La sélection des deux jeunes joueurs, Hugo Auradou et Oscar Jegou en équipe de France de rugby pour le premier match du Tournoi des six nations a provoqué des réactions plus ou moins outrées. Ils bénéficient pourtant d’une présomption d’innocence d’autant plus nette qu’une juge a prononcé le non-lieu. Mais, la plaignante ayant fait appel, pour nos journalistes-procureurs, ils restent présumés coupables. Avec une prédilection à mélanger les genres : « justice et morale » comme titre L’équipe.
Sur fessebouc, une page de Debunkers des rumeurs/hoax d'extrême droite, sous le titre « où sont passées les victimes ?» démarre sec « La même semaine, les poursuites contre les deux rugbymen français en Argentine et contre Kylian Mbappé ont été abandonnées. »
Outre que ces deux ‘affaires’ se passent hors de France et donc n’ont aucune valeur d’exemplarité sur le traitement des victimes par la justice française, citer Mbappé, c’est prêter foi à deux tabloïds suédois qui ont cité le nom du joueur du Real. Or dans l’affaire suédoise c’est « circulez, il n’y a rien à voir ». Conformément à la loi suédoise, l’identité d’un mis en cause n’est pas révélée au stade de l’enquête préliminaire, pas plus que celle de la plaignante. « J’estime que les preuves ne sont pas suffisantes pour poursuivre l’enquête, qui est donc close », a expliqué dans un communiqué la procureure en charge de l’affaire, Marina Chirakova. La plaignante a la possibilité de faire appel – ce qui est assez « fréquent », précise Marina Chirakova – de cette décision de classement pour demander un réexamen du dossier.
Pour l’affaire argentine, rappel rapide des faits : après une victoire de l’équipe de France contre celle d’Argentine à Mendoza, les joueurs avaient quartier libre. H. Auradou est revenu à son hôtel, au petit matin, accompagné d’une dame rencontrée dans une boîte de nuit ; O. Jegou, qui partageait sa chambre, est rentré un peu plus tard. De leur propre aveu, ils ont eu, tous les deux, des relations sexuelles avec la dame. Celle-ci a porté plainte pour viol et violences plusieurs heures après avoir quitté l'hôtel.
Détention d’abord, puis résidence surveillée, puis autorisation de rentrer en France, pour aboutir le 10 décembre à un non lieu prononcé non par le parquet, comme l’écrit mensongèrement L’équipe du 30 janvier, mais par la juge Eleonora Arenas.
Et Debunker commet ces phrases « En Argentine, le parquet estime que la relation était consentie, la plaignante fait appel de la décision. En Suède, c'est l'absence de preuves qui l'emporte. Il n'y aura jamais de procès, donc pas de justice, pas de vérité pour l'histoire. » Passons sur la conclusion pompeuse de « la vérité pour l’histoire », mais l’auteur ou autrice montre une totale ignorance et des affaires et du fonctionnement de la justice. En Suède, la procureure a estimé inutile d’encombrer la justice par ce qui lui a semblé une non affaire. Si c’est fondé, c’est de bonne méthode, mais on ne peut, ni Debunker ni quelque autre en dire plus sur une affaire sans plaignante ni prévenu(s), ni faits même, connus !
En Argentine, la justice a suivi son cours. Le procureur a fait son travail, fait appel à des expertises, pour aboutir à une demande de non-lieu. Mais ce n’est pas le parquet, mais bien un tribunal et sa juge qui l’ont décidé. Tribunal devant lequel parquet et avocats de la plaignante et des prévenus ont présenté leurs conclusions ou arguments. Et, tout-à-fait classiquement, la plaignante peut faire appel, ce qui a été le cas.
Peut-on défendre une juste cause – la parole des victimes trop souvent tue quand elle n’est pas bafouée – avec de mauvais exemples ? Pour avoir eu l’audace de le nier, j’ai eu droit à une insulte débile ! Pourtant, quand dans plus de 9 cas de viols et violences sexuelles les victimes ne portent pas plainte, quand près d’un procès sur deux se termine par une relaxe, car opposant parole contre parole, quand, même, la victime se transforme presque en accusée, les tristes exemples Français et non Argentins ou Suédois ne manquaient pas.
Innocenter est bien moins aisé, naturel et jouissif qu’accuser, déclarer coupable ou punir.
