Toujours au hasard d’une recherche, je tombe sur un site belge (Le blog d’Henri Goldman) dont un article traite du voile et de la neutralité de l’état après l’élection au parlement régional de Bruxelles d’une députée* « voilée ». Plus que l’article, m’a intéressé le premier commentaire (reproduit intégralement ci-dessous) et le fait que les 70 commentaires étaient tous réellement signés (et non sous des pseudos plus ou moins ridicules). J’ai découvert que c’était une exigence** du blogueur dont Le Post et autres sites d’information, qui se veulent sérieux, feraient bien de s’inspirer. Gageons que par les laïcards congelés dans le permafrost républicain, ces belges seront traités avec le même mépris dont ils accablent les Québécois.
La laïcité s’accommode mal d’interdits. Son objet est l’apprentissage de la liberté, de l’égalité et de la fraternité et non de bâtir une forteresse fermée au reste du monde.
Ceci n’est pas un voile
posté le 5 septembre 2009 par Bernard De Backer
"Un signe a toujours deux faces", affirmait le fondateur de la linguistique moderne Ferdinand de Saussure. Le signifiant c’est la face matérielle, visible : un son, un dessin, un mot, un objet, un vêtement. Quant au signifié, c’est le concept, la représentation mentale d’une chose, auquel renvoie le signifiant dans un système symbolique (linguistique ou, plus largement, sémiotique). Ainsi, le signifiant « pipe » renvoie dans notre langue au concept regroupant une collection d’objets comprenant un fourneau et un tuyau, et avec lequel on aspire du tabac. Il y a évidemment d’autres signifiés pour ce même signifiant, c’est ce que l’on appelle la polysémie qui permet notamment les mots d’esprit. Quant à la pipe de mon grand-père maternel et toute autre pipe existante ou ayant existé, c’est le référent. C’est bien pour cela que le tableau du dénommé Magritte n’est pas une pipe comme il s’amuse à le peindre.
Venons-en au voile. Ma mère, née en 1913, portait un foulard (dénommé « fichu » à l’époque) très similaire à celui de Madame Özdemir*, notamment quand elle allait à la messe ou faire ses courses (elle n’était pas parlementaire). De même, la plupart des babouchkas que j’ai pu croiser dans les confins est-européens portaient un foulard. J’ai même vu des fonctionnaires d’autorité arborant le foulard en Ukraine, notamment derrière un guichet. Remarquez : on utilise le mot « voile » dans le premier cas, « foulard » dans le second. Le signifié est-il le même ? Dit-on des babouchkas qu’elles sont « voilées » ? Pas que je sache. Et quand on veut désigner spécifiquement le foulard porté par des femmes musulmanes, on précise « foulard islamique ». Donc le problème n’est pas du côté du signifiant matériel (le bout de tissu) mais bien du côté du signifié, c’est-à-dire de l’image mentale à laquelle renvoie dans l’esprit de beaucoup de gens l’objet symbolique en question. Un autre exemple est la svastika. En Inde, ce symbole renvoie à un signifié religieux, en Europe, après 1930, au nazisme. Dès lors, arborer une svatsika en Inde n’a pas le même sens qu’en Europe.
Quand le dalaï-lama rend visite à des chefs d’Etats et autres représentants de l’autorité dans nos démocraties, il leur file une écharpe blanche autour du cou. Ainsi pouvait-on voir récemment le maire de Paris se pencher devant le hiérarque de l’école Gelukpa pour recevoir « le voile tibétain ». Cela ne semble pas poser de problèmes (sauf pour les autorités chinoises et quelques laïcards congelés dans le permafrost républicain) et personne ne s’offusque de voir le maire socialiste faire une génuflexion devant l’océan de sagesse. C’est que « bouddhisme tibétain » est un signifiant dont le signifié est - aujourd’hui - auréolé de positivité, ce qui n’est pas le cas de « islam », pour diverses raisons. Dès lors, on peut difficilement imaginer la reine d’Angleterre se pencher devant l’Ayatollah Khamenei pour recevoir le voile islamique, même à usage très temporaire.
Le problème n’est donc évidemment pas le voile et le « bout de tissu » mais bien ce qu’il représente pour une population donnée à un moment de l’histoire. Si le policier UK peut porter le turban sikh, c’est que, dans le contexte anglais, ce couvre-chef ne symbolise aucune menace pour la démocratie anglaise, à tort ou à raison, peu importe. Cela peut changer dans les deux sens. Ainsi, il n’y a pas si longtemps, le bouddhisme tibétain avait très mauvaise réputation et les lamas étaient dépeints comme des monstres assoiffés de sang (voir les aventures de Buck Danny au Tibet : « Mission vers la vallée perdue »). Le maire de Paris n’aurait certainement pas reçu le Grand Lama et son écharpe blanche à cette époque. Si le signifié du voile change, ce fichu foulard ne posera pas plus de problèmes que la queue de cheval d’une policière ou la moustache d’un fonctionnaire d’autorité. Et comment faire pour changer le signifié, me direz-vous ? Et bien il suffit que l’image mentale à laquelle renvoie cet objet se modifie.
* Mahinur Özdemir Elue au Parlement Bruxellois
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