Ces observations partent du postulat que depuis 1958 les éléments permettant un fonctionnement satisfaisant d’une démocratie active se sont peu à peu affaiblis jusqu’à créer une sorte dévitalisation de celle-ci.
PRINCIPES GENERAUX SUR LE FONCTIONNEMENT D’UNE BONNE DEMOCRATIE
Des partis politiques actifs dont la réflexion nourrie par des adhérents relativement nombreux conduit à l’élaboration de programmes appréhendables par les électeurs.
Des partis proposant des coalitions s’entendant sur un minimum consensuel connu des électeurs
Un corps électoral qui, dûment informé, s’implique massivement dans ces choix par ses votes.
Un parlement composé de députés à la fois représentatifs du nombre de voix reçus par ses partis, de la diversité territoriale du pays et de la composition en âge et en origine sociale de la population.
Un parlement dont les prérogatives soient clairement établies en regard des autres pouvoirs (exécutif et judiciaire).
Un pouvoir exécutif (le gouvernement) dont les rapports soient clairement définis avec, d’une part le Président de la République et, d’autre part, avec le Parlement.
SUR CES SIX POINTS LES OBSERVATION SUIVANTES
SUR LES PARTIS POLITIQUES
Progressivement les partis politiques français se sont vidés de leur substance. Les raisons tiennent à des éléments qui seront traités plus loin (Présidentialisme, prééminence de l’Exécutif, non respect dans ses fondements d’un régime qui demeure en principe parlementaire). Evidemment on peut voir ces évolutions comme des processus historiques qui se sont développés sur le long terme. Je pointerai d’abord l’obsession et une certaine perversion du fait majoritaire. La marque du gaullisme, sa méfiance congénitale à l’encontre du fameux régime des partis ont conduit à instaurer dans la pratique politique la notion de Majorité présidentielle (Celle-ci explicitement revendiquée dans le sigle UMP par exemple). Le fondement constitutionnel de cette notion est plus que discutable et notamment contradictoire avec le fait que la constitution demeure de type parlementaire. (Je n’entends pas ici ouvrir le débat constitutionnel, mais montrer que la façon biaisée dont on envisage ainsi le rôle des partis n’est pas pour rien dans leur progressif affaiblissement).
DE LA CONSTITUTION DE COALITIONS
La constitution des coalitions s’est trouvée largement obérée par les dysfonctionnements de l’opposition traditionnels entre la droite et la gauche. D’abord, par la manière dont s’est opéré le rassemblement de la gauche. D’une part le parti socialiste qui se voulait l’axe fédérateur de cette union en est devenu l’élément totalement dominant traitant son partenaire principal, le parti communiste au départ, comme un pourvoyeur de voix (nécessaire eu égard au mode de scrutin) dont il est chichement récompensé à partir de 1981 par de maigres responsabilités ministérielles. Je n’entends pas ici rendre principalement responsable l’un ou l’autre de ces deux partis. A la tentation du P.S. de marginaliser ses partenaires, aidé en cela par le mode de scrutin instaurant la fameuse notion de vote utile dont on n’a pas fini de mesurer les dégâts, donc à cette tentation du P.S. on peut apporter l’excuse des lignes pour le moins contradictoires adoptées par le parti communiste, avec ses replis sectaires et son obstination à lier la promotion d’une politique de classe à son appui, même modestement critique, aux pays du bloc de l’Est. Quoi qu’il en soit, les évolutions s’accélérant, on a vu devenir très discutable la notion de coalition permettant encore le succès de Lionel Jospin, mais qui est surtout devenue totalement illusoire avec l’élection de François Hollande dont la majorité présidentielle ne tiendra qu’à la prééminence du PS (si l’on exclut le modeste concours de Radicaux de gauche ou d’écologistes qui ne tarderont pas à s’éloigner.) On voit donc à gauche la distorsion se créer entre la réalité de la force électorale du Président Hollande (28,60% au premier tour) et l’ampleur de sa majorité parlementaire (environ 300 députés). Ceci rend insignifiant le fait de savoir si la gauche du PS (les électeurs de Jean-Luc Mélenchon) avec une autre stratégie auraient pu contrebalancer la dominante, dite alors social démocrate, de François Hollande. Le problème est en effet secondaire et c’est la logique de la fameuse Majorité présidentielle qui est la cause principale de cette situation (J’entends par là, la fameuse obligation de ratifier le choix présidentiel par l’envoi d’une majorité de députés de son camp.)
