L’aide à mourir est un droit individuel qui ne s’impose qu’à soi-même
Lorsque l’on interroge les Français, en dehors de toute hystérisation du débat, ils sont favorables à l’aide active à mourir. Mais les opposants instruisent de faux procès sur une prétendue concurrence avec les soins palliatifs ou bien sur le risque d’une injonction faite aux personnes atteintes de maux irréversibles. Et le recours au blocage parlementaire de toutes les propositions de lois déposées. Quant au projet de loi, issu d’une convention citoyenne, il est soumis au « bon plaisir » du président.
Puisque on invoque l'opinion pour justifier la loi sur l’immigration, rappelons que dans un sondage de janvier 2018 (IFOP pour La Croix), une large majorité des sondés se prononçaient pour l’euthanasie et/ou le suicide assisté. Seuls 11 % étaient pour le statu quo, la loi Léonetti. Même les catholiques pratiquants n’étaient que 28 % à s’opposer à toute évolution.
Question :
Par ailleurs, pensez-vous qu’il faille aller plus loin que la législation actuelle sur la fin de vie, en légalisant le suicide assisté (c’est-à-dire la possibilité pour un tiers de délivrer un produit létal permettant à celui qui le souhaite de mettre fin à ses jours) et / ou l’euthanasie (c’est-à-dire la possibilité pour un patient souffrant d’une maladie incurable de demander à un médecin de mettre fin à ses jours) ?
La convention citoyenne sous l’égide du CESE aboutit à des conclusions proches.
Des opposants, comme Catherine Tricot dans 28 minutes le 22/12/2023, avancent qu’une telle loi viendrait stopper la mise en place des soins palliatifs. Or c’est une loi de 1991 qui introduit les soins palliatifs définis comme "des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage". Et une loi de 1999 est censée garantir le droit à l’accès à ces soins : des unités de soins palliatifs (USP) doivent être prévues dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire et sociale. Sauf qu’un rapport du sénat en 2021 constate qu’en 2019 – 20 ans après donc -26 départements sont dépourvus de ces USP ! Alors prétendre qu’une loi, non encore votée et encore moins promulguée, pourrait entraver l’accès aux soins palliatifs est, pour rester dans l’euphémisme, un peu surprenant.
Au Québec, les médecins au cœur de l’aide à mourir : « C’est mon devoir d’accompagner les gens de leur naissance à leur mort, j’ai l’impression de boucler la boucle »
« Contrairement aux craintes évoquées par les soignants spécialisés dans les soins de fin de vie avant l’entrée en vigueur de la loi, l’aide médicale à mourir n’a pas nui au développement des soins palliatifs. » nous apprennent nos cousins québécois qui, eux, ont adopté en 2014 une loi qui fait l’objet d’un vaste consensus social. « Il ne s’agit pas d’une législation spécifique sur l’euthanasie, comme partout ailleurs, mais d’une loi globale sur la fin de vie dans laquelle nous avons créé un droit explicite aux soins palliatifs et inscrit l’aide à mourir dans un continuum de soins. Elle est le soin ultime, celui qui peut être demandé après tous les autres. » (V. Hivon, ancienne ministre qui a porté cette loi).
Autre objection des opposants : cette loi va créer, une sorte d’injonction à la mort qui obligera tous les citoyens touchés par la souffrance, la solitude, l’exclusion à se questionner. Or, si on regarde quelques pays où l’euthanasie et/ou le suicide assisté sont autorisés, on atteint à peine 2 % des décès en Suisse, 2,3 % en Belgique, 4,8 % aux Pays-Bas. « Leur décision n’est jamais une lubie, toujours le fruit d’un long cheminement. Evidemment que personne n’a envie de mourir, mais ils ne veulent plus vivre comme cela, la plupart partent avec un immense sourire. » explique Georges L’Espérance, docteur québécois.
« L’aide à mourir ne contrevient pas au commandement “tu ne tueras point”, qui s’adresse à des gens sans défense. Elle n’est pas un meurtre mais un acte encadré, civilisé, voulu par le patient. Dans la parabole de Jésus, le bon samaritain secourt toujours son prochain. C’est lui qui a raison, pas le pape » Jean Desclos, abbé.
Des propositions de lois – émanant donc de parlementaires - ont été déposées à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
- Proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie déposée par Olivier Falorni (17 octobre 2017) ;
- Proposition de loi relative à l'euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne, déposée par Caroline Fiat et plusieurs de ses collègues (20 décembre 2017) ;
- Amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 déposé par des députés du groupe La France insoumise sur l'euthanasie ou l'assistance au suicide en cas affection grave ou incurable et de souffrance inapaisable et insupportable ;
- Proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité, déposée par le député Jean-Louis Touraine (27 septembre 2017) ;
- Proposition de loi visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France, déposée par la députée Marine Brenier et certains de ses collègues (19 janvier 2021) ;
- Proposition de loi visant à garantir et renforcer les droits des personnes en fin de vie, déposée par le député Jean-Louis Touraine et plusieurs de ses collègues (26 janvier 2021).
Auxquelles il faut ajouter la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, déposé au Sénat par la sénatrice Marie-Pierre La Gontrie en novembre 2020.
Le sort réservé à la proposition Falorni est particulièrement éclairant. Elle sera adoptée par la commission des affaires sociales presque quatre ans après et soutenue par des élus de toutes tendances politiques, mais l'examen de la proposition de loi va être bloquée par cinq députés, avec Philippe Gosselin (LR) à la manœuvre qui s’était déjà distingué lors du débat sur la loi dite Taubira, qui pratiquent l’obstruction en déposant plus de 2500 amendements.
On en est maintenant, après la convention citoyenne, à un projet de… projet de loi élaboré par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, en juin 2023 dont, si l’on en croit Le Monde, on a exclu “suicide assisté” car ça renvoyait l’image d’une personne dépressive et “euthanasie” qui ferait référence à l’eugénisme nazi(sic) !
Mais la vraie raison de cette incapacité à employer les mots justes serait que M. Macron « n’aime pas le mot euthanasie » et que « suicide assisté est [pour lui] un oxymore ». Car si depuis juin 2023, le projet de loi est bloqué, c’est parce qu’il est sous le coude du président. Président qui étend donc, avec sa mentalité petite bourgeoise, son domaine réservé aux questions sociétales.
Voir :
Bioéthique : quelle prise en charge de la fin de vie ?
Au Québec, les médecins au cœur de l’aide à mourir : « C’est mon devoir d’accompagner les gens de leur naissance à leur mort, j’ai l’impression de boucler la boucle »
La dernière lettre d'Anne Bert
L'ADMD* interpelle Emmanuel Macron sur le projet de loi sur la fin de vie
* L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité
Fin de vie : le documentaire engagé du Dr Marina Carrère d’Encausse pour dépénaliser l’euthanasie
"J'ai aidé un ami à mourir" et "je le demande à mon tour" : malade, le médecin Antoine Mesnier veut faire légaliser l'euthanasie
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