En ce 80e anniversaire des accords de Matignon (7 juin 1936) quoi de mieux que les photos de Pierre Jamet pour illustrer cette embellie. Surtout celles de Dina Vierny modèle et égérie de Maillol.
1936 : premiers congés payés.
Sacs aux dos, gros brodequins aux pieds, toute une jeunesse joyeuse va se retrouver dans les AJ, ces Auberges de Jeunesse, nées plus tôt, en 1930 avec Marc Sangnier , catholique progressiste, s’inspirant d’une initiative allemande et créant une Ligue française d’auberges de jeunesse (LFAJ). Puis, en 1933 naît un Centre laïque des Auberges de jeunesses (CLAJ). Léo Lagrange en deviendra président en 1938.
Le monde des « Ajistes » était celui d’une liberté sans partage, faite de vie collective et de fraternité commune, d’égalité surtout que traduisait une mixité alors audacieuse, hors des sentiers battus, en quête d’échappées belles.
Préfaçant en 2009 le recueil des photos de Pierre Jamet sur Belle-Ile en Mer, terre d’élection de ce dernier qu’il connut en y allant camper dès les années 1930 et où il repose à jamais tandis que sa fille y entretient sa mémoire, François Maspero évoque fort bien cet enthousiasme qui lançait sur les routes garçons et filles « à la découverte du monde, de la nature, du soleil et de populations » dans l’idée de « construire un monde nouveau, où la fraternité et le bonheur auraient leur place ».
« Et l’on chantait, poursuit François Maspero. Entre autres, cette chanson qui reste un symbole : Allons au devant de la vie, Allons au devant du matin. La suite, ce fut le Front populaire, qui permit à des millions de Français, pour reprendre un cliché qui n’est pas faux, de voir pour la première fois la mer. Il ne s’agissait pas alors de tourisme de masse. Il s’agissait de fraternité de masse. Toute la vie, toutes les actions de Pierre Jamet s’inscrivent dans cette vision fraternelle du monde et des hommes. »
Extraits de Pierre Jamet, la jeunesse de la liberté Edwy Plenel
Cette rencontre de Pierre Jamet et de Dina Vierny est celle de deux destins romanesques.
Celle d’un orphelin de père qui commence à bosser à 13 ans, achète son premier appareil photo à 14 et va connaître divers métiers : dactylo, modèle, danseur, figurant, directeur d'une colonie de vacances à Belle île en mer (il y photographiera les jeunes Daniel Filipacchi et Marcel Mouloudji). Il est aussi proche de Jacques Prévert dont il fera des portraits.
Avec sa voix de ténor c’est aussi un passionné de chant. Et c’est dans la Chorale Populaire de Paris qu’il va rencontrer Dina Vierny.
Dina Vierny, née Dina Zviguilsky, en 1919, dont le lieu de naissance est Odessa, en Ukraine pour l’un, à Chișinău (Kichinev), en Bessarabie devenue Moldavie pour un autre. Ce qui est sûr c’est que toute la famille de musiciens, d’origine juive, quitte l’URSS pour la France en 1925.
MAILLOL
« J’ai rencontré Maillol en 1934, j’avais quinze ans, il en avait 73. C’est l’architecte Dondel qui a parlé de moi à Maillol. Il avait l’habitude de venir à la maison, aux séances de musique de chambre organisées par mon père. »
« De cette époque datent des dessins, naturellement habillés, et des têtes en fresque. Maillol commence la fresque à laquelle il s’intéresse et qu’il apprendra avec le directeur de l’École des beaux-arts de Paris, Untersteller. En 1935, encore des têtes, des visages. Et, en fin de compte, c’est moi qui finis par lui dire : « Maillol, n’ayez pas peur de me demander de quitter mes vêtements. Je fais partie des Amis de la Nature, c’est de ma génération. La nudité, c’est la pureté. Musset a écrit : "Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés." »
Maillol était timide, réservé, mais il était littéraire. Il a été touché par cette phrase de Musset. Et nous avons commencé à travailler sérieusement. Maillol n’a jamais abandonné la peinture. Il a peint d’après moi plusieurs tableaux, avec une certaine influence de Courbet.
Il a surtout beaucoup dessiné avec moi. À soixante-treize ans, Maillol ne sculptait plus. Mais, je vous l’ai dit, il a recommencé à sculpter et a fait d’après moi la sculpture monumentale. »
De 1934 à 1944, date du décès accidentel de Maillol, Dina Vierny pose pour lui. Pour elle, ou grâce à elle, il reprend les pinceaux qu’il avait longtemps abandonnés. Mais c’est dans ses ultimes sculptures que les deux tempéraments explosent, à travers les grandes allégories qu’elle lui inspire : La Montagne, l’Air, la Rivière, l’Harmonie. Entre deux séances, elle fréquente les frères Prévert, Roger Blin, Maurice Baquet ou Marcel Duhamel, qui jettent les derniers feux du groupe Octobre, mais aussi les surréalistes et, en premier lieu, André Breton dont elle gardait un souvenir mitigé, nous dit Le journal de la Moldavie francophone.
Et c’est donc à cette période que sa route croise celle de Pierre Jamet .
Avec la guerre leurs destins se séparent. Pierre Jamet sera mobilisé comme radio dans la Marine nationale. Puis, après la défaite, il survivra en ouvrant une boutique de… photographe.
Dina Vierny, elle, connaîtra une vie plus aventureuse pendant cette seconde guerre mondiale. Elle va suivre le patron, comme elle appelle Maillol, à Banyuls-sur-Mer. A-t-elle fait passer la frontière des Pyrénées à des intellectuels fuyant la Gestapo ? «J'ai tout raconté au Patron, dit-elle. Comment je les attendais, vêtue de rouge, à la terrasse d'un café... Il m'a alors indiqué des chemins de chèvres. C'est ainsi qu'est née la route Maillol-Dina.» Son rôle est controversé. Toujours est-il qu’après une interpellation des gendarmes, où le patron intervint pour la tirer d’affaire, Maillol transféra son modèle chez ses amis Matisse et Bonnard, à Cimiez et au Cannet.
Ce qui est sûr aussi, c’est qu’en 1943, de retour à paris, elle est arrêtée par la Gestapo et ne devra sa libération, six mois plus tard, qu’à l’intervention d’Arno Breker, sculpteur officiel du régime Nazi que Maillol avait sollicité.
Après guerre, Pierre Jamet s’embringue dans un quatuor vocal , Les compagnons de la route, qui va devenir Les quatre barbus. De la chanson paillarde aux chants anarchistes, en passant par les chansons de Pierre Dac et Francis Blanche ou de Boris Vian, mais aussi des chansons populaires et chansons pour enfants, jusqu’en 1969, ils produiront une flopée de disques et feront de nombreuses tournées en France et dans le monde.
Mais Pierre Jamet n’abandonnera pas sa deuxième passion , la photographie.
Dina Vierny, elle ouvrit une galerie. « Avant toute chose, elle sera la fille spirituelle du patron. "Il n'y a qu'elle qui sait", lançait-il déjà, de son vivant, à la cantonade. Dépositaire, experte, historienne de son oeuvre, on lui doit un des plus jolis coups de foudre du siècle passé: Paris et Maillol. En 1963, via Malraux, elle offre rien de moins que dix-huit statues au jardin des Tuileries. » La femme modèle
Il n’y avait pas à se forcer. La création, vous la voyez, et vous y participez. Vous entrez dans le jeu. Je ne pensais pas particulièrement poser, mais j’ai été vite séduite de pouvoir entrer dans la création, de parler longuement avec l’artiste, d’essayer de comprendre. J’avais vite ressenti l’illusion de servir l’artiste, qui, en vérité, n’a besoin de personne. C’est d’une simplicité enfantine. Ça coule de source. En plus, c’était très agréable. Contrairement à ce que l’on imagine, il n’y avait rien de charnel entre Maillol et moi. C’était une admiration réciproque. Et ça a été comme ça pendant les dix ans de notre travail. Lorsque Maillol a voulu que je défende son œuvre, il m’y avait préparée sérieusement. C’est la raison pour laquelle je suis l’héritière de la famille Maillol, à travers le fils de l’artiste, Lucien. Mais Maillol pour moi a été surtout Pygmalion. J’ai appris à voir avec lui et auprès de ses amis, Matisse, Bonnard, Dufy. Énormément. Et, effectivement, ils avaient raison, j’étais plus douée pour l’art que pour tout le reste.
A noter que Sollers mérite bien le sort que lui fait subir Laurent Binet, dans La septième fonction du langage, qui, pour un article refusé dans un catalogue d’une exposition, traita Dina Vierny avec mépris « Anecdotiquement, on notera que ce texte a été empêché d’arriver à sa destination initiale par un ancien modèle de Maillol. »
En 1955, elle commence à racheter un hôtel particulier rue de Grenelle où, entre autres, Alfred de Musset a vécu ; où surtout, les frères Prévert avaient ouvert un cabaret, La Fontaine des Quatre Saisons, où Boris Vian, habitué du lieu, crée Le Déserteur ; Francis Blanche présente ses sketches ; les Frères Jacques, Yves Montand chantent les poèmes de Prévert mis en musique par Kosma. Une pléthore de jeunes artistes y font leurs débuts : Maurice Béjart, Guy Bedos, Pierre Perret, Jean Yanne, Philippe Clay, Jacques Dufilho…
En 1995, le Musée Maillol, ouvre ses portes.
Vidéo russe
Pour compléter :
Le site officiel de Pierre Jamet : http://www.pierrejamet-photos.com/fr/accueil.html
et une page de L'OBS à l'occasion des journées d'Arles 2013 http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20150402.OBS6249/grand-format-le-regard-humaniste-du-photographe-pierre-jamet.html et http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20130627.OBS4939/grand-format-l-age-d-or-des-auberges-de-jeunesse-par-pierre-jamet.html
Voir aussi Les diagonales du temps :http://www.lesdiagonalesdutemps.com/2016/04/pierre-jamet-1910-2000.html
commenter cet article …