Ce qui est impressionnant c’est de voir combien les choix politiques doivent s’opérer dans un système contraint qui met en cause jusqu’à la liberté fondamentale de tout choix électoral. On voit d’ailleurs comment ces contraintes faussement partidaires ont fini par agir de façon délétère au sein même de la majorité parlementaire de François Hollande.
Les causes du dysfonctionnement de nécessaires coalitions ont été d’abord moins évidentes à droite. En effet les forces qui la composent comme l’UDF d’une part et les variantes du parti gaulliste (UNR, UDR, RPR) apparaissent comme bien formelles et les rivalités personnelles y jouent souvent un grand rôle. Tout change avec l’apparition du Front National de plus en plus important (même avec certaines variations comme son affaiblissement à la Présidentielle de 2007) On assiste ainsi à un certain parallélisme entre la gauche et la droite et sensiblement le même écart entre la Majorité présidentielle et la Majorité parlementaire. Le dernier avatar électoral caractérisé par l’apparition d’un mouvement qui se veut « et de droite et de gauche » ne va guère modifier la distorsion subie par la notion de coalition (écart entre les 24,O1% de Macron et les 300 députés de la République en Marche.) Il est à ce point de vue curieux de constater que la notion de « Et de droite et de gauche » semblait impliquer cette notion de coalition. Il n’en fut rien car le Président, dans l’esprit du présidentialisme dominant préféra à une majorité parlementaire vraiment « Et de Droite et de gauche » assurer une large majorité au parti créé pour sa campagne électorale. On aurait pu imaginer qu’il ait laissé courir sous leurs propres couleurs des éléments issus du Centre gauche (anciens PS et anciens écolos et macroniens de ce bord) ceux plus proches du Centre droit (anciens UMP, centristes de tous poils) enfin, comme seuls ils l’ont fait, des éléments du Modem. Il eût été ainsi nécessaire que des choix s’opèrent entre les différents partenaires, mais le Président a préféré tout faire dépendre de ses choix personnels en dépit des aspirations variées de son électorat. Et l’on voit sans doute ici une des origines des difficultés actuelles.
DE LA PARTICIPATION DES ELECTEURS
En principe, les éléments dont nous avons parlé ne sont pas censés expliquer de façon suffisante la diminution de l’esprit civique et l’augmentation des abstentionnistes. Certes il y a l’affaiblissement des partis politiques évoqués dans le point 1. Ceux-ci cependant continuent à nourrir des traditions, des positionnements voire des réflexes politiques, mais cette forme de rémanence ne va pas jouer sur une catégorie d’électeurs vivant sur des territoires qui n’ont pas connu leur action (notamment par des institutions de proximité, petites mairies, cantons ruraux, parties des centres villes). On aura reconnu l’impressionnante abstention dans ces fameux quartiers qui défraient souvent la chronique.
Il convient d’ajouter dans ces lieux la disparition de forces culturatrices (le PCF et dans une moindre mesure la S.F.IO.) qui instauraient ce qu’on a pu appeler la culture des camarades avec ses valeurs, ses comportements, ses habitus dirait Bourdieu. On voit donc que ces populations, de surcroît souvent issues de l’immigration, ne s’inscrivent dans aucune tradition et ne trouvent aucun repère dans un paysage politique qui leur est parfaitement étranger. De plus, les motivations économiques, qui sous-tendent largement des choix électoraux, sont affectées par les effets d’une économie parallèle dont l’Etat n’a su vraiment ni réglementer ni organiser ni, a fortiori, abolir la pratique. Et à cet égard l’Institution n’est apparente pour ce jeune de banlieue que par son appareil répressif dont la présence ou les méthodes ne sont pas, de façon visible, liées à telles ou telles forces présentes au gouvernement. Ces phénomènes vont créer dans l’expression du corps électoral et sa participation aux scrutins de nouvelles distorsions. Entre les lieux d’habitation et les catégories d’âge liées aux structures démographiques des territoires (à titre d’indication 74% des 18-24 ne voteront pas au second tour des législatif de 2017 et on voit ce que ce désengagement peut signifier comme symptôme d’un malaise démocratique).
