« N'ayez pas peur ! » lance Jean-Paul II. « N'ayons plus peur », lui répond Ali Magoudi. Psychanalyste, mais aussi, et à sa façon, philosophe, l'auteur des « Dits et des non-dits de Jean-Marie Le Pen » s'inquiète de « l'épidémie » de peurs qui s'abat sur l'occident, et dont le Pape avait bien perçu qu'elle constituait un jeu majeur pour le pouvoir spirituel. Car il nous dit en vérité et en substance « vous n'avez plus besoin d'avoir peur, il vous suffit de craindre Dieu » !
De quoi avons-nous peur ? De tout, de rien, des araignées, des souris, du gluten, des terroristes, du vide, du plein... et finalement, nous dit le thérapeute, c'est toujours de notre mort que nous avons peur. Comment conjurer la peur ? Par la magie de l'inconscient. Nous la déplaçons. Alors que se réunit la COP 21, nous avons peur que quelques fous mettent en péril la sécurité des grands de ce monde, réunis à Paris. Nos journaux en sont pleins : Obama viendra-t-il ? Combien de policiers mobilisés ? Quelle stratégie opposer à l'imprévisible ? Et pendant ce temps là, nous ne parlons pas de ce qui est en jeu, la fin du monde, notre mort à tous, avec celle de la planète. C'est la première ruse de l'inconscient. Elle est conjoncturelle.
La seconde est de tous les temps. Opposer à nos peurs existentielles et aux phobies qui les habillent, des conduites maniaques. Un régime alimentaire contraignant, sévère, d'une infinie complexité, ne guérira certainement personne du cancer. Mais il occupe l'esprit du patient. Et nous sommes tous des malades, à qui les religions proposent des rituels, des interdits, des règles à suivre, susceptibles d'envahir la vie quotidienne, chaque jour, si on pense aux ablutions et aux cinq prières, chaque semaine, avec la messe du dimanche, le poisson du vendredi, une fois par an, quand il faut qu'aucun grain de farine ne souille la maison... On peut multiplier les exemples, ce dont se garde Ali Magoudi. Il a une autre cible.
Pourquoi la peur aujourd'hui plus qu'hier ? Parce que l'affaiblissement des religions amène celui des rituels et des interdits, ce qui nous oblige à en inventer d'autres ? Sans doute, mais ce n'est pas l'objet de cet essai. L'auteur en examine plutôt une conséquence, la mise en cause du droit au blasphème.
On peut débattre à l'infini de la qualité des dessins publiés par Charlie, à condition de ne pas oublier que la caricature est, par définition, outrancière, de mauvais goût, déplaisante pour celui qui est caricaturé. Et là encore, le psychanalyste nous dit que nous nous trompons d'objet. Pour un religieux, le simple fait de ne pas croire à ce qui est Vérité est un blasphème. Le fait d'être athée est un sacrilège pour toutes les religions, le fait d'être chrétien en est un pour le musulman, et réciproquement, le fait d'être chiite pour un sunnite, d'être protestant pour un papiste... Le blasphème est inhérent à la religion. Le droit au blasphème est donc inhérent à la laïcité, à la co-existence de plusieurs religions, ou de plusieurs tendances au sein d'une même religion. Le droit au blasphème interdit à une interprétation de l'un des trois livres de prétendre s'imposer, par le glaive et la terreur, sur toutes les autres. Il protège les religions les unes des autres...
Cela, c'est, pour parler comme les psychanalystes, le contenu manifeste de l'ouvrage. Mais la forme en révèle un autre, à lire entre les lignes. Nous avons ici rétabli une sortie de logique narrative, de récit intellectuel. Ali n'en respecte pas les règles. Il passe d'un argument à un autre au fil de la plume, de ses associations d'idées. Il en lance une, qui le fait penser à une autre, qui le fait revenir en arrière pour mieux avancer ensuite. Et ce faisant, il dénoue notre système référentiel, notre soumission aux autorités intellectuelles, qui tirent leur légitimité et leur autorité du respect des formes académiques, des titres universitaires, de l'exposé préalable d'une problématique et d'une méthodologie, de la multiplication des notes de bas de page, de la présence d'un appareil critique... Chacun sait pourtant que les contre-vérités peuvent y trouver les apparences du vrai, les oripeaux de la respectabilité. Faisant le choix de n'être pas respectable, l'auteur nous met au défi d'être vraiment laïques, de ne pas nous fier aux systèmes établis, fussent-ils universitaires, scientifiques, et d'exercer librement notre esprit critique. C'est bien un défi qu'il nous propose de relever.
Pascal Bouchard
* Grand contributeur du deblog-notes, Pascal Bouchard est l'auteur entre autres d'un Anti-manuel d’orthographe. Eviter les fautes par la logique
N'ayons plus peur, enquête sur une épidémie contemporaine. La découverte, 140 p. 13€
Les dits et les non-dits de Jean-Marie Le Pen, chez le même éditeur, 1988
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