"Il existe un aspect de la lecture qui vaut, je crois, qu'on s'y étende un peu, car il s'agit d'une habitude très répandue et dont à ma connaissance, on a dit bien peu de chose. Je veux parler du fait de lire aux cabinets." Henry Miller en fit un essai. Et sa conclusion – que je me garderai de partager – est négative. Pour lui, cette pratique est motivée par la peur de se retrouver face à soi-même, à l’impuissance à réfléchir à des choses essentielles dans ces moments de pure intimité. Faire deux choses à la fois n’apporte que frustration.
Mais des raisons moins philosophiques militeraient pour bannir cette pratique.
Question d’hygiène d’abord. Les journaux et revues ne seraient-elles pas des vecteurs de propagation de redoutables virus et bactéries ?
Si l’on en croit une professeure de la London school of hygiene & tropical medicine « le risque de contamination lié à la lecture aux toilettes est très faible. Le plus important étant de se laver les mains afin d'en éliminer les microbes vaillants qui auraient pu y parvenir. Quant aux microbes qui auraient atterri sur le support de lecture, on peut noter que leur durée de vie n'est que de quelques minutes sur du papier journal. En revanche, ils peuvent tenir quelques heures sur les surfaces plus lisses, comme les couvertures plastifiées ou les écrans de Kindle et d'iPad. A ce sujet, Val Curtis vient d'ailleurs de publier une étude révélant qu'en Grande Bretagne, un téléphone portable sur six présente des traces de matières fécales. » Comme quoi, il vaut mieux lire le journal que de rédiger des textos dans les gogues.
Mais, seconde question, la lecture a-t-elle des effets sur l’activité intestinale ? Autrement dit, le lecteur ne risque-t-il pas d’être distrait de l’activité physique essentielle qui justifie sa présence dans ces lieux dits d’aisance : pousser ! En 1989, un article de la célèbre revue médicale Lancet avançait que la lecture nuisait à cet effort de poussée. « L'intellect ne doit pas interférer avec les actes physiques primaires : il ne faut pas lire à table, aux WC, en faisant l'amour ou en jouant au football. Un autre article prétendait le contraire. » Certains même allaient jusqu’à avancer que la lecture pouvait favoriser les hémorroïdes !
Une grande étude a été lancée par un Chercheur au Bnai Zion Medical Center à Haifa, en Israël, le docteur Ron Shaoul. L’hypothèse de ce gastro-entérologue était inverse : "Nous pensions qu'être assis et lire aux toilettes pouvait être relaxant et rendre les choses plus faciles". Ont donc été sollicités 499 femmes et hommes adultes. « On demandait à ces personnes si elles lisaient aux toilettes, le temps qu'elles passaient sur le trône, le nombre de fois où elles s'y rendaient, la vigueur de leur transit, l'état de leur anus et une caractérisation de leurs selles, et ce, grâce à la célèbre échelle de Bristol. Celle-ci note de 1 à 7 la forme et la consistance de la production intestinale, du petit gravier à la lavasse, en passant par le bien moulé. »
« Le portrait-robot du bibliophile de goguenots décrit un homme plutôt jeune, diplômé et laïc. En revanche, les femmes, les personnes âgées, les agriculteurs, les ouvriers et les fervents croyants sont moins enclins à bouquiner dans cet endroit. » À vrai dire, la plupart des lecteurs lisent ce qui traîne et d’ailleurs traînent un peu plus longtemps dans les WC que les non lecteurs. Mais les effets sur la santé ? Nuancés : ils seraient moins sujet à la constipation, mais seraient plus nombreux à souffrir... d'hémorroïdes.
Les espoirs donc des chercheurs d’Haïfa dans les vertus thérapeutiques de la lecture ont été déçus. Ça ne sert qu’à passer le temps, à fuir comme le pense H. Miller la possibilité de s’analyser dans ces moments de pure intimité. Peut-être aussi, même si ce n’est le fait que de happy few (chers à Stendhal), à se cultiver.
Ainsi, dans les Lettres à son fils Lord Chesterfield décrit "un homme qui était si bon ménager de son temps qu'il ne voulait pas même perdre cette petite portion que la nature l'obligeait de passer à la garde-robe ; mais il employait tous ces moments-là à repasser tous les poètes latins. Il achetait, par exemple, une édition ordinaire d'Horace, dont il déchirait successivement quelques pages, les emportait avec lui dans cet endroit, commençait par les lire et ensuite les envoyait en bas (...). C'était autant de temps de gagné ; je vous recommande fort de suivre cet exemple. Cette occupation vaut mieux que de se contenter de ce dont on ne peut absolument se dispenser pendant ces moments-là."
Sources :
http://livres.fluctuat.net/blog/50806-lire-aux-toilettes-est-il-bon-pour-la-sante-.html
http://littexpress.over-blog.net/article-13981764.html
et surtout : http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/11/04/lire-aux-toilettes-est-il-bon-pour-la-sante_1598667_3244.html
Pour compléter, deux oeuvres d'Andres Serrano (avec un commentaire inspiré d'un critique d'art) :
Shit constitue (…) ce que l'on pourrait qualifier d'un nouveau genre de portraits. Repoussantes lorsqu'on en connaît l'origine, ces images d'excréments sont pourtant de toute beauté. Les couleurs chatoyantes des fonds et les reflets lumineux qui s'accrochent à la matière nous poussent à les examiner comme des sculptures.
Pour lui, «l'art réside moins dans le processus que dans le résultat dont la beauté plastique métamorphose le sujet le plus humble ou le plus répugnant, et lui donne accès à nos regard». Car c'est bien de cela dont il s'agit.
Ce qui ne manque pas d'évoquer le chant fameux :
Ô merde, merde divine
Toi seule as des appas
La rose a des épines
Toi merde tu n'en as pas !
Et pour ajouter encore une once de poésie, ce texte, attribué à Alfred de Musset, mais qui serait de Maurice Sand, fils de George :
Le petit endroit
Vous qui venez ici
dans une humble posture
De vos flancs alourdis
décharger le fardeau
Veuillez quand vous aurez
Soulagé la nature
Et déposé dans l'urne
un modeste cadeau
Epancher dans l'amphore
un courant d'onde pure
Et sur l'autel fumant
placer pour chapiteau
Le couvercle arrondi
dont l'auguste jointure
Aux parfums indiscrets
doit servir de tombeau
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