Nouvelle contribution de Gilbert Dubant. Petites précisions du déblogueur : il n’a jamais prétendu – il cite d’ailleurs ses sources - « révéler » quoi que ce soit, ni que les dupes étaient des « abrutis ». En revanche il a eu tort, tout-à-fait, d’écrire « les médias » au lieu de « des médias ». Il persiste à penser que la méthode de chiffrage de Scoléo était tellement grossière et le but commercial si évident que même le stagiaire de service pouvait émettre un léger soupçon de doute ; et que le dépôt d’une plainte par l’UNPI, pour une situation qui ne daterait pas d’hier, méritait peut-être interrogation.
Pour le reste, bien que social-démocrate encarté, il n’a pas de ligne directe vers l’Elysée ou Matignon. Il ne croit pas non plus que ce soit dans la précipitation de démissions forcées qu’on instaurera un audiovisuel public digne d’un état de droit. Ce n'était d'ailleurs pas son propos...
Salle de rédaction de l'AFP
1 milliard d’euros d’affaires scolaires perdues annuellement, une asso de propriétaires immobiliers « révélant » 380 000 appartements HLM occupés par des riches, le tout gobé par des millions d’abrutis, le scandale serait passé inaperçu sans la vigilance de Jean-François Launay et la mise au pilori de ces serpents que sont le site Scoléo et l’UNPI. Et de conclure : « Une entreprise privée et une officine ultra-libérale de proprios se sont donc offert une pub gratuite grâce à la jobardise journalistique ». Analyse correcte mais usage abusif du mot « jobardise » dont l’usage indique une méconnaissance du métier de journaliste en 2012. Un petit guide professionnel semble donc utile.
Les écoles de journalisme françaises, publiques et privées, forment annuellement moins de 400 jeunes, à options différentes, entre télé, radio, écrit, Internet, magazines spécialisés multimédia allant de l’automobile aux cosmétiques, en passant par littérature, tourisme et cuisine sibérienne. C’est peu pour remplir la mission : comment parler de n’importe quoi en ayant toujours l’air informé ? Et c’est pourtant la condition pour manger, surtout si l’on est stagiaire, CDD à répétition ou intermittent du spectacle, statuts pléthoriques dans les medias petits ou grands.
Et qu’ça saute !
Il faut donc se débrouiller, autrement dit frimer, et produire rapidement en s’essuyant les pieds sur sa formation, pour autant qu’on l’ait. Les écoles insistent sur la nécessité de « sourcer », vérifier, recouper, interroger, réfléchir et, surtout, connaître « le terrain ». Fariboles de théoricien sorbonicole. Exemple : un jeune collaborateur de site Internet, qui gagne 600 euros mensuels à mi-temps peu déclaré, ne connaît pas un mot d’arabe syrien et ne distingue pas son anus d’une carte du Moyen-Orient, reçoit un paquet d’images extraites de téléphones portables, sans date ni localisation, où l’on voit que des bâtiments explosent et que des corps humains sont enrobés de liquide sombre. Sa mission est simple : « Tu me fais un sujet d’une minute trente sur Homs ou Damas, on s’en fout, tu reprends Al-Jazeera en anglais pour le nombre de macchabées, surtout les femmes et les enfants. Tu dis au moins trois fois qu’Al-Assad est une saloperie et que les autres sont des démocrates, comme les Saoudiens et les Qataris… Et je veux tout dans une heure… ».
Ce journaliste-là n’est pas un jobard. C’est un crétin, mais une victime, bref un salarié précaire. Il faut être resté chez Jules Verne ou Albert Londres pour croire que les journalistes choisissent leurs sujets et leurs méthodes de travail, y passent le temps nécessaire en attendant le prix Pulitzer en toute indépendance. Ils ont la chance d’avoir des employeurs désintéressés, comme Serge Dassault au Figaro, Edmond de Rothschild à l’Humanité, des fonds de pension pour le Monde et Libération, la grande bourgeoisie bretonne ou belge pour Ouest-France et la Voix du Nord. La liberté d’expression, garante de celle du journaliste, est totale. D’ailleurs, les conflits sont rares. Depuis Giscard d’Estaing, les medias français ont compris qu’il est idiot de fliquer les rédactions. Il suffit d’embaucher des gens qui sont d’accord avec leur patron et de leur donner des chefs qui marchent au rendement. Mougeotte au Figaro, Paolini à TF1, Pflimlin à France Télés sont là pour le prouver.
Allo, Monsieur Lesmédias !
Autre contrainte, time is money. Deux catégories au moins : quelques professionnels bien payés et une armée de « palotins » à la Jarry-Ubu qui épluchent quotidiennement des milliers de dépêches, tweets et ragots pour en sortir une bouillie que chaque support servira à la sauce maison, la perruque de Pujadas ou le regard de Lucet vissés sur le prompter. À l’écrit et en radio, c’est pareil. Nicolas Moloch, rédac-chef confirmé qui a aussi une famille à nourrir, est toujours débordé, et il le fait savoir. Ses subordonnés et néanmoins collègues font-ils observer qu’ils n’ont pas le temps de vérifier l’info, que leur salaire est en berne et que la pression augmente avec la concurrence des amateurs et des people, que les 35 heures sont une blague, la réponse est celle de Zola au Bonheur des Dames : « Passez à la caisse ! ». Vérifier les sources de Scoléo et de l’UNPI : « Tu vas pas nous faire chier à cette heure-là, non ? L’AFP confirme ? Envoie ! On n’a pas de dépêche ? Tu mets au conditionnel, et basta ! Avec tes conneries, on va se faire niquer par Atlantico ! ».
Heureusement, dans ce monde de désolation médiatique, il reste de bons esprits pour déclarer avec une calme indignation que « les medias » se foutent du monde. On peut remplacer cette vox populi par « on », medium originel, et ajouter finement « On, c’est un con ! ». Ce qui est faux, puisque M. On est un collectif varié et variable. Dire « les medias » est aussi intelligent que mettre dans le même sac Le Monde Diplomatique, Minute, Closer, Radio Notre-Dame, Al-Arabia et BFM Business.
Appelez-moi François !
Une légende a couru pendant la campagne et après la défaite de Sarkozy. Les medias étaient de gauche, à quelques nobles exceptions près, et le complot du machiavélique Hollande, aidé malgré lui par le crypto-bolchevik Mélenchon, était ourdi par l’anti-France qui accepte n’importe qui chez elle. La situation d’aujourd’hui montre que la nouvelle était exagérée. Scoléo et l’UNPI peuvent continuer de déverser leurs tombereaux de déchets intellectuels. Tant qu’on est de droite, la liberté d’expression est garantie. Sur le service public, David Pujadas, Franz-Olivier Giesbert, François Lenglet, Marie Drucker peuvent continuer leur litanie de banalités libérales et de marronniers saisonniers. Évidemment, si un hérétique s’avisait de développer une alternative marxiste au libéralisme mondial, il se retrouverait à Pôle Emploi ou interné d’office, ce qui revient à peu près au même.
Qui a entendu dire, dans l’actuel gouvernement, que le service public, alimenté par des fonds publics, méritait une information de qualité, reposant sur le pluralisme, la vérification de l’information, et la compétence des intervenants ? Pour un Charles Enderlin qui connaît si bien le Moyen-Orient, combien de Fabien Namias (heureusement sur le départ) ânonnant des analyses de Café du Commerce sur France 2 ? Rémy Pflimlin, harki télévisuel de Sarkozy, est encore à France Télés, Philippe Val, copain de Carla, pseudo-gauchiste et véritable kapo, flingue toujours à France Inter, avec la bénédiction de Jean-Luc Hees. Depuis combien de temps l’équilibre politico-syndical chez Yves Calvi oscille-t-il entre l’Express et Force Ouvrière ? Jean-François Launay a bien sûr raison de voir dans le ramassis de conneries sur les riches en HLM une attaque sur l’encadrement des loyers abusifs proposé par le gouvernement Ayrault. Ce serait encore mieux s’il suggérait à ses amis, à Matignon et à l’Élysée, de mettre un peu d’ordre dans le service public télévisuel et radiophonique, en bannissant copinage, népotisme et pensée unique. S’il publie un texte là-dessus, peut-être irai-je jusqu’à le signer. Qui dégaine son stylo ?
Gilbert Dubant
NB Dans la série chiffres chocs, chiffres faux, j'ai retrouvé un courrier de 2008 au Nel Obs sur un article de Mme Brizard (pas Marie,
Caroline) qui avait aussi commis en septembre 2007 un calamiteux dossier sur l'illettrisme. Mme Brizard est
la titulaire de la rubrique éducation de l'hebdo depuis des années ; elle ne semble pas soumise à une pression rédactionnelle intense ; elle est censée connaître quelque peu le sujet dont elle
traite : ça ne l'empêche pas de sortit des chiffres totalement incohérents.