Des chiffres inouïs sont lancés et repris par les médias, tels quels. Pas de « désintox » ou de Pinocchio pour contrôler la véracité de ces infos lancées par d’obscures officines dont on découvre à l’occasion l’existence.
Ainsi donc de Scoléo et de son observatoire. 1 milliard d'euros pour les uns, 1000 tonnes pour les autres : France-tv, BFM-TV, RTL, Le Figaro, Le parisien, La Dépêche, La Charente Libre, Est-éclair, ELLE, tous reprennent l’un ou l’autre chiffre* ; La République des Pyrénées est plus vague avec « des tas d’affaires oubliées ».
Scoléo se présente comme "une entreprise spécialisée dans des dispositifs d’aide aux parents", selon Le Parisien. Son site est peu disert : 9 personnes sont indiquées dont on ne sait s’ils sont les dirigeants de « l’entreprise » qui a aussi un « comité » mais dont le rôle ne semble être que consultatif. Scoléo commercialise des offres d’achats de fournitures scolaires et propose aux parents de marquer tous les vêtements avec des étiquettes personnalisées pour tout marquer, rapides à apposer et résistantes (lave-linge et sèche-linge). Vous pourrez choisir des étiquettes autocollantes (par 180), thermocollantes pour les vêtements (par 120) ou mixer les deux (75 de chaque). Un très bon rapport qualité-prix : 14,95EUR TTC. C’est donc l’opération "Ras-le-bol des affaires perdues par nos enfants".
De fait, pour avoir un paquet d’années dirigé un établissement, j’ai constaté un phénomène insolite, surtout dans l’enseignement public donc laïque : les objets trouvés ne correspondent que rarement aux objets perdus ; certes une partie n’est pas perdue pour tout le monde, mais globalement tout se passe comme si les objets perdus s’évaporaient et les objets trouvés tombaient du ciel !
A moyenne bidon, chiffres bidons
Ceci dit, d’où sortent nos 1000 tonnes et notre milliard ? D’une enquête auprès des associations de parents clientes (un peu plus de 500). Combien de membres de ces associations d’établissements et combien d’élèves concernés ? répartition de ces associations sur les différents degrés d’enseignement ? Rien !
Il en serait ressorti que d’après les parents dont les associations avaient recueilli le témoignage, les affaires perdues par leurs enfants étaient estimées entre 51 et 97 euros. On additionne donc les deux estimations extrêmes, soit 148 et on divise par deux, soit 74. Ce qui est arithmétiquement irréfutable. Mais de là à dire qu’en moyenne le petit écolier perd chaque année 74 € de vêtements, calculettes, bouquins, etc. et ensuite de multiplier cette moyenne-bidon par les 15 millions d’élèves et d’étudiants, il y a une marge que Scoléo franchit allègrement. Mais surtout que des journalistes puissent gober ces chiffres et s’en faire les propagandistes sans sourciller est quelque peu troublant.
*Liste non exhaustive
Pleins de riches dans les HLM ?
Plus troublante encore est la plainte déposée par une « Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) contre la gestion des organismes HLM auprès de la Direction générale de la concurrence à Bruxelles (le Parisien 2 juillet 2012). "380.000 logements HLM sont occupés par des ménages qui ont des revenus mensuels supérieurs à 4.000 euros par mois". Des personnes qui auraient les moyens de se loger dans le privé, ce qui crée une distorsion de concurrence. UNPI animée par le louable souci "que le logement social retrouve sa mission : loger les plus pauvres."
D’où sort donc cet UNPI ? Créée en 1893, l’Union Nationale de la Propriété Immobilière est une association loi 1901 qui regroupe 120 chambres syndicales réparties sur l’ensemble du territoire et rassemble près de 250 000 adhérents (bailleurs, propriétaires occupants d’immeubles bâtis ou propriétaires fonciers, copropriétaires, logements et commerces…), nous dit son site. Mais pourquoi se réveille-t-elle le 2 juillet 2012 ? La prétendue situation qu’elle dénonce n’existait pas, disons, avant le 6 mai ?
Et ces chiffres fantastiques – repris sans sourciller par les médias – sont-ils avérés ? L’Union sociale pour l’habitat (USH) s’inscrit en faux. Elle précise que ce chiffre comprend les locataires de logements intermédiaires et des immeubles à loyer normal qui sont aussi gérés par des sociétés d’HLM, mais sont soumis à des loyers plus élevés (là encore, je peux en témoigner, pour avoir bénéficié autrefois d’un ILN, dans un petit ensemble où les immeubles tous semblables ne se distinguaient que par les boîtes à lettres, en ferraille pour les HLM en plastique imitation bois pour les ILN).
Seuls 10 000 ménages bénéficieraient indûment de logements sociaux. (Le Canard Enchaîné 4 juillet 2012).
Pas besoin de sombrer dans la complotite pour subodorer que cette UNPI cherche à nuire au gouvernement de gauche, ne supportant pas la mise en place d’un encadrement de loyers abusifs. Et on ne s’étonnera pas que cette manœuvre soit orchestrée par Le Figaro, Le Parisien, RTL, mais aussi par France 2…
Une entreprise privée et une officine ultra-libérale de proprios se sont donc offert une pub gratuite grâce à la jobardise journalistique.