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22 novembre 2019 5 22 /11 /novembre /2019 17:07
J'accuse : Picquart au piquet ?

Après les attaques ad hominem contre le réalisateur de J’accuse, un nouveau front s’ouvre avec des historiens qui mettent en cause le choix de Georges Picquart comme personnage central du film. Ainsi Gilles Manceron déplore ce choix d’un officier antisémite qui est resté ancré dans ses préjugés et, devenu ministre, obligea Dreyfus à quitter l’armée.

Ce qui, d’ailleurs, n’est pas masqué dans le film, puisque l’on y voit Dreyfus demander au ministre Picquart qu’on prenne en compte ses années d’emprisonnement dans son ancienneté et qu’il se voit opposer un refus : il faudrait une loi pour ce faire et pour Picquart – comme pour Clemenceau, Président du conseil - c’est inenvisageable. Dreyfus fait valoir ses droits à la retraite après ce refus.

Mais l’historien, dans son zèle, va jusqu’à affirmer qu’à l’été 1898, soit six mois après la publication du « J’accuse ! » de Zola, [dans un mémoire adressé à son avocat, Picquart] parle des « manœuvres des juifs », en particulier de la famille Dreyfus, qu’il fait surveiller et dont il intercepte la correspondance. Or, depuis janvier 1897, depuis qu’il a fait part de ses découvertes sur Esterhazy, Picquart n’est plus à la tête de la « section de statistique » et donc n’intercepte plus rien : c’est plutôt lui dont on intercepte le courrier. En février 1898, il est d’ailleurs mis en réforme pour faute grave dans le service et il sera emprisonné.

J'accuse : Picquart au piquet ?

« Voilà plus de six mois que le colonel Picquart est en prison. Il est en prison pour avoir refusé de s’associer à un crime, il est en prison pour avoir crié l’innocence d’un homme, condamné au pire des supplices ; il est en prison pour avoir voulu cette chose aujourd’hui proscrite de toute la vie : la justice. [...] Le colonel Picquart avait le choix, entre la plus belle carrière militaire qui se fût jamais ouverte devant un officier, et le cachot. On ne lui demandait que de se taire. Il a préféré parler et, de ce fait, il a choisi le cachot. [...] Comme on avait condamné Dreyfus, coupable d’être innocent, il savait qu’on condamnerait Picquart, doublement coupable d’une double innocence : celle de Dreyfus et la sienne. Il savait tout cela, et il a choisi le cachot. » (…) « Je dirai du colonel Picquart que c’est un homme. Dans les temps de déchéance et d’avilissement que nous traversons, être un homme, cela me paraît quelque chose de plus émouvant et de plus rare que d’être un héros... L’humanité meurt d’avoir des héros ; elle se vivifie d’avoir des hommes ». 

Octave Mirbeau, préface d’un Hommage des artistes à Picquart (extraits)

Que ce Picquart fut antisémite, le film ne le cache pas. Dans la magnifique séquence d’ouverture, la dégradation du capitaine Dreyfus, il tient des propos qui le révèlent. Et Zola en fait même argument pour démontrer, lui, qu’il ne pouvait pas avoir fabriqué la carte-télégramme pour perdre Esterhazy.(...) Le joli de l’histoire est qu’il était justement antisémite.

J'accuse : Picquart au piquet ?

Je ne disputerai pas avec d’éminents historiens comme Gilles Merceron ou Philippe Oriol. Sauf qu’à lire le blog de G. Merceron, c’est tout juste si ce Picquart n’est pas présenté comme anti-dreyfusard.

En revanche, sa critique de l’absence de nombreux et importants protagonistes oublie qu’il ne s’agit pas d’une thèse sur l’affaire Dreyfus, mais d’un film. Avec Harris, Polanski a fait le choix du point de vue de Georges Picquart, point de vue qui lui permet de se centrer sur cette organisation de pouvoir [qu’]est la bureaucratie de l’Etat-major français d’alors, qui cache un antisémitisme endémique accentué par la défaite de 1870. De véritables « forces de l’ombre » comme [Harris] les désigne dans le roman, s’y mobilisent pour détruire Dreyfus puis Picquart (Julien BARTOLETTI ).

Et, comme son nom l’indique d’illustrer le J’accuse de Zola.

Tous les protagonistes cités – Paty du Clam, Mercier, Billot, de Boisdeffre, Gonse, sans oublier les juges et les experts  ni le vrai (et assez minable) traître Esterhazy – y sont. S’y ajoutent notamment le syphilitique colonel Sandherr et le faussaire commandant Henry. Ce choix permet à Polanski de montrer toute la mécanique de l’erreur judiciaire née des machinations du commandant du Paty de Clam, auxquelles le général Mercier, ministre, les généraux de Boisdeffre et Gonse se sont laissés prendre.

J'accuse : Picquart au piquet ?

Le procès, avec cette guignolade des expertises, et qui ne bascule qu’avec cette pièce secrète, accablante, la pièce qu’on ne peut montrer – et dont on saura plus tard qu’elle ne contenait qu’une  pièce ridicule, oui, peut-être la pièce où il est question de petites femmes, et où il est parlé d’un certain D. – c’est Picquart, en principe simple observateur, qui est chargé de la transmettre au Président du conseil de guerre.

A travers les vicissitudes d’un service de contre-espionnage aux locaux minables, au personnel médiocre, à commencer par son second, Henry, hostile au nouveau chef, se fait la découverte de la  lettre-télégramme, adressée au commandant Esterhazy, par un agent d’une puissance étrangère, le fameux petit bleu.

J'accuse : Picquart au piquet ?

Cette illustration de la lettre de Zola au Président Félix Faure culmine avec L’Aurore vendue à la criée tandis que Picquart, dans un fourgon cellulaire, est conduit au Mont-Valérien.

Le film reste centré sur cet état-major couvert par son ministre qui, dans la terreur sans doute de l’opinion publique, refuse de reconnaître l’erreur judiciaire pourtant patente. Le général de Boisdeffre, au procès de Rennes, y apparaît comme une ganache arrogante et quasi anti-républicaine.

Même si, grâce notamment au talent de Dujardin, Picquart peut apparaître comme le héros de l’histoire, il en est surtout la clé que les co-scénaristes Harris et Polanski, ont choisi pour se focaliser sur les ressorts de l’affaire elle-même et la mécanique infernale du mensonge dans lequel se sont enferrés les chefs de l’armée. Avec cependant, des arrière-plans sur la foule haineuse à l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie. Et, à travers les lettres interceptées, l’évocation de l’île au Diable, où Dreyfus est reclus, isolé.

J'accuse : Picquart au piquet ?

Quant aux cinéphiles, je crois qu’ils rangeront la première séquence, celle de la dégradation de Dreyfus, parmi les sommets de l’art cinématographique.

Pour compléter

(Re)voir Le juge et l'assassin de Bertrand Tavernier

Et "Les hommes du jour" (téléchargeable ci-dessous) : Picquart (alors ministre)

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