certificat. Pourquoi ? Quel délire ! Alors quand j’entends parler de débat sur l’identité nationale, j’ai envie de vomir.
Le pire, dans mon histoire (ou disons l’ironie de l’histoire...), c’est que dans mon cas, j’ai
appris ensuite que la fonctionnaire de la mairie n’avait pas à me demander de certificat de nationalité française. Mes parents étant nés en France ainsi que mes grands-parents, un extrait d’acte
de naissance de mon père et de ma mère aurait dû suffire. Mais emportée par le zèle (ou autre chose...), elle me l’a demandé avec un ton péremptoire... J’ai écrit à la mairie (qui est pourtant
«de gauche», MRC) pour indiquer les démarches inutiles (et, je le répète, humiliantes) que j’ai dû faire (en gros, j’ai perdu pas loin d’une journée de travail). Je n’ai pas eu un mot
d’excuse…"