Le calendrier des « dieux du tableau noir », des profs posant dans une nudité très chaste pour symboliser le « dépouillement de l’école », a fait, comme on dit un bouzze. Mais les positions défendues par ce collectif sont fort convenues et se réfèrent à la mythique « école républicaine » des rétropenseurs.
Même si on est très loin du calendrier Pirelli et même des « Dieux du stade » (le ballon ovale ici est remplacé par des livres), l’idée de faire poser demi-nus ou nus des profs, pour dénoncer le dépouillement de l’école, est une magnifique opération de com’ !
Que les modèles soient anonymes – ils ne doivent pas l’être restés longtemps dans leurs bahuts – soit. Mais que les initiateurs du « collectif et du manifeste [soient] un groupe d’enseignants syndiqués (de différents syndicats) et non syndiqués, qui se battent pour une école publique de qualité », c’est-à-dire tout aussi anonymes, est plus insolite*.
Le « manifeste » comporte beaucoup de dénonciations qui font consensus et se place sous des égides icôniques. Qui ne dénoncerait une logique comptable et technocratique ? le tarissement des concours de recrutement ? le recours massif aux vacataires non formés corvéables à merci ? la diminution des surveillants, infirmières et médecins scolaires, etc. ?
Mais, si l’on note l’absence de formation des vacataires, pour les titulaires on ne déplore qu’une « absence de formation pratique sérieuse ». Depuis Darcos, les enseignants sont sans doute une des seules professions n’ayant aucune formation professionnelle, qui ne se résume pas à quelques trucs pour « tenir » sa classe. Bel exemple de dépouillement à peine évoqué.
Et la conception même du métier d’enseignant semble se réduire à « faire cours », alors qu’ils sont « contraints de bricoler, de s’agiter, de faire semblant, de s’adapter à tout et surtout à n’importe quoi sous couvert d’innovation pédagogique. » On comprend aisément que les timides essais d’ouverture transdisciplinaires comme les TPE, pratiquement asphyxiés, non seulement ne soient pas mentionnés, mais qualifiés d’activités-gadgets.
La décentralisation est pour eux maléfique. : « l’État se décharge de son financement [de l'école] sur les collectivités locales » Bien que Ferry soit évoqué, les auteurs semblent ignorer que les bâtiments des écoles ont toujours été financés par les communes ; et, sans évoquer Pailleron, qui a connu les CES Fouchet, ne pourra regretter que la construction des collèges soit passée aux départements. On est bien là dans une optique prétendument « républicaine », qui n’est que la nostalgie d’un système scolaire ultra-centralisé.
Les poses même sont révélatrices d’une conception de l’enseignement où le prof profère son savoir du haut de sa chaire, devant un tableau où la seule touche de modernisme est le passage du noir au vert. Même pas de tableau blanc ; ne parlons pas de tableau électronique. Modernisme de mauvais aloi sans doute.
Révélateur encore est cette déploration : « Les élèves sont appauvris parce qu’on leur refuse d’apprendre le latin et le grec, les langues dites « rares » (c’est-à-dire toutes hormis l’anglais) ». Ce problème existe depuis des lustres, d’avant Chatel, d’avant Darcos, d’avant… et le latin en collège, quand il survit, ne profite qu’aux élèves déjà favorisés… Le reste est à l’avenant avec « de nouveaux programmes [qui] proposent de l’anglais sans Shakespeare, de l’histoire sans passé, du français sans grammaire, des mathématiques sans démonstration… » là on est dans un discours finkielkrautien caractéristique (et toujours centré sur la discipline).
L’autonomie des établissements, la démarche de projet, le travail en équipe… tout cela est voué aux gémonies. PISA et l’OCDE, itou.
Et le couplet final, qui met le manifeste sous le patronage de Condorcet, Ferry (Jules) ou Langevin et Wallon, peut difficilement masquer la grande ambiguïté de ce manifeste. Le grand absent de ce texte, c’est le « Stop à l’échec scolaire » que des étudiants bénévoles de l’AFEV rappellent à nos profs à poil.
* Grâce à Philippe Watrelot j'ai découvert une curieuse ressemblance entre Mme X, Professeur de Lettres modernes (octobre 2011) et une certaine Fanny Capel, immortelle auteure de "Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ?".
Cela confirme qu'il ne s'agissait pas d'une lecture symptomale, mais que ce texte émane bien d'un "collectif" antipédago.
Le même article mis sur "Le Post" suscite des réactions
étonnantes.