21/09/16 : Alain Juppé est la cible de Sarkozy et de Le Maire pour avoir, naguère, parlé d'"accommodements raisonnables" ! Souvenir sans doute de son séjour canadien. Ces "accommodements" sont la cible des faux laïques et vrais identitaires que nos deux lascars - Sarkozy et Le maire - caressent dans le sens du poil, en vue des primaires de la droite.
Mais si on y regardait de plus près pour savoir ce que sont vraiment - et dans le contexte québécois - ces accommodements raisonnables ?
Grace à Jean Baubérot, j'ai découvert les travaux d'une commission québécoise sur, finalement, la laïcité.
Certes, l'histoire du Québec, dont la population canadienne-française à longtemps été sous la coupe d'une église catholique aussi peu ouverte que celle qui sévissait dans une partie de l'Ouest de la France, population elle-même soumise à un Canada à majorité anglophone, population qui s'est sécularisée et dont la fécondité a chuté, un Québec pour qui l'immigration n'est pas subie, mais acceptée, souhaitée même, n'est pas la nôtre.
Cependant ces quelques extraits d'une réflexion sereine montrent qu'il ne serait peut-être pas tout-à-fait inutile de sortir de notre position arrogante de détenteurs de la Vérité laïque universelle et, pour une fois, accepter de prendre des leçons chez nos cousins québécois.
Au passage, une définition de "libéral" à laquelle, j'ose espérer, tout démocrate souscrira.
Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles
Dans toute société où se côtoient deux ou plusieurs cultures surgit inévitablement la question de la gestion de la diversité. Cette question s'est posée de tout temps. Jusqu'à récemment, elle était généralement résolue de façon autoritaire : une culture, plus puissante, tentait soit de dominer les autres en les marginalisant, soit de les supprimer en les assimilant. Des pratiques d'assouplissement ou de conciliation ont cependant toujours existé, et ce, même au sein des empires.
Depuis quelques décennies, en Occident surtout, les mentalités et le droit ont évolué. Davantage respectueuses de la diversité, les nations démocratiques adoptent maintenant des modes de gestion du vivre-ensemble fondés sur un idéal d'harmonisation interculturelle.
La conception classique de l'égalité, fondée sur le principe du traitement uniforme, a fait place à une autre conception plus attentive aux différences. Peu à peu, le droit a été amené à reconnaître que la règle de l'égalité commande parfois des traitements différenciés.
C'est cette conception que reflète la disposition juridique qu'on appelle l'accommodement raisonnable.
L'ajustement des règles vise donc à empêcher que des personnes soient désavantagées ou exclues, et que leur droit à l'égalité soit ainsi compromis. L'obligation d'accommodement créée par le droit n'exige pas d'annuler un règlement ou une loi, mais seulement d'atténuer ses effets discriminatoires sur certaines personnes en prévoyant une exception à la règle ou une adaptation particulière. Un traitement peut être différentiel sans être préférentiel.
On a donc affaire ici à deux conceptions non pas du droit à l'égalité, mais de ses modalités d'application, soit a) une conception formelle, doctrinale, très rigide ; ou b) une conception modulée, flexible, plus inclusive parce que plus attentive à la diversité des situations et des personnes. L'obligation d'accommodement n'est pas sans limites. Une demande peut être rejetée si elle entraîne un coût déraisonnable, si elle bouleverse le fonctionnement de l'organisme, si elle porte atteinte au droit d'autrui ou si elle nuit au maintien de la sécurité et de l'ordre public.
On voit émerger dans le milieu scolaire une véritable philosophie qui consiste à intégrer les pratiques d'harmonisation au sein d'une démarche générale d'accompagnement éducatif. Dans le cadre d'une démarche pédagogique centrée sur le cheminement de l'élève, les ajustements deviennent un élément parmi d'autres dans la somme des facteurs ou des variables dont il faut tenir compte. Ce modèle souligne l'importance d'une approche contextuelle qui, seule, permet de saisir la complexité et la singularité des situations (le "cas par cas"). Ouvert à la dimension interculturelle, ce modèle évite de marginaliser l'élève et favorise la discussion et les solutions de compromis qui respectent les valeurs fondamentales (égalité hommes-femmes, liberté de conscience, équité, laïcité...).
Un régime politique démocratique et libéral
Le régime politique québécois est à la fois démocratique et libéral. Il est démocratique en ce sens que le pouvoir politique y est placé, en dernière instance, entre les mains du peuple, lequel le délègue à des représentants qui l'exercent en son nom pour une période donnée. Notre démocratie est donc représentative. Mais elle est aussi libérale en ce sens que les droits et les libertés de la personne sont jugés "fondamentaux" et sont, à ce titre, affirmés et protégés par l'État. Nul ne voudrait, par exemple, qu'un gouvernement, même dûment élu, bafoue les droits fondamentaux d'un groupe de citoyens au nom des intérêts de la majorité. C'est précisément pour assurer une protection supplémentaire aux droits et libertés garantis à toutes les personnes qu'ils sont inscrits dans une charte, celle-ci posant des limites à l'action des gouvernants et encadrant les relations entre les citoyens. Elle garantit le droit à la vie et à l'égalité, la liberté de conscience et de religion, la liberté d'expression et d'association, ainsi que des droits politiques et des garanties juridiques. Elle proscrit aussi plusieurs formes de discrimination, dont celles fondées sur le sexe, l'origine ethnique et la religion. L'exercice de ces droits et libertés n'est pas absolu ; il doit respecter les droits des autres et l'intérêt collectif.
