Pas un coin de souriante campagne où les peintres du dimanche posent leur chevalet…
Pas une seule enclave de naïve nature où poussent en liberté des plantes réputées sauvages…
Pas un seul de ces hectares de bonne terre où, paisibles, paissent des moutons et des bœufs blancs…
Pas un mètre carré d’arides garrigues où des troupeaux de chèvres grignotent des arbustes griffus…
Pas un sillon de ces labours, tranché par d’antiques charrues et où s’impriment les sabots de lourds chevaux…
Pas un pré de moine soigneusement cadastré où l’âne de la fable céda pour son malheur à la tentation…
Pas la moindre parcelle de blé émaillée de coquelicots et de marguerites que les petites filles cueillent pour la maîtresse…
Pas un grain de sable posé par le vent sur les dunes des déserts où vont des hommes bleus sur leur dromadaire…
Pas un champ de pierrailles et d’argiles recuites où des serpents et des lézards se faufilent sous d’atroces soleils…
Pas la plus petite étendue de savane où se pavanent des animaux de cirque, de la Prairie où couraient les bisons du cinématographe, de la steppe où des lynx au regard froid guettaient leurs malheureuses proies…
Pas une haie bordant de verts bocages, pas un petit chemin qui sente la noisette, pas un sentier s’enfonçant sous les frondaisons, pas une route traversant une plaine radieuse et prospère.
Pas un trou de verdure, pas une forêt, pas un taillis, pas un arbre, pas une plage, pas une île, pas une colline, pas un coteau, pas une montagne…
Oui, mes amis, nul endroit qui ne fût au cours des siècles ravagé, dévasté, défoncé, éventré, à jamais défiguré.
Pas une cité, pas un village, pas un hameau, pas une paillote, pas une étable qui n’aient été brutalement démolis, détruits, incendiés…
Pas un océan, un bras de mer, une rivière, un étang que n’ait teinté le sang d’hommes et de bêtes massacrés.
Pas le plus humble des refuges, l’asile le plus sacré, la plus modeste place d’un marché de village qui n’aient connu le bruit des bottes, le galop de montures caparaçonnées, le tintamarre des épées, le cliquetis des fusils, le crépitement des mitraillettes, le tumulte des canons, le fracas des bombes, le déferlement des panzers, le vrombissement des avions, le feu du ciel, du phosphore et du napalm…
Pas un endroit, encore une fois, pas un lieu si reculé soit-il, si loin, croyait-on du théâtres dit des opérations, qui ne se soit vu un beau jour, une cruelle nuit, traversé, piétiné, envahi, anéanti par des reitres, des sbires, des mercenaires, des janissaires, des uhlans, des légionnaires, des Mamelouks, des samouraïs, des miliciens, des régiments mis au pas, des hordes farouches, des traîneurs de sabre, des soldatesques déchaînées, des barbares hirsutes surgis de tous les horizons…
Pourquoi ? Ô ! Mes amis, dites-moi pourquoi ?