DES INEGALITES LIEES AU MODE DE SCRUTIN
Il est banal de constater les inégalités de traitement des diverses forces se confrontant lors des élections législatives du fait de notre mode de scrutin. Cette inégalité n’a cessé de s’accroitre au fil des diverses consultations. Elle atteint aujourd’hui une telle ampleur que l’on pourrait, en caricaturant à peine, évoquer les bourgs pourris dans l’Angleterre de la fin du XVIIIème. On me dira que finalement l’électeur choisit. Mais on reconnaîtra que c’est un curieux choix qui consiste à se résigner à être mal représenté, voire pas du tout représenté, comme ce fut le cas pour les électeurs du Front National lors des élections législatives de 2012. On m’objectera aussi que « la formule au premier tour, on choisit au deuxième on élimine » laisse entendre qu’après avoir émis une préférence parmi les candidats de son propre camp, l’électeur se rallie à celui que le suffrage a désigné pour être celui qui affrontera le candidat du camp adverse. Ce système a très vite montré ses limites. Celle du fameux vote utile dont je parlais. Les traditions électorales de la circonscriptions, voire les sondages préfigurant le second tour conduisent l’électeur à moins affirmer ses convictions qu’à se conduire en stratège. A choisir celui qui aurait les meilleures chances de gagner. Et, au fil des ans, on a vu que cela conduisit à la prééminence de plus en plus en plus affirmée du Centre gauche d’une part, au détriment des partis se trouvant à la gauche du P.S dont le P.C.F. ou plus tard les écologistes. Tout cela s’est accentué avec la décision prise par Jospin et Chirac d’inverser le calendrier électoral prévu et de commencer par l’élection présidentielle. Ainsi vont se cumuler les effets du scrutin uninominal à deux tours et celui de devoir apporter une majorité au Président. Cependant la fameuse bi-polarisation entre la droite et la gauche limitait en partie ces effets. La gauche et la droite dites de gouvernement conservant des places fortes et de ce fait une représentation honorable, même en cas de défaite aux Présidentielles. Ces deux forces s’accommodaient d’autant plus du système qu’il leur assurait un quasi monopole dans leur camp en éliminant ce qu’il fut convenu d’appeler les extrêmes. Mais depuis le paysage politique s’est singulièrement modifié. La République en marche a largement cannibalisé le Centre gauche et dans une moindre mesure le Centre droit. De ce fait, le sentiment que les législatives ne sont qu’une façon d’avaliser les Présidentielles et que, pour parler simplement, les jeux sont faits conduit à une abstention considérable et à des députés élus avec une part très faible des inscrits. On peut constater les problèmes créés par ces faits dans la crise actuelle des gilets jaunes. Chaque fois qu’un député de la majorité excipe de son statut d’élu pour donner du poids à ses décisions ou ses positions, il est entouré d’un certain scepticisme, comme si le verdict des urnes était peu convaincant.
L’autre aspect de notre mode de scrutin est qu’il aggrave le caractère très peu représentatif du corps social. On a souvent dit qu’il favorise les notables. Le scrutin de liste permettait de corriger les choses en plaçant à des situations éligibles des catégories variées. Ce que l’on voit, par exemple, dans les élections municipales. Le scrutin actuel pour les législatives aboutit au contraire à une Assemblée contenant très peu d’employés et aucun ouvrier. A cet égard, il fut souvent reproché au scrutin de liste (plus ou moins proportionnel) de laisser trop de place aux manipulations des appareils des partis. Mais aujourd’hui, on voit que le rôle joué par ces partis, devenus de vagues écuries présidentielles, est à revoir complétement. (cf plus haut) Il est également assez curieux de constater que La République en Marche qui n’avait guère en son sein (sauf les transfuges d’autres partis) de personnes ayant des positions acquises n’en a pas moins choisi dans son immense majorité des membres issus des classes sociales supérieures. Le poids ici du scrutin uninominal a sans doute joué, mais il faut ajouter à ceci une certaine conception techniciste de l’élu, choisi pour des compétences dans des domaines particuliers et non pour ses valeurs ou ses idéaux, comme citoyen. Enfin la cinquième République a manifesté dès ses débuts une fixation sur la nécessité absolue du fait majoritaire. Cette obsession s’est maintenue avec l’alternance, à l’exception des élections de 1986 où la chambre fut élue à la proportionnelle.
DE L’AFFAIBLISSEMENT DU RÔLE DU PARLEMENT
La présidentialisation constante de notre système politique a conduit (hors les périodes dites de cohabitation) à un abaissement tout aussi constant des prérogatives du Parlement. Cependant, cette évolution a précédé l’avènement de la cinquième République. En effet, la tendance à substituer aux lois d’origine parlementaire des décrets lois d’origine gouvernementale n’a cessé de s’amplifier. Contrairement à une idée largement admise, l’instabilité ministérielle de la Quatrième République était moins le fait de la toute puissance du Parlement que de sa faiblesse (Ici, il faudrait revenir sur les manœuvres électorales de la coalition dite de troisième force comme par exemple la fameuse loi des apparentements). Aujourd’hui, c’est une banalité de dire que le parlement est devenue une chambre d’enregistrement où le groupe majoritaire est censé, selon la formule célèbre, se soumettre ou se démettre. On a pu voir comment cette absence de circulation démocratique dans le groupe majoritaire a conduit sous Hollande à la fronde de certains élus sans que des mécanismes de conciliation soient possibles. (Non par entêtement des uns et des autres mais parce que les choix politiques ne relevaient plus, autour du Président, que du gouvernement, le tout créant le blocage que l’on a vu.) Aujourd’hui cette prééminence, y compris pour la production des lois est plus évidente que jamais, les députés du Groupe majoritaire n’étant soudés par aucun consensus politique ou idéologique, mais par la fidélité à un Président dont les décisions programmatiques demeurent, même si l’expression est un peu sévère, le fait du Prince. (De façon anecdotique, on a pu voir comment la commission parlementaire sur l’affaire Benalla a pu être soigneusement verrouillée).
DES RAPPORTS ENTRE L’EXECUTIF ET LE LEGISLATIF
Les rapports entre l’Exécutif et le Législatif, comme ceux entre les diverses instances de l’Exécutif manquent totalement de clarté. Un certain équilibre aurait voulu que, d’une part le gouvernement soit responsable devant le Parlement par le mécanisme de la motion de censure, que, d’autre part, le Président dispose de l’arme de la dissolution. Or, on a vu que la possibilité d’agir par le Parlement, soit par entente entre les groupes, soit par une décision du groupe majoritaire, est quasiment nulle. (il faudrait ici revenir sur l’utilisation de l’article V comme arme de dissuasion massive*) On voit également d’autres incohérences. Si le Premier Ministre est responsable devant les chambres, pourquoi cette étrange pratique de la lettre de démission remise au Président dès qu’il est désigné et dont le Président peut user comme il le souhaite ? (Voir Mitterrand/Rocard) Ces démissions ne sont pas liées à un désaccord politique entre le Premier Ministre et la Majorité qui le soutient et dont il est soi-disant le Chef. (Aujourd’hui de façon étrange le Premier Ministre n’appartient même pas à cette majorité.) Il peut apparaître normal que des désaccords politiques existent entre le Président et son Premier Ministre. Il apparaîtrait alors normal que ceux-ci soient exposés sinon à l’ensemble de l’Assemblée, au moins au groupe majoritaire. Cette clarté des débats fut pourtant absente de tous les précédents connus. Les séparations relevaient davantage d’incompatibilité d’humeur, comme on voit dans les couples, mais où le Premier Ministre n’avait aucune carte en main.
PROP0SITIONS
- A REHABILITATION AU MOINS MORALE DES PARTIS POLTIQUES, PERMISE AUSSI PAR LES MESURES QUI SUIVENT
- B. INSTITUTION DU VOTE OBLIGATOIRE ET DE CE FAIT RECONNAISSANCE DU VOTE BLANC (notons que la seule reconnaissance du vote blanc sans l’institution du vote obligatoire est d’un intérêt quasi nul)
- C. RETOUR AU SCRUTIN PROPORTIONNEL (Même mixte comme dans le système allemand permettant après un vote par circonscription une correction entre les partis) Dans ce système, il importe que des partis déclarent appartenir à une coalition clairement présentée aux électeurs. D. Dans ce cadre UNE PRIME A LA COALITION ARRIVEE EN TETE PERMETTRAIT DE DEGAGER UNE MAJORITE.
- D. INSCRIPTION DANS LA CONSTITUTION D’UN CALENDRIER IMPLIQUANT QUE TOUTE ELECTION PRESIDENTIELLE DOIVE SUIVRE ET NON PRECEDER L’ELECTION LEGISLATIVE.
- E. INSTAURATION ENTRE LE PREMIER MINISTRE (toujours nommé par le Président) ET SA MAJORITE PARLEMENTAIRE D’UN CONTRAT DE LEGISLATURE. Celui-ci ne pouvant être rompu que de façon clairement explicitée aux électeurs. Crise pouvant être dénouée par les instruments traditionnels. Dissolution de l’Assemblée, Motion de Censure, mais aussi par une libre discussion dans une instance à créer entre les trois protagonistes (Président, Groupe majoritaire, Premier Ministre)
- F. PRATIQUES PLUS NORMALES DE L’ASSEMBLEE AVEC DES LOIS MAJORITAIREMENT PROPOSEES PAR L’ASSEMBLEE (Y compris celles émanant de tel ou tel groupe de l’opposition).
* Ne s’agit-il pas plutôt du fameux article 49 ? (Note du déblogueur)
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