- Madame, Madame, il m'a mis la main au panier !
- Elle m'a traité de PD !
- Bon rentrez !
Ouh ! là ! où sommes-nous dans une affreux collège du 9-3 ? Mais non, à Gasny (non pas Gagny, Gasny dans l'Eure).
Et Stéphanie* est la fille de Leny E. (chanteur) et Stéphane le fils d'un journaliste scientifique du Figaro (qui dit le plus grand mal de la SEP qui fabrique les moteurs d'Ariane et dont les ingénieurs installés nombreux dans le secteur, quand ils n'envoient pas, minoritairement, leur progéniture dans un privé peu implanté, l'inscrivent au nouveau collège du canton).
Eh oui, dans ce collège au cœur du Vexin normand, tout neuf, architecture cubique, mais avec un espace d'accueil en gradins permettant des animations (et aussi un escalier central très dangereux donc interdit aux élèves).
Par une alchimie qui doit surtout à son « patron » René L., les ex-enseignants d'un collège de Vernon qui accueillait ces élèves (victimes consentantes de suppressions de postes), d'autres venus de la région parisienne ou rouennaise, vont réussir à s'amalgamer.
Non sans débats : nous sommes en 1982, Alain Savary - un des plus grands ministres de l'éducation nationale - appelle aux initiatives pariant sur l'effet « tache d'huile ». Christiane L. doit se souvenir encore d'échanges rugueux sur groupes et classes de niveaux. Et le principal-adjoint que je suis devenu, plus tard, se souvient aussi des « barrettes » non pas de shit mais de maths, français et anglais sur l'emploi du temps.
L'amalgame se concrétisait d'abord à la cantine : seuls quelques enseignants, au départ, logeaient sur la commune. Profs, surveillants, personnels de service et d'intendance, tous, grâce à ce qu'il faut appeler le charisme du chef d' établissement, se sentaient membres d'un même équipage, d'un même navire.
L'escalier central, je l'ai dit, surgissant de l'espace d'accueil, non cloisonné, fut d'entrée interdit aux élèves. Je me souviens, allant vers la salle des profs au premier avoir renvoyé vers le rez-de-chaussée un élève qui tentait subrepticement de l'emprunter ; à peine allais-je entrer salle des profs que j'entendais la voix de stentor de Vladimir ordonner à l'élève de remonter. Les profs que nous étions ne pensaient pas déroger en faisant une intervention de « pion ».
Vladimir était un prof (certifié ? agrégé ?) de lettres, mais il avait pris en charge un atelier bois pour les CPPN (Classe pré-professionnelle de niveau : une structure qui accueillait à l'époque des élèves du primaire de plus de 14 ans, dont la plupart, de doublement en redoublement, n'avaient pas atteint le CM2). Un de ses collègues, agrégé de lettres, Rémy, s'était porté volontaire pour assurer des cours de français pour ces mêmes CPPN.
Ce collège, dont le recrutement était certes varié, entre les fils d'ingénieur et les fils de prolos des industries de base de la vallée, bénéficiait d'abord de son premier chef d'établissement qui avait su attirer des enseignants de la ville voisine, mais aussi accueillir les apports extérieurs et s'approprier les impulsions ministérielles (et les faire passer). Ensuite d'un esprit d'équipe - qui n'empêchait pas, le cas échéant, des discussions épiques - d'enseignants, en gros, de la même génération. En histoire-géo, matière non concernée par les groupes de niveaux, innovation pédagogique à l'époque, on réunissait les élèves pour des projections de vidéos, exploitées bien sûr par des questionnaires et par les cours.
Faut-il évoquer ces grands moments où, guitare en main, le regretté Jean-Luc, dans cet espace d'entrée qui prenait tout son sens, nous interprétait Graeme Alwright** ? Espace qui vit aussi un groupe de chanteurs, semi-professionnel, nous donner une représentation pour les parents d'élèves et autres adultes, avec notamment un inoubliable « fils père ».
Conjonction un peu miraculeuse d'un après 1981 libérateur d'initiatives dans l'éducation. Sans doute, sous d'autres formes bien sûr, d'autres collèges ont connu cette période euphorique. D'autres aussi se sont clivés entre rénovateurs un peu trop dogmatiques et conservateurs crispés. Mais, à travers cet exemple (qui ne se veut pas exemplaire), se pose, ici comme ailleurs, à cette époque comme maintenant, le problème de la précarité de ces états de grâce. Vieillissement et usure des équipes qui fondent au gré des mutations, départ d'un chef d'établissement catalyseur d'énergies ou de militants pédagogiques fédérateurs... mille et une raisons qui font que l'ambiance se délite, les projets s'effritent et que seul reste, pour les pionniers, la nostalgie d'un âge d'or un peu fantasmé. S'y ajoute évidemment l'écœurement devant les errements de la politique du ministère, quand par exemple un Chevènement, inspiré par des lambertistes milnériens, met un coup d'arrêt à l'énorme espoir soulevé par Alain Savary. Et depuis, de Robien et maintenant Darcos feraient passer le Che pour un réformateur échevelé !
Au-delà des propositions pour le collège - sur lesquelles associations et syndicats progressistes (je ne parle pas du SNES, on s'en doute) ont produit une riche littérature, et d'ailleurs le rapport Legrand reste actuel - un problème plus terre à terre est à résoudre : comment faire pour que les avancées ne soient pas que des feux de paille ? comment stabiliser des équipes sans qu'elles se sclérosent ? comment les piloter ou, si elles s'autogèrent, apporter des instruments d'auto-régulation et faire admettre une indispensable évaluation ? comment surtout, passer du militantisme au professionnalisme, c'est-à-dire que le fait de se centrer sur l'élève en tant qu'il apprend soit le cœur du métier et non une option facultative ?
* La même Stéphanie, au tableau, face à une carte muette de l'hexagone de placer les Vosges à la place des Pyrénées. La classe s'esclaffe. Elle, se retournant, avec aplomb : « Bon, je me suis plantée et alors ? Ça les fera pas changer de place ! »
** Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille