« Puisqu’il n’existe pas de preuve sérieuse de l’efficacité du redoublement, la profession enseignante devrait abandonner cette pratique comme jadis, les médecins ont délaissé les saignées et les purges. » Marcel Crahay
Il ne s’agit pas de « refaire le match ». Le nom de la rose, comme titrait Libé, a été désigné. Mais une évocation incidente du redoublement, lors du dernier débat des impétrants, permet de se pencher sur ce mal français, coûteux en euros, mais surtout en gâchis humain qu'est le redoublement.
Un logorrhéique contributeur du + du nel Obs, soi-disant « modem », a attaqué avec mépris Martine Aubry qui se serait « pris les pieds dans le tapis » sur le problème du redoublement.
Lors du dernier débat de la primaire, Aubry avait à l’évidence voulu essayer de mettre Hollande en difficulté en lui disant, en substance, tu promets de créer 60 000 emplois d’enseignants sur 5 ans (coût 2,5 miliiards) et en même temps « tu disais, je supprimerais le redoublement, ça coûte 2,5 milliards », donc en fait « on n’embauche pas d’enseignants complémentaires ». Hollande n’a pas remis en cause le coût estimé du redoublement* par sa concurrente. Mais, il remet l’équation dans le bon sens, de son point de vue, ce sont les emplois créés qui, à terme, permettront de faire baisser significativement les redoublements.
Notre modem accuse assez niaisement Aubry d’assimiler le coût du redoublement aux frais de personnels. Oubliant qu’il s’agit, dans ce débat, des dépenses de l’état qui correspondent presqu’uniquement à des dépenses de personnel (le surcoût en équipement, locaux, etc. relève des collectivités territoriales). « Si les redoublements coûtent si cher, c'est parce qu'ils allongent la scolarité des élèves et augmentent le nombre de professeurs. » (Le Monde). A jouer au donneur de leçon, on se prend les pieds dans le tapis de sa suffisance.
Hollande, en revanche, commettrait une erreur en croyant qu’il suffit d’augmenter le nombre de profs pour faire baisser le nombre de redoublants. Car le culte du redoublement est ancré dans le système scolaire français. La baisse des effectifs ne suffira pas. Ce sont des mentalités qu’il faut changer.
Le redoublement, ce mal français, frappe les enfants des catégories sociales modestes : un enfant d’ouvrier a 8 fois plus de risques de redoubler qu’un enfant de cadre ou d’enseignant, risques plus élevés pour ceux issus de famille nombreuse ou monoparentale et les garçons sont plus touchés par ce mal que les filles. Toutes les études le démontrent « Redoubler est inefficace, pénalisant, coûteux et injuste. » Marie Duru-Bellat.
Cependant, il ne sert à rien d’augmenter les moyens si les comportements des enseignants vis-à-vis des élèves en difficultés n’évoluent pas.
« Avec ces dispositions nouvelles [réduction significative des effectifs de CP dans une expérience de lutte contre l’illettrisme], les difficultés rencontrées par les élèves ne peuvent plus être attribuées aux conditions de l’enseignement. En revanche, leur mise en œuvre met en évidence qu’il ne suffit pas de multiplier les moyens d’enseignement pour que les difficultés soient évitées ou surmontées… Même dans les conditions très favorables dont disposaient les classes observées, la prise en compte de la diversité des élèves n’est pas sensiblement améliorée. Si certains maîtres savent être attentifs aux erreurs et, par une intervention tenace et rigoureuse, éviter qu’elles ne s’enkystent, l’approche de la différenciation indispensable est loin d’être réellement dominée. Il n’est pas rare qu’on demeure en permanence dans un travail frontal, sans essai de prise en compte des réalités individuelles.» Inspection générale de l’Education nationale, La mise en œuvre du plan de prévention de l’illettrisme au cours préparatoire en 2003-2004. Groupe de l’enseignement primaire, mai 2004. (cité dans un rapport sur le redoublement de 2004, pour le Haut Conseil à l’évaluation de l’école).
Faire bouger les mentalités est moins facile que de créer des emplois. Ces créations d’emplois peuvent même aggraver la situation si on ne rétablit pas une véritable formation professionnelle initiale et continue. C’est la priorité des priorités. N’en déplaise à tous les pourfendeurs de pédagogos, les Finkielkraut, les Julliard, les Capel, etc., ce n’est pas en proférant leur savoir du haut de la chaire que les enseignants prendront à bras le corps le problème des élèves ayant des difficultés. Des dispositifs de pédagogie différenciée sont indispensables pour une école de la réussite pour tous.
* Le Monde, nuance fortement les chiffres avancés : pour la création d’emplois il s'agirait plutôt de 7,5 milliards d'euros sur cinq ans, quant au coût du redoublement, il le chiffre plutôt à 2 milliards annuels, donc 10 Md sur cinq ans.