Qui, de nos jours, ose encore affirmer que derrière ces classements sans suite tant décriés se cachent, peut-être et malgré tout, des individus injustement accusés ? Qui ose encore officiellement se réjouir d’un acquittement ? Qui ose considérer que « justice est faite » même quand celle-ci déclare un prévenu ou un accusé non coupable ? Plus personne. Plus personne, parce que dans ce que l’on désigne parfois comme « l’inconscient collectif », ne pas être coupable n’implique pas que l’on soit innocent, et qu’innocenter, au bout du bout, revient à offenser la souffrance d’une victime, voire à la nier.
Eloge de la présomption d’innocence
Marie Dosé et Julia Minkowski
Editions de l'Observatoire
En principe – et cela dès le départ – les deux jeunes prévenus auraient dû bénéficier de ce qu’on appelle la « présomption d’innocence », a fortiori après ce non lieu prononcé par un tribunal. « Si leurs performances sportives le permettent, ils seront potentiellement sélectionnables pour rejouer en équipe de France », avait d’ailleurs conclu, dès le jugement connu, la Fédération française de rugby (FFR) dans un communiqué.
Mais cette « présomption » se transforme en soupçon de culpabilité sous la plume de Nicolas Lepeltier et Clément Martel (Le Monde) : « un non-lieu signifie l’absence de charges suffisantes pour des poursuites, pas que les mis en cause sont innocents ».
Deschamps-Benzema
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Incidemment, dans l’article moraliste de L’équipe du 30/01/2025, un interlocuteur cite Deschamps "quand, pendant longtemps, il a écarté Karim Benzema".
Pour être intervenu maladroitement dans une affaire de cornecul – un chantage pour une sextape impliquant son partenaire Valbuena – il avait été inculpé, comme prévenu secondaire. La guignolade démarre en octobre 2015. Benzema est écarté de la sélection bien qu’il soit de plus en plus brillant au Real. Il est enfin rappelé en mai 2021. Il sera enfin reconnu coupable du délit de complicité de tentative de chantage, le 24 novembre 2021 ! Ce qui n’empêchera pas des sélections ultérieures ! Donc, l’affaire de la sextape n’avait pas grand-chose à voir avec sa mise à l’écart.
On notera que les jeunes rugbymen ont eu la chance de tomber sur une justice argentine un peu plus rapide !
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Et l’on s’engouffre dans un méli-mélo entre justice et morale : « peut-on sélectionner des joueurs qui ont, à tout le moins, fait preuve, après le match à Mendoza, d’un comportement peu compatible avec le fait de représenter sportivement son pays ? » s’interrogent Lepeltier et Martel. M. Barberousse, dans L’équipe va plus loin : « La charte d'engagement, quelqu'un l'a lue à la FFR ? » Or le rigoureux édito-moraliste écrit, lui-même « Rappelons que la FFR a décidé de la rédaction d’un code de bonne conduite des internationaux à la suite des évènements de la nuit de juillet à Mendoza. » Rappelons donc à M. Barberousse la vieille règle de non-rétroactivité des lois qui s’applique a posteriori sur des textes de portée juridique moindre. Rappelons lui également qu’en tant que journaliste sportif il ne lui était pas interdit de lire le communiqué de la FFR disant que les deux joueurs étaient sélectionnables. Rappelons enfin que s’il n’y avait eu plainte, le comportement des jeunes gens serait resté dans le domaine privé (un autre joueur est rentré à l’hôtel avec une dame et on n’aurait jamais entendu parler de lui s’il n’avait partagé le taxi avec H. Auradou et sa compagne du moment, la future plaignante).
« Ces gens n’ont pas donné le bon exemple vis-à-vis du maillot qu’ils portent » font dire des journalistes de L'équipe à un « professeur d’éthique et de philosophie politique ». Mais les procureurs-juges de ce tribunal moral prononcent-ils la perpétuité de l’opprobre – et de la non sélection – à l’encontre de deux jeunes ‘espoirs’ dans leur sport, qui, en l’état des décisions de la justice, la vraie qui a considéré que « l’acte enquêté ne constitue pas un délit », sont innocents.
PS Outre le courriel de PB (mis en commentaire), deux réactions de deux Jean-Luc :
-le premier me demande de le rayer de la liste de diffusion (et comme ma production est de plus en plus réduite, ce ne doit pas être parce qu'il est inondé par mes envois)
-le second m'envoie une réponse ... vide, ce qui doit avoir une signification, mais je n'ai pas le code...
C'est, bien sûr, le droit absolu du 1er de vouloir se priver de ma prose. Mais, cependant, une explication argumentée n'eût pas été inutile.
Quant au second, il reste énigmatique.
Pour compléter :
Justice : "Il y a une présomption de culpabilité aujourd'hui", estime l'avocate pénaliste Julia Minkowski
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Quelques pages du livre Eloge de la présomption d'innocence
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