Remontée vers le pano, par la déviation poids-lourds (hôpital-marché couvert à peu près) et, à la hauteur de l'ex-maison de Michèle et Jean-Claude G., je croise un barbu modèle Ahmadinejad, suivi à trois mètres d'une femme (ou supposée telle) en niqab. Mais coupant par la rue passant le long du logement du toubib du dispensaire (qu'est devenu Harrouard ?), je débouche sur la sortie du lycée où se côtoient lycéennes têtes nues ou coiffées de fichus, discutant et riant ensemble sans aucune coupure entre voilées ou pas.
Certes nous sommes loin du temps d'antan, où les (peu nombreuses) jeunes filles de notre collège - dans les années soixante ou septante du siècle dernier - arrivaient en mini-jupes (comme leurs profs européennes). L'une d'elles, quasi en micro-jupe, jetait un voile pudique... sur ses cuisses !
Une fois encore, avec une délégation de notre (modeste) association d'anciens coopérants, nous revenions à Azrou, un peu notre deuxième "chez
nous", où nous avions enseigné dans ces années soixante et septante (pour quelques uns jusqu'au début des années octante). Je ne pouvais m'empêcher de penser aux imbécillités lues sur un
torchon virtuel sur les cinq prières censées paralyser la vie en pays musulman. Désolé pour le xénophobe attardé auteur de cette énormité, mais la vie ne s'arrête pas quand retentit le chant du muezzin et les quelques
crapauds d'ablutions (équivalents de nos grenouilles de bénitiers) qui vont journellement à la mosquée, sont considérés, le plus souvent - à quelques croyants pieux et sincères
près - comme des hypocrites (des tartuffes). Dans le périple, qui a suivi notre séjour au cœur du Moyen-Atlas, il nous est arrivé une fois de voir un chauffeur de poids lourd arrêté pour une
prière. Les autres continuaient de rouler. Il n'y a qu'au moment du Ramadan, quand retentit la sirène indiquant la rupture du jeune, que tout s'arrête, le temps d'une bonne
soupe !
La visite de nos ex-établissements, collège et lycée, a donc montré la diversité des vêtures des filles. Chez les collégiennes les têtes nues l'emportaient, et les autres ne portaient qu'un fichu. Chez les lycéennes, têtes nues et têtes voilées faisaient jeu égal. Mais seule une infime minorité portait le voile comme la guimpe d'une bonne sœur et beaucoup de voile aux couleurs chatoyantes étaient plus des accessoires de mode juvénile que des signes prétendument religieux.
Cette cohabitation sans heurt n'est peut-être pas générale. Une ancienne élève, devenue prof à Meknès, nous contait la pression insidieuse de collègues voilées.
Symbole de cette cohabitation pacifique : les deux sœurs N.L., toutes deux également profs (et ayant bénéficié de mesures de pré-retraite dites de départ volontaire) : l'une, Hadja - ayant fait le pèlerinage à La Mecque - arbore une tenue digne d'une carmélite, l'autre Marya, pétulante, chevelure au vent, habillée à l'européenne, et les deux tout aussi urbaines.
Seule ombre au tableau donc, ce barbu croisé avec quelque pas derrière une femme (ou supposée telle) vêtue d'un niqab, voilée de noir jusqu'aux yeux à peine visibles. Mais aucune dans une longue ballade dans la médina de Rabat, peu après. Faut-il ajouter que le mouvement Amazigh, ceux que nous baptisons berbères, revendique le droit à la laïcité condition de la citoyenneté dans un Etat de droit ? Et Azrou est au cœur d'une population restée largement berbérophone.
Azrou n'est sans doute pas touché par l'explosion sexuelle au Maroc que décrit l'hebdomadaire Tel Quel. Cette libération sexuelle ne concernait, il y a une vingtaine d'années, qu'une minorité de privilégiés qui pratiquaient déjà le jeu des clés de contact (chaque épouse tirant au hasard une clé de voiture dans un vase et repartant avec son propriétaire - pas l'époux bien sûr - à l'issue d'une fête libertine). Mais ce que montre Tel quel, c'est que cette libéralisation des comportements sexuels touche aussi une frange de jeunes (et moins jeunes) célibataires ou divorcé(e)s, femmes et hommes, de la fraction la plus aisée de la classe moyenne. La (très relative) plus grande autonomie de la femme est en partie due à la nouvelle Moudawana (code de la famille) qui donne plus de droit aux femmes. La prolongation des études, le recul de l'âge du mariage, mariages de moins en moins arrangés dans cette bourgeoisie urbaine moderne, mais qui restent très coûteux, expliquent aussi cette libération, facilitée par internet.
On est donc loin, très loin, de cette caricature des pays musulmans que décrivent de pseudos laïcs qui ne démontrent que leur obscurantisme.
Tout cela est très fragile. Ainsi, à Azrou, des islamistes ont condamné la création d'un petit centre d'accueil d'enfants abandonnés, car cela encouragerait les filles-mères. Comme est fragile l'équilibre politique, monarchie de droit divin teintée de vraie démocratie, sur fond de bureaucratie tatillonne et assez largement corrompue, mais avec une presse, comme le démontre Tel quel, assez libre. Et s'agissant des mœurs, l'hétérosexualité extra-conjugale reste interdite, ne parlons pas de l'homosexualité (ce qui n'empêche évidemment pas la pratique de l'une et de l'autre).