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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 13:36

 

des hommes image

Des hommes, en étaient-ils vraiment ces appelés du contingent envoyés 28 mois  en Algérie pour le « maintien de l’ordre » ? Oui, si l’on s’en tient à l’acception militaire du terme  (qui implique la soumission à l’autorité) mais pour le reste, ces jeunes gens, même pas  ou tout juste majeurs à l’époque (fin des années 50-début des années 60) et dont l’instruction, l’ouverture sur le monde et l’autonomie sociale étaient limitées, c’étaient vraiment des bleus…

Au retour en métropole, ils essaient de construire leur vie, pour beaucoup en renouant avec leurs origines mais en observant un mutisme quasi intégral sur le séjour au « club bled » : on donne le change en distribuant des cadeaux « typiques »,  en faisant admirer des photos « exotiques », en participant aux banquets des Anciens d’Afrique du Nord tandis que les vieux bougonnent :

« Quand même. C’était pas Verdun, votre affaire ! »

 

des hommes image2Le roman s’ouvre quarante ans plus tard sur un après-midi de fête familiale et amicale. Et c’est Bernard, l’exclu-intrus, le taiseux, dit Feu-de-Bois depuis son retour pitoyable à La Bassée – il a tenté, sans succès, de suivre un itinéraire conforme à ses aspirations en rompant les attaches familiales pendant une quinzaine d’années au retour de l’épreuve algérienne - qui déclenche le séisme  en insultant un participant d’origine maghrébine puis en allant agresser sa famille. Il provoque l’indignation fielleuse de la quasi-totalité de l’assistance et des autorités locales et le désarroi chez son cousin Rabut, bien réticent à affronter leur passé commun.

 

Le récit compte quatre séquences : Après-midi, Soir, Nuit, Matin. Rabut, le narrateur de soixante-deux ans, qui a effectué son temps à Oran, use du « je » (sauf dans Nuit). Dans les deux premiers épisodes, les phrases restent souvent en suspens comme pour mieux souligner les hésitations, les refoulements, les non-dits, familiaux et autres. Mais dans Nuit, Rabut s’efface derrière un narrateur anonyme – et omniscient - et le roman bascule brusquement dans la violence de la guerre d’Algérie.

 

laurent mauvignier 1Le procédé est extrêmement efficace, il confère une sorte de garantie d’authenticité aux faits rapportés d’autant que le style est désormais net, précis et il est justifié par le fait que Rabut n’en a pas été en totalité le témoin direct, étant affecté à Oran tandis que son cousin Bernard et l’ami de celui-ci, Février étaient dans un poste à distance. Il est aussi plus approprié pour rendre compte d’une expérience collective avec le quotidien déprimant d’une guerre qui ne porte pas encore son nom  face à un ennemi invisible, pour révéler les atrocités commises par les deux camps, pour exprimer la peur qui tenaille les jeunes recrues. C’est aussi une technique très convaincante pour traduire le sentiment de culpabilité des trois principaux protagonistes après la rixe (aux lourdes conséquences) dans laquelle ils ont été impliqués ou l’incertitude amère des harkis. Enfin, cela permet de révéler au lecteur les pensées de Bernard pendant sa permission à Oran et les confidences de Février, deux moments qui légitiment le titre de l’ouvrage.

 

En dépit de la force de cet épisode, le roman ne traite pas de la guerre d’Algérie mais bien plutôt de ses « dégâts collatéraux » sur des jeunes gens, qui devenus sexagénaires traînent d’une façon ou d’une autre les séquelles de cette période  et que la méconnaissance obstinée de leurs compatriotes a enfermés dans leur mutisme voire dans un déni de la réalité qu’ils ont vécue. Quand Rabut reprend la parole à la fin du troisième épisode puis dans Matin, c’est pour lui l’occasion de faire le point, de se colleter avec son passé et d’aboutir à cette sibylline conclusion :

« Je voudrais savoir si l’on peut commencer à vivre quand on sait que c’est trop tard »*

 

 

la baie d'alger image En écho à ce roman nécessaire, audacieux, ambitieux et décapant pour notre mémoire collective, je voudrais en signaler un autre (lu à sa parution, il y a trois ans), plus intimiste : La Baie d’Alger de Louis Gardel qui apporte le point de vue d’un adolescent, pied-noir, très attaché à Zoé, sa grand’mère un peu déjantée, sur la fin de l’Algérie française. C’est sensible et révélateur de l’ambiance qui régnait alors à Alger. Plus optimiste que le livre de Mauvignier aussi, puisque Zoé –rapatriée après 1962- meurt en tançant son arrière-petite-fille :

« Ne pleure pas, bécasse ! J’ai eu une belle vie et hop ! »*

 

 

 

*  Je n’ai pas résisté au plaisir de citer ces chutes qui illustrent jusqu’à la dernière ligne le talent de ces deux écrivains.

             .

 

 

Chalamov1960sPS    Je ne rendrai pas compte de l’ouvrage que je suis en train de lire, Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, rédigé à l’issue de 17 ans de goulag : il compte près de 1500 pages et je n’en suis qu’à 200 ! Mais c’est un livre absolument passionnant, bouleversant, incontournable et bien moins pontifiant que les oeuvres de Soljenitsyne. Et  avouons-le : le personnage de Chalamov est bien plus proche de mes convictions personnelles que le Prix Nobel de littérature qui défendait Franco et Pinochet. A l’issue de la lecture, Récits de la Kolyma ira vraisemblablement côtoyer Si c’est un homme  de Primo Levi sur  l’étagère de mes « Privés de sortie ».

 

 

Des hommes (Laurent Mauvignier Les Editions de Minuit 17,50 €)

 

La baie d’Alger de Louis Gardel au Seuil.

 

récits de la kolymaRécits de la Kolyma  Verdier Editions. (45 €)

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