L'interculturalisme
Au Québec, le français est la langue officielle. Mais l'État s'est engagé à faire la promotion du français dans un esprit de respect envers les minorités linguistiques présentes sur son territoire. L'immigration est essentielle au développement de la société québécoise. Quant à la diversité culturelle, elle est perçue comme une richesse, dans la mesure où son expression est balisée par les chartes des droits et libertés et où elle se réalise dans un esprit d'interaction plutôt que de cloisonnement. Les immigrants sont invités à apprendre le français et à contribuer au dynamisme culturel, économique et politique de la société. L'interculturalisme s'efforce de concilier la diversité ethnoculturelle avec la continuité du noyau francophone et la préservation du lien social.
- Les membres du groupe ethnoculturel majoritaire (en l'occurrence, les Québécois d'origine canadienne-française), tout comme les membres des minorités ethnoculturelles, acceptent que leur culture soit transformée à plus ou moins long terme par le jeu des interactions.
- Les différences culturelles (et en particulier religieuses) n'ont pas à être refoulées dans le domaine privé. La logique qui sous-tend ce choix est la suivante : il est plus sain d'afficher ses différences et d'apprivoiser celles de l'Autre que de les occulter ou de les marginaliser.
- Le principe des identités multiples est reconnu, de même que le droit de préserver l'appartenance à son groupe ethnique.
- Le plurilinguisme est encouragé, parallèlement au français comme langue publique commune.
La laïcité
L'argument selon lequel "la religion doit rester dans la sphère privée" a souvent été invoqué par les partisans de la laïcité. Bien qu'il semble clair à première vue, cet énoncé ne l'est pas autant qu'on pourrait le croire. En effet, le mot "public" peut être entendu au moins de deux manières distinctes. Selon le premier sens, est public ce qui relève de l'État et des institutions communes (on parlera ainsi des « institutions publiques »). Selon le deuxième sens, est public ce qui est ouvert ou accessible à tous (on parlera alors de « lieux publics » : par exemple, d'un « jardin public »).
Le premier sens s'accorde avec le principe laïque de la neutralité de l'État face aux religions. Selon ce premier sens, il est donc juste d'affirmer que la religion doit être "privée". Toutefois, il ne va pas de soi que la laïcité exige de la religion qu'elle soit absente de l'espace public au sens large. Si une institution publique doit être neutre, les individus qui la fréquentent doivent-ils être eux-mêmes soumis à cette exigence de neutralité ?
La notion de neutralité est aussi plus complexe qu'elle peut le sembler. Ainsi, il est communément admis que l'État laïque doit rester neutre face à toutes les religions. L'État ne doit pas prendre parti entre religion et non-religion. Il doit maintenir sa position de neutralité face à toutes les convictions morales profondes, qu'elles soient religieuses ou séculières. En revanche, l'État laïque et démocratique se fonde sur une morale politique et sur certains principes qui ne sont pas négociables. C'est le cas de la démocratie, des droits de la personne, de l'égalité entre tous les citoyens. Lorsque ces principes sont en jeu, l'État ne peut pas rester neutre.
Quatre principes fondent la laïcité.
1. L'égalité morale des personnes.
2. La liberté de conscience et de religion.
3. La séparation de l'Église et de l'État.
4. La neutralité de l'État à l'égard des religions et des convictions profondes séculières.
Tout régime de laïcité institue une forme d'équilibre entre ces quatre principes. Certains régimes posent des limites assez strictes à la liberté d'expression religieuse. La France, qui vient d'adopter une loi restrictive relativement au port de signes religieux à l'école, est considérée comme ayant un régime de ce genre, quoiqu'elle soit beaucoup plus souple dans la réalité que sa réputation ne le laisse croire. Ce type de régime définit la neutralité de l'État de façon très étendue, ce qui mène à l'exclusion de certaines expressions religieuses de la sphère publique. S'il en a été ainsi en France, c'est peut-être parce qu'une certaine conception de la neutralité de l'État, consacrée par la tradition nationale, a été élevée au rang de finalité profonde. Les débats récents qui ont eu lieu en France, où la laïcité a été souvent présentée comme un pôle identitaire essentiel de la République, illustrent ce déplacement. Pour certains républicains français, l'école laïque doit avoir pour mission d'émanciper les élèves de la religion. Pour d'autres, les identités culturelles et religieuses ne font que nuire à l'intégration sociale, laquelle devrait être fondée sur une citoyenneté excluant tout particularisme.
Nous croyons que ce type de laïcité restrictive n'est pas approprié pour le Québec, et ce, pour trois raisons :
a) il n'arrive pas vraiment à arrimer les structures institutionnelles aux finalités de la laïcité ;
b) l'assignation à l'école d'une mission émancipatrice dirigée contre la religion n'est pas compatible avec le principe de la neutralité de l'État entre religion et non-religion ;
c) le processus d'intégration d'une société diversifiée s'effectue à la faveur d'échanges entre les citoyens, qui apprennent ainsi à se connaître (c'est la philosophie de l'interculturalisme québécois), et non par la mise en veilleuse des identités.
EXTRAITS (c'est moi qui ai mis en gras)
- Le rapport final abrégé :
http://www.ccpardc.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-abrege-fr.pdf
- Le rapport intégral :
http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdf
- Les 37 recommandations de la commission :
http://www.accommodements.qc.ca/communiques/2008-05-22c.html
- Les rapports des experts :
http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports-experts.html
Dont Éduquer au vivre-ensemble dans une perspective interculturelle- que faut-il attendre de l'école et de l'éducation dans le contexte actuel de la société québécoise caractérisée par un pluralisme culturel, religieux et linguistique croissant?
http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-4-saint-pierre-celine.pdf
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