Hygiénistes vs Hédonistes
Donc pour Madame la Ministre de la Santé, le vin est un alcool comme les autres. Mais pour son collègue de l’Agriculture, il n’en est rien. Les décodeurs du Monde – oubliant que leur respectable quotidien a sorti naguère une magnifique collection d’une cinquantaine de cahiers présentés par Arditi sur le VIN dans toute sa splendeur – viennent au secours de la Ministre : le vin est un alcool comme les autres n’en déplaise au Ministre de l’Agriculture.
Six étudiants de Sciences Po Toulouse ont instruit la controverse dans une petit dossier.
La tendance de fond que semble illustrer la controverse actuelle est celle de l’émergence d’un nouvel hygiénisme où capital santé et injonctions moralisatrices se confondent pour gouverner des individus qui se voient progressivement dépouillés de leur responsabilité. L’Etat gagne du terrain dans la prise en charge de la santé des individus tandis qu’il les culpabilise de ne pas agir selon ses préceptes. Dans ce contexte, la spécificité du vin est progressivement gommée au profit de sa seule teneur en éthanol.
Une controverse qui plonge dans notre histoire. Faut-il rappeler Frère Jean des Entommeures qui préférait le service du vin au service divin : « Jamais un homme noble ne hait le bon vin : c'est un précepte monacal. ».
Quant aux chansons traditionnelles d’Ah que nos pères étaient heureux à la Madelon, les chansons à boire y foisonnent et la tradition se poursuit : faut-il citer Boris Vian et Je bois, Brassens et Le vin, Brel et L’ivrogne sans oublier Graeme Allwright et Jolie bouteille, sacrée bouteille et bien d’autres.
Comme le rappellent nos sciencespotards, le pinard participa largement à maintenir le moral du poilu. Quant aux réclames, elles vantent sans vergogne les vertus sanitaires de la fée verte, l’absinthe !
Jusqu’aux mamans ou aux nourrices à qui on loue les vertus de la bière.
Cependant la lutte contre l’alcoolisme – et justement contre l’absinthe qui « rend fou » - va en 1907, provoquer une grande manifestation à Paris rassemblant les viticulteurs et les ligues antialcooliques avec pour mot d'ordre : « Tous pour le vin, contre l'absinthe » (Mais la fée verte ne sera interdite qu’en 1915).
Les grands tableaux pédagogiques qui ornent les salles de classe distinguent bien aussi, les saines boissons naturelles des alcools industriels.
On y ajoute même l’air confiné.
Cependant, même pour ces délicieuses boissons naturelles, l’appel à la modération commence à pointer, on est loin cependant du fameux « Un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts ». Mais c’est la même logique : «Le vin est bon pour qui en prend par raison».
Les campagnes anti-alcooliques ne vont cependant pas se concentrer que sur l’absinthe ou sur les alcools distillés (la gnôle).
Avec parfois un côté parodique, voire franchement de dérision.
J'emprunterai la conclusion aux étudiants en rejetant "cette tentation d’associer la consommation – modérée – de vin à la seule absorption d’éthanol / alcool revient à nier tous les potentiels liens sociaux ou potentiels plaisirs émanant de la dégustation du vin. Appréhendé par les seules substances le composant, le vin passe progressivement sous le joug de notre société hypermédicalisée qui inhibe l’idée d’hédonisme à laquelle étaient jusqu’alors associées nourriture et boisson."
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