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7 mai 2014 3 07 /05 /mai /2014 15:38
Monet, Rue Saint-Denis, fête du 30 juin 1878

Monet, Rue Saint-Denis, fête du 30 juin 1878

Ce sont ceux qui en parlent le plus qui le connaissent le moins. Nos prétendus laïques qui évoquent avec une feinte nostalgie ‘l’école de Jules Ferry’ ignorent qu’il a préconisé le maintien des crucifix, si leur disparition provoque l’émoi de la commune et risque de vider l’école publique.  Nos intransigeants Républicains ne veulent pas savoir qu’il fut l’homme du compromis, de la transaction. A l’inverse, les procès anachroniques des anti-colonialistes et des féministes le vouent aux gémonies. Mona Ozouf, dans un essai nourri et de ses travaux sur l’école de la République et de sa biographie de Jules Ferry, redonne sa vraie place à celui qui en six ans a contribué à refaire la France.

Certes l’œuvre scolaire de Ferry reste, en quelque sorte, bénite. Mais on oublie que dans le maigre sextennat où il a pu exercer le pouvoir, Ferry a rétabli le mariage civil et nous a légué la liberté de la presse, de réunion, syndicale.

 

Surtout, et Mona Ozouf le met quasiment sur le même pied que les lois scolaires, Ferry a instauré l’élection des maires. A partir de 1882 (élection des maires pour toutes les communes) et surtout de la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation des pouvoirs municipaux, la mairie fut constituée sur le modèle réduit d'une République parlementaire (élection au suffrage universel des conseils municipaux, élection par le conseil du maire, publicité des séances). Illustration de cette volonté  constante, chez Ferry, de l’équilibre entre un Etat fort, garant de l’unité, et une riche vie communale, garante de la complexité.

Contrairement à ce que l’on peut croire, les grandes lois scolaires de 1881 et 1882 ne bouleversent pas la scolarisation et la gratuité. Comme l’explique Mona Ozouf : “En 1880, la grande majorité des enfants fréquentait déjà l’école, mais par intermittence. Rendre cette fréquentation régulière nécessitait de recourir à la contrainte de l’obligation. Celle-ci s’accompagnait d’une discipline stricte à l’école : respect des horaires, des programmes, du règlement. La pédagogie, unifiée d’un bout à l’autre du pays, était autoritaire, mais les normes, fixées sans états d’âme, étaient alors soutenues par l’ensemble de la société : le classement des élèves, par exemple, était une hiérarchie perçue comme légitime, celle de l’effort, du mérite et de la valeur. La sélection paraît à Ferry, comme aux parents d’élèves, une idée progressiste. Quant à la gratuité, elle aussi était assez largement acquise. En 1880, les deux tiers des élèves du primaire en bénéficiaient déjà. Mais sa généralisation donne à Ferry l’assurance de mêler sur les bancs de la classe ceux qui, lors du service militaire, seront, explique-t-il, « mêlés sous les drapeaux de la patrie”.

“Seul le troisième terme de la trinité scolaire, celui de laïcité, avait un caractère d’absolue nouveauté.

Procès anachroniques

 

Les champions de la revendication occitane, basque ou bas-bretonne “sont enclins de voir en Ferry un adversaire déterminé des cultures régionales.” Or, pour Mona Ozouf, il ne s’agit pas d’une politique délibérée : pas plus que ses adversaires conservateurs, il ne perçoit le problème. “La propension personnelle de Ferry de tout réduire au politique explique à la fois son insensibilité aux différences culturelles et son extrême sensibilité aux couleurs des lieux et des milieux où il doit inscrire son action.

 

Alors qu’un féminisme intransigeant le présente comme un ennemi des femmes, Ferry a, au contraire, tenu à ce que l’école obligatoire, gratuite et laïque le soit pour les garçons et les filles, avec le même programme sur les matières de base. Certes les filles étaient astreintes aux travaux d’aiguille et les garçons au jardinage, mais près d’un siècle plus tard, on trouvait ces mêmes distinctions dans les travaux manuels au collège (ateliers bois et fer d’un côté, couture et cuisine de l’autre) ! Ferry était “convaincu que si de son œuvre ne devait rester qu’une illustration, celle que la postérité retiendrait serait l’éducation des filles”.

 

Statue de Saint – Dié

Le monument de Saint-Dié-des-Vosges (1896), dû au sculpteur Antonin Mercié, représente, devant le piédestal supportant la statue en pied de l'homme d'État, une Marianne symbolisant la République, un enfant annamite rappelant l'œuvre coloniale de Ferry, ainsi qu'un écolier qui évoque les lois scolaires des années 1880. Deux autres exemplaires de cette statue ont été coulés. L'un destiné à la ville de Tunis, l'autre à la ville de Hanoï

Reste le procès suprême : Ferry-Tonkin, Ferry le colonisateur, Ferry le colonialiste.

François Hollande, lui rendant hommage, prend bien soin de préciser qu’il salue son œuvre scolaire. Pas son œuvre coloniale, bien sûr.

Mona Ozouf explique à F. Busnel (Grande librairie, 24/04/14) que cette politique coloniale est justifiée par la brèche étroite qui s'ouvre à la politique française. Après la défaite épouvantable de 1870, qui voit l'amputation territoriale et l'armée démantelée, le drame de la Commune dont personne ne sait qu'elle est la dernière des révolutions, dans un pays incroyablement fragile, avec Bismarck qui verrouille la politique étrangère, la seule brèche, c'est la politique coloniale, pour redonner de la grandeur à la France, lui rendre son rang de grande puissance.

Pour Ferry comme il faut faire parvenir des petits paysans analphabètes à la conscience civique, de la même façon, il faut faire parvenir les populations indigènes à la ‘civilisation’. Aujourd'hui, si on emploie le mot "race", on est raciste ; quelqu'un partisan de la colonisation, est colonialiste. Mona Ozouf nous apprend que J. Ferry est l'auteur d'un rapport sur l'Algérie très critique sur l'attitude des colons. Il est plein de la fierté d'établir des écoles en Algérie. Des écoles qu'il appelle "mes filles". Les colons le traitent de gâteux sentimental. “Colonisateur assurément. Mais colonialiste, non.” 

Homme le plus haï de France, en son temps. Et il le paya de trois attentats, le dernier lui laissant une balle dans le corps.  Et cette haine fut, paradoxalement, due à ce qu’il fut un modéré. “Modéré il était, et il avait beau répéter qu’en général ce sont les modérés qui se montrent les plus résolus, c’est précisément ce qu’on ne pouvait lui pardonner. La pente nationale est de voir dans la prudence une lâcheté, dans le compromis”,  une compromission, dans la transaction, une trahison, dans une concession, une capitulation !

Et Mona Ozouf d’évoquer le philosophe Renouvier qui écrivait “Au niveau local comme au niveau national, la fonction d’une assemblée délibérative est d’arriver à des transactions et à des concessions, après examen réfléchi de toutes les possibilités. C’est pourquoi Renouvier est opposé au mandat impératif, qui interdit tout compromis. Le régime démocratique tire sa force de cette structure de négociation entre les volontés”. (Marie-Claude Blais) Tout en ayant conscience que pour le français “tout ce qui n’est pas idéal, n’est que misère”.

 

Ferry a été victime de son propre camp, la gauche, là où règnent les hommes “élevés à l’école du tout ou rien”.

Gallimard "L'esprit de la cité" (cliquer pour agrandir)Gallimard "L'esprit de la cité" (cliquer pour agrandir)

Gallimard "L'esprit de la cité" (cliquer pour agrandir)

L'Histoire No 130, Février 1990 EXTRAITS

 

L'HISTOIRE : Avant même Jules Ferry que l'on crédite d'avoir imposé la scolarité à tous les enfants, beaucoup de petits Français vont à l'école...

MONA OZOUF : En 1870, la grande majorité des enfants français sont déjà scolarisés et, la plupart du temps, dans une école publique. L'oeuvre des prédécesseurs de Jules Ferry traduit, en fait, la prise en compte d'une demande sociale, véritable moteur de l'extension du réseau scolaire. Par delà la véhémence des querelles sur l'école, deux idées fondamentales ont émergé au cours du XIXe siècle: la nécessité d'une formation homogène des maîtres sur l'ensemble du territoire national (la création des Écoles normales de garçons remonte à Guizot) ; l'impératif d'un curriculum scolaire unifié. Et l'immense débat sur l'obligation scolaire qui agite les débuts de la IIIe République surgit au moment où la question est déjà presque réglée dans les faits, même si l'école n'est pas encore dans ce cadre aux emplois du temps et aux programmes stricts que définira Ferry.

 

L'HISTOIRE: Est-ce, alors, la question de la laïcité qui provoque tant de passions dans les années 1880 ? Car le combat des républicains pour l'installation et la consolidation du régime semble passer par la victoire de l'école laïque, au point de créer un lien quasi organique entre les deux notions...

MONA OZOUF : Oui, si Jules Ferry n'invente pas l'école pour tous, il crée l'école laïque de la République, ce lieu d'intégration et de formation du citoyen qu'avait déjà défini la Révolution. Par ailleurs, on ne peut comprendre l'intensité des passions soulevées par la question de l'école au moment du vote des lois Ferry sans tenir compte du contexte politique des années 1870-1880. Après la guerre de 1870 perdue contre la Prusse, et pendant l'Ordre Moral, l'offensive catholique s'appuie sur l'idée que la défaite de la France - châtiment de Dieu - est largement imputable aux mauvais instituteurs. Déjà sous la monarchie de Juillet, Montalembert - le champion de la liberté de l'enseignement - opposait l'armée défaitiste et démoralisatrice des instituteurs à l'armée des prêtres... L'Église de la fin du XlXe siècle jette tout le poids de son système d'enseignement dans son combat contre la République. Dans ce climat, la laïcité devient la pierre de touche des lois Ferry (1881-1886) qui imposent aussi la gratuité et l'obligation.

C'est surtout la laïcité des programmes qui a provoqué une vive controverse ; fallait-il ou non inscrire Dieu au programme ? Pouvait-on concevoir un enseignement moral séparé de l'enseignement religieux ? Jules Ferry, Jean Macé et les autres auteurs de la législation laïque n'étaient pas des matérialistes. Mais la logique du combat politique les a conduits à séparer l'éducation religieuse de l'éducation morale, alors que leurs convictions ne les poussaient pas dans ce sens.

 

L'HISTOIRE : L'école de Jules Ferry est aussi un formidable instrument au service de l'intégration nationale, Qu'ils soient Bretons ou Basques, les enfants français passent tous par la même école.

MONA OZOUF : Aux yeux de Jules Ferry, les appartenances régionales ne menacent pas le moins du monde l'unité nationale. La France ne lui semble pas non plus déchirée par un affrontement social, opinion pour le moins originale au sortir de la Commune. C'est la mémoire historique qui lui paraît créer deux France, de part et d'autre de la grande fracture de 1789. Pour réconcilier ces deux jeunesses, élevées l'une dans la révérence et l'autre dans la répulsion de 1789, Jules Ferry veut constituer des souvenirs communs aux petits Français. D'où son attachement à l'enseignement de l'histoire précédant la Révolution, pour y montrer, comme le fait Lavisse, tous les changements qui préparent souterrainement l'avènement de la liberté moderne.

 

L'HISTOIRE : Et qui sont donc les instituteurs de l'école créée par Jules Ferry , Quel sorte de corps forment ceux qu'on appellera bientôt les "hussards noirs de la République" ?

MONA OZOUF : Je ne crois pas que le portrait politique des instituteurs, tel qu'il est présenté par la droite ou par la gauche, soit tout à fait exact. Les instituteurs de la Belle Époque ne sont ni des agents de l'irréligion organisée ni de farouches défenseurs d'une doctrine républicaine pure et dure.

Mais on doit constater que ce corps a très vite lié son sort à celui de la République démocratique. En les plaçant sous l'autorité de la hiérarchie académique, la République a libéré les maîtres d'école de tutelles locales souvent insupportables, qui les exposaient à être déplacés au gré des affrontements de clochers. Mais il y a, à mon sens, une seconde raison, d'ordre philosophique : une parenté profonde entre le métier d'instituteur et la croyance centrale de la République, soit la foi dans le progrès. Le maître d'école le plus modeste est convaincu qu'il a le pouvoir de noter, d'observer et d'organiser la progression du savoir enfantin et qu'il s'agit d'autant de victoires remportées sur l'ignorance et la superstition. Tout comme la République française se fonde sur le progrès des sciences et de la Raison.

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