Maltraitances psychiques et physiques, abus sexuels, travail forcé, pratiques médicales douteuses : des milliers d’enfants furent incarcérés dans ces internats de la peur durant le franquisme et jusqu’aux premières années de la démocratie. Collèges religieux, orphelinats, préventorium se transformèrent en ces sortes de prisons pour jeunes. Et contrairement à des pays comme l’Irlande qui ont tardivement reconnu les mauvais traitements infligés dans des établissements religieux sous la responsabilité de l’état, en Espagne ces abus ont été occultés, passés sous silence, donc non jugés, et n’ont donné lieu à aucune réparation.
« Ils m’ont brûlé le cul avec des bougies et m’ont frotté les couilles avec des orties parce que j’avais pissé au lit » ; « ce que me faisait faire ce Monsieur s’appelle une fellation, mais à l’époque je n’en avais aucune idée » ; « je pensais me suicider : qu’un enfant de 12 ans pense à cela montre la dureté de ce qu’on subissait »… Ce sont quelques-uns des témoignages de ces milliers de garçons et de filles qui passèrent tout ou partie de leur enfance enfermés dans ces internats ou centres de bienfaisance (!) durant le franquisme et les premières années de la transition démocratique.
Beaucoup y furent victimes de passages à tabac, de viols, de travail forcé et tous de vexations, d’humiliations, dans ces centres que le régime utilisait pour sa propagande.
Des images des actualités cinématographiques, en blanc et noir, montraient de nombreux enfants, propres comme des sous neufs, vêtus de blanc qui jouent, s’amusent, écrivent sur leurs cahiers et mangent sur des petites tables rondes dans de grands réfectoires aux immenses baies vitrés, sous le regard maternel de quelques bonnes sœurs… Le commentaire contait la vie privilégiée de ces enfants dans un paysage de montagne aux vertes prairies et pinèdes immenses. D’autres filmaient des adolescents travaillant dans un atelier ou dans des vergers, faisant de la gym ou jouant au foot, posant en groupe autour d’un prêtre jeune et athlétique, tandis que le commentaire vantait cette saine vie de formation et de vie au grand air. Sans oublier, bien sûr, les saintes images de retraite de première communion…
Une entreprise de dépersonnalisation
Les témoignages recueillis montrent la cruauté et le sentiment de totale impunité dont faisait preuve l’encadrement religieux à l’encontre de mineurs qui ne pouvaient ni se défendre ni les dénoncer. Une jeune fille contestant l’arbitraire d’une religieuse était punie avec des électrochocs, comme une malade mentale. Un ado raconte que le prêtre tout en l’attouchant se branlait sous sa soutane : « Et le même personnage disait la messe le lendemain ; ma croyance en dieu en fut sérieusement ébranlée. »
Beaucoup d’adolescents furent quasi réduits en esclavage. « Ils m’ont vendu. On m’a ôté du collège pour m’envoyer dans le León m’occuper du bétail, seul, dans les montagnes, à 13 ans ! » « Nous faisions la lessive du matin au soir avec de la soude. J’avais les mains pleines de crevasses, avec du sang et du pus. Dans ce centre religieux nous étions des esclaves. »
D’autres témoignages relatent les dérouillées quotidiennes et les vexations devant les autres enfants. Certes, les châtiments corporels, du style coups de règles sur les doigts, sévissaient dans les écoles à cette époque. Mais là ça relevait quasiment de la torture : de véritables passages à tabac, des humiliations publiques de manière à terrifier tous les autres. Sur fond d’endoctrinement national-catholique, une entreprise de dépersonnalisation méticuleusement programmée pour que ces enfants, ces jeunes se sentent comme des riens, des moins que rien, des déchets irrécupérables !
Les pauvres gosses qui étaient livrés à ces institutions étaient d’abord des enfants de Républicains* – les plus jeunes étaient vendus à des familles bien pensantes en mal d’enfants – les orphelins, les enfants abandonnés par des mères célibataires qui ne pouvaient supporter les stigmates de la « fille-mère » - enfants du péché pour les religieux bornés -, enfants enlevés aussi à des mères abandonnées par l’époux ou dont l’époux était emprisonné. Un centre de protection de la femme - el Patronato de Protección de la Mujer – créé pour prévenir la ‘chute’ de la femme dans la prostitution n’hésitait pas à confier à ces internats de la peur, des adolescentes violées par des proches et enceintes ; double peine pour la victime (sans parler de l’enfant : certains subiront ce bagne de la naissance à 18 ou 19 ans !).
Contrairement à ce qui s’est passé en Irlande où aussi bien l’état que l’église ont fini par reconnaître et condamner les cas d’abus sur mineurs, en Espagne ni l’église ni l’état ne se sont préoccupés de ces abus ni de leurs victimes. Quelques-unes de ces victimes se sont liées à l’action engagée en Argentine contre les crimes du franquisme par la juge María Servini de Cubria. Aucune n’espère en la justice espagnole.
* Le régime franquiste, dans une grande opération de propagande, a réussi à convaincre la majorité des pays d’accueil des enfants des républicains, évacués à l’étranger pendant la guerre civile, de favoriser leur rapatriement. Mais ces enfants ne furent pas remis à leurs familles, ils furent placés directement dans ces internats de la peur !
Sources :
Los internados del miedo, Almudena Grandes, El País 12/07/15
Un documental desvela las torturas a menores en los internados del franquismo, La marea 27/04/15
Documentaire
PARACUELLOS
« Sur ce sujet je te renvoie aussi à la bande dessinée de Carlos GIMENEZ qui a subi ce type d'internat et en raconte la vie dans : "Paracuellos" » me signale PL.
La serie 'Paracuellos' es uno de los mejores y más terribles relatos de la posguerra española écrit El País. La série Paracuellos est un des meilleurs et plus terribles récits de la post-guerre civile espagnole.
Cette bande dessinée conte l’enfance de son auteur Carlos Giménez : orphelin de père, sa mère tuberculeuse ayant dû aller en sanatorium, il se retrouve placé dans un foyer de l'Auxilio Social.
La violence et le sadisme sont personnifiés par le père Rodriguez qui dirige le foyer et les instructeurs phalangistes Antonio et Mistrol. "El instructor de la Falange Mistrol pegó 72 bofetadas al niño Antonio Sánchez. Esto ocurrió en 1948 en el hogar General Mola de Madrid. Antonio Sánchez tenía siete años y se meó de la paliza".
Seuls les deux premiers tomes ont été traduits en Français, dont le 1er par Gotlib.
commenter